La prononciation du français langue étrangère

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4.3 Juges

L’analyse de l’étude de perception se basait sur les réponses de 73 personnes (natives et non-natives). Celles-ci ont été sélectionnées dans un total de 127 participant.e.s recruté.e.s : seulement les apprenant.e.s germanophones ayant indiqué leur niveau de maîtrise du français au niveau A1-A2 (n=31) ou B1-B2 (n=32) ainsi que les francophones non-expert.e.s (n=10) ont été retenu.e.s (total : n=73 ; 61 femmes, 11 hommes, 1 divers). Les apprenant.e.s du groupe A (niveaux A1-A2) ont en moyenne 16 ans (écart-type = 2.05), ceux du groupe B (niveaux B1-B2) 17 ans (écart-type = 1.45) et les participant.e.s francophones 37 ans (écart-type = 7.21). L’âge moyen du premier contact des apprenant.e.s avec le français est 13 ans (écart-type = 0.95). Les apprenant.e.s, dont 62.9 % ont appris le français comme deuxième langue étrangère (après l’anglais), 27.4 % comme troisième et 9.7 % comme quatrième, sont originaires des régions de Salzbourg, Haute-Autriche, Tyrol et Tyrol du Sud.

Les participant.e.s francophones (non-expert.e.s, mais diplômé.e.s de l’enseignement supérieur) représentent, dans la mesure du possible, le panorama des variétés natives pertinentes pour notre enquête : quatre Français.e.s, deux Belges, trois Canadien.ne.s (dont deux Québécois.e.s et un Acadien), et une personne de l’Afrique Subsaharienne1.

4.4 Étude de perception

Les participant.e.s ont rempli un questionnaire en ligne d’une durée d’une heure environ sous leur propre responsabilité, consistant en une partie perceptive (env. 45 minutes1) et en une partie biographique (env. 15 minutes) ciblant leur environnement linguistique, leurs attitudes envers la variation régionale, leur développement de l’apprentissage etc. Afin de faciliter le travail aux apprenant.e.s débutant.e.s, le questionnaire était disponible en français et en allemand. Tout au début du questionnaire figurait le texte que les participant.e.s allaient entendre de diverses voix. En ce qui concerne la première partie, à part les deux premiers extraits qui servaient d’exemples d’essai, les documents sonores ont été présentés aux auditeurs et auditrices dans un ordre aléatoire et différent pour chacun.e des participant.e.s. Nos juges étaient chargé.e.s d’écouter chaque extrait une fois (si nécessaire, il était permis de le réécouter une fois), de décider s’il s’agissait d’un.e francophone natif/native ou bien d’un.e apprenant.e (jugement binaire)2 et ensuite de répondre, sur une échelle allant de 1 à 9, à des questions ciblant le degré d’accent, la compréhensibilité, le caractère exemplaire (= ‘beau français’) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s (voir tableau 3). Si la case locuteur natif/locutrice native a été cochée, les participant.e.s devaient encore indiquer l’origine supposée de la personne entendue parmi une liste contenant comme options France, Québec, Suisse, Belgique, Maghreb, Afrique subsaharienne, Autre et Je ne sais pas (afin d’éviter des réponses aléatoires). Les questions du tableau 3 représentent les questions auxquelles les juges devaient répondre concernant chaque stimulus ; le tableau 4 présente trois questions du questionnaire concernant les attitudes des participant.e.s :


Question Options de réponse
S’agit-il d’un locuteur natif/d’une locutrice native ? □ oui □ non
En êtes-vous sûr(e) ? □ oui □ non
L’accent du locuteur/de la locutrice est-il fort, faible ou non-existent ? 1 (= pas d’accent) … 9 (= accent très fort)
Était-ce plutôt facile ou difficile pour vous de comprendre le locuteur/la locutrice ? 1 (= très facile) … 9 (= impossible)
Dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec chacune des affirmations suivantes ? Je trouve que c’est du beau français. La personne est un modèle approprié pour des apprenant.e.s de français. 1 (= tout à fait d’accord) … 9 (= pas du tout d’accord)
D’après vous : d’où vient le locuteur/la locutrice ? Je ne sais pas France Suisse Belgique Québec/Canada Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) Afrique subsaharienne (Afrique noire) Autre :

Tab. 3 :

Extrait du questionnaire (étude de perception)


