La prononciation du français langue étrangère

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5.3 Attitudes envers la variation du français

L’analyse de la question Étiez-vous conscient(e) du fait que le français (comme langue maternelle) se prononce différemment selon les pays (Canada, Belgique, Suisse, Afrique,…) avant de participer à cette étude ? (question qui apparaissait avec d’autres questions à la fin du questionnaire, cf. section 4.4) montre que presque tous/toutes les juges étaient déjà conscient.e.s de la variation régionale auparavant ; seulement 6.45 % des apprenant.e.s débutant.e.s, 9.38 % des apprenant.e.s intermédiaires et 0 