Question Options de réponse
Étiez-vous conscient(e) du fait que le français (comme langue maternelle) se prononce différemment selon les pays (Canada, Belgique, Suisse, Afrique,…) avant de participer à cette étude ? □ non □ oui
Tous les Français et francophones devraient parler le même français, le français standard. Il ne devrait pas y avoir de variétés ou de dialectes. □ je suis d’accord □ je ne suis pas d’accord
Dans l’enseignement du FLE (Français Langue Étrangère), il suffit que les apprenant.e.s apprennent le français de France. □ je suis d’accord □ je ne suis pas d’accord

Tab. 4 :

Extrait du questionnaire (questions visant les attitudes des participant.e.s envers la variation)

L’autorisation de l’usage des stimuli et des réponses du test de perception suivent la législation (autrichienne dans notre cas) relative à la protection des données personnelles.

Une étude pilote a été menée auprès de 14 personnes (8 natives et 6 non-natives germanophones de différents niveaux), assurant que les échantillons étaient bien choisis et que le questionnaire était clair et précis.

5 Résultats

En ce qui concerne l’analyse des données, nous procédons de la manière suivante (suivant ainsi l’ordre de nos questions de recherche, cf. section 1, Introduction) :

1 Examen des évaluations de l’accent, de la compréhensibilité, du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle par les juges en fonction de leur niveau de maîtrise du français (question 1)

2 Présentation des résultats des participant.e.s quant à la discrimination des stimuli de francophones et d’apprenant.e.s ainsi que l’identification de l’origine des stimuli natifs (questions 2 et 3)

3 Analyse des questions visant les attitudes des participant.e.s envers la variation du français en général et envers l’enseignement de la variation en classe de FLE (question 4)

5.1 Accent, compréhensibilité, caractère exemplaire et acceptabilité

Le tableau 5 donne les moyennes des notes d’évaluation (échelles entre 1 et 9) ainsi que les écarts-types des trois groupes d’auditeurs et auditrices (apprenant.e.s débutant.e.s, apprenant.e.s intermédiaires et francophones) pour les quatre concepts (accent, compréhensibilité, beau français, acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s). Tous stimuli confondus, le tableau 5 montre que, excepté le degré d’accent, les évaluations des juges francophones sont plus indulgentes que celles des apprenant.e.s. En général, l’on note une assez grande variabilité des évaluations pour toutes les dimensions et tous les groupes de juges (écart-type fluctuant entre 1.39 et 2.41), ce qui s’explique par le fait que les valeurs moyennes se calculent sur la base des évaluations de la totalité des stimuli. Les évaluations portées sur la compréhensibilité sont, pour chacun des groupes de témoins (= juges), meilleures que les autres évaluations et les écarts-types correspondants sont les moins élevés. Si, en moyenne, les participant.e.s francophones donnent des jugements d’accent assez élevés, leurs évaluations du caractère exemplaire et, à un moindre degré, celles de l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s de français sont beaucoup plus favorables (3.83 vs 2.09 et 2.82). En revanche, les jugements du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle des apprenant.e.s dépassent leurs jugements du degré d’accent (débutant.e.s : 3.48 et 3.68 vs 3.32 ; intermédiaires : 3.71 et 3.78 vs 3.5).

 

Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones
moyenne écart-type moyenne écart-type moyenne écart-type
Accent 3.32 2.30 3.5 2.23 3.83 2.31
Compréhensibilité 2.70 1.76 2.45 1.68 1.95 1.39
Beau français (caractère exemplaire) 3.48 2.34 3.71 2.35 2.09 1.50
Acceptabilité comme modèle 3.68 2.41 3.78 2.40 2.82 2.09

Tab. 5 :

Valeur moyenne et écart-type des évaluations des trois groupes de témoins (= juges) pour chacune des questions (accent : 1 = pas d’accent … 9 = accent fort | compréhensibilité: 1 = facile à comprendre … 9 = impossible de comprendre | beau français & acceptabilité comme modèle : 1 = tout à fait d’accord… 9 = pas du tout d’accord ; cf. section 4.4)

En général, l’on constate que les auditeurs et auditrices n’ont pas usé de l’échelle entière (1–9), montrant une préférence évidente pour les niveaux bas (représentant des évaluations positives).

La figure 1 montre les évaluations moyennes des stimuli avec intervalle de confiance de 95 % par groupe de témoins et par concept. Les résultats suggèrent que l’origine des stimuli joue un rôle crucial dans les évaluations. Si le groupe de Belgique est évalué de manière similaire à celui de France, les évaluations des groupes du Québec, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne sont plus comparables à celles du groupe d’apprenant.e.s :

Fig. 1 :

Diagramme à barres avec barres d’erreurs (= 95 % intervalle de confiance) pour les évaluations moyennes des stimuli en fonction de leur origine, par groupe de témoins (compr. = compréhensibilité, exempl. = caractère exemplaire (beau français), accept. = acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s)

Pour vérifier l’impression que l’origine des stimuli joue un rôle important sur la perception de leur langue ainsi que pour examiner l’influence du type de question sur les évaluations, une analyse à modèle linéaire à effets mixtes a été effectuée (dans R et à l’aide du paquet lmerTest ; R Core Team 2020 ; Kuznetsova/Brockhoff/Christensen 2017).

Nous avons introduit les évaluations (1–9) comme variable dépendante et le niveau de langue des témoins (A1-A2, B1-B2, L1), l’origine des stimuli (France, Belgique, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne, apprenant.e.s) et le type de question (accent, compréhensibilité, exemplarité et acceptabilité) comme effets fixes. Un terme d’interaction a été ajouté pour chacune des combinaisons de ces variables. Afin de tenir compte du fait que chaque témoin ait jugé plusieurs enregistrements et que chaque stimulus ait été évalué plusieurs fois (quatre types de questions considérés ici) par chaque juge – ce qui entraîne une dépendance des évaluations les unes des autres qui empêche l’usage d’un modèle de régression ‘ordinaire’ –, nous avons ajouté des intercepts aléatoires pour les témoins et les stimuli. La normalité des résidus1 et l’homoscédasticité2 ont été examinées visuellement3 par l’inspection des résidus contre les valeurs prédites. Les composantes du modèle ont été estimées appliquant une analyse de variance au modèle (type III, approximation de Satterthwaite).

Curieusement, seulement le type de question s’est révélé significatif (F(3, 7340.0) = 127.96, p<0.001) alors que ni le niveau des témoins (F(2, 82.7) = 0.86, p>.05) ni l’origine des stimuli (F(5, 16.0) = 2.77, p>.05) ont eu un effet significatif. Cependant, le fait que toutes les interactions soient significatives4 montre que les variables dépendent les unes des autres : ainsi, le type de question influe de manière significativement différente sur les évaluations selon le niveau des témoins et selon l’origine des stimuli.

5.2 Les connaissances des variétés du français des participant.e.s

Afin de déterminer les connaissances et compétences perceptives des juges, d’un coté en matière d’accent étranger et de l’autre en ce qui concerne les variétés du français dans l’espace francophone, deux scores (= pourcentages des réponses correctes) ont été calculés pour chacun.e des participant.e.s. Le premier (score 1) représente le nombre de stimuli identifiés correctement comme natifs (L1) ou non-natifs (FLE) (→ S’agit-il d’un locuteur natif/d’une locutrice native ?) et le deuxième (score 2) symbolise le taux de réussite quant à l’origine des stimuli (→ D’où vient le locuteur/la locutrice ?). Comme nous l’avons déjà précisé, définir les concepts de langue première (L1), langue seconde (L2) et langue étrangère (FLE) en Afrique subsaharienne et au Maghreb se révèle assez complexe ; le score 1 ne se calcule donc qu’à la base des stimuli français, belges, québécois et des apprenant.e.s :


En ce qui concerne le score 2, nous avons procédé de la manière suivante : quand un.e juge a deviné correctement l’origine d’un stimulus français, belge ou québécois, il/elle recevait un point. Cependant, quand un.e juge a choisi une origine incorrecte ou bien quand il/elle a indiqué auparavant qu’il ne s’agissait pas d’une personne native (mais que la personne étaient en réalité française, belge ou québécoise et que le/la participant.e n’avait donc pas la possibilité de choisir une origine), il/elle recevait zéro points. Nous avons décidé de ne pas soustraire le nombre de tels cas du nombre total des stimuli français, belges et québécois dans le dénominateur :


La raison de ce choix est que ne pas compter les cas où un stimulus natif a été perçu comme non-natif auraient résulté en un score trop optimiste puisque seulement les stimuli univoques auraient été comptés.

Le score 1, présenté dans le tableau 6, montre les scores moyens des trois groupes de juges quant à l’identification correcte des stimuli natifs (français, belges, québécois uniquement) et non-natifs et représente donc les réponses à la question S’agit-il d’un locuteur natif/d’une locutrice native ? Pour donner un exemple d’interprétation, les juges débutant.e.s ont, en moyenne, correctement classifié 64.82 % des stimuli (soit env. 10 sur 16) comme provenant d’une personne native ou non-native. En revanche, le score 2 se réfère à l’identification correcte de l’origine des stimuli natifs (français, belges, québécois) : ainsi, un score de 19.71 % signifie que le groupe des témoins débutant.e.s a coché la réponse correcte à la question D’après vous : d’où vient le locuteur/la locutrice ? dans 19.71 % des cas en moyenne.

Les résultats suggèrent que les deux scores ne varient que très peu selon les niveaux de maîtrise des témoins apprenant.e.s, et que la seule différence pertinente est celle entre les apprenant.e.s et les francophones. Cette hypothèse est confirmée par des tests U de Mann-Whitney1 : seulement la différence entre juges francophones et chacun des deux groupes d’apprenant.e.s se révélait significative2. Ce ne sont que des tendances légères qui suggèrent que les débutant.e.s ont plus de difficultés à discriminer les stimuli natifs et non-natifs et qu’ils discernent moins souvent l’origine exacte des stimuli francophones.


Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones
moyenne écart-type moyenne écart-type moyenne écart-type
Score 1 : L1 vs FLE 64.82 % 8.8 67.58 % 6.86 81.25 % 10.1
Score 2 : Origine 19.71 % 10.91 21.7 % 10.5 58.89 % 14.63

Tab. 6 :

 

Pourcentage moyen et écart-type des deux scores calculés, par groupe de juges

On constatera que les écarts-types des deux scores sont assez élevés (d’où les différences non-significatives entre les groupes d’apprenant.e.s) : cela signale que, malgré leur homogénéité (cf. 4.3), les groupes d’apprenant.e.s, mais aussi le groupe natif contiennent des personnes ayant plus et d’autres ayant moins d’expérience (ou une meilleure intuition) quant aux variétés régionales.

Pour tenir compte des différences d’évaluation en fonction de l’origine des stimuli, le tableau 7 présente le score 1 des trois groupes de témoins en fonction de l’origine des stimuli et permet donc une vue plus différenciée des résultats :


Origine des stimuli Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones
France (n=3) 90.32 % 91.67 % 100 %
Belgique (n=3) 92.47 % 89.58 % 100 %
Québec (n=3) 33.33 % 37.5 % 93.33 %
Apprenant.e.s (n=7) 64.98 % 68.3 % 62.86 %

Tab. 7 :

Identification correcte des stimuli natifs vs non-natifs (score 1) selon l’origine des stimuli, par groupe de juges

Les stimuli français et belges ont été reconnus correctement comme natifs par 90.32/91.67/100 % (stimuli français) et 92.47/89.58/100 % (stimuli belges) des participant.e.s. Les juges francophones montraient le taux d’identification le plus bas pour le groupe des apprenant.e.s (62.86 % ; cela signifie qu’en moyenne 37.14 % des stimuli non-natifs ont été faussement identifié.e.s comme natifs). Si les apprenant.e.s obtenaient des scores similaires (même un peu plus élevés) à ceux des juges francophones en ce qui concerne l’identification des apprenant.e.s (64.98/68.3 % vs 62.86 %), ils/elles avaient visiblement beaucoup plus de difficultés à identifier les Québécois.e.s comme natifs/natives (identifié.e.s correctement dans seulement 33.33/37.5 % des cas en moyenne). Parmi les groupes d’apprenant.e.s, l’on ne constate, une fois de plus, que très peu de différences. Cependant, il existe un écart notable entre les apprenant.e.s et les francophones, surtout en ce qui concerne la perception des Québécois.e.s.

À première vue, nous avons constaté que certains stimuli sont correctement perçus par une grande partie des trois groupes de juges alors que d’autres semblent avoir été plus difficiles pour les témoins. Cependant, il faudra des analyses détaillées afin de découvrir d’éventuels schémas pertinents quant aux stimuli individuels qui puissent expliquer les résultats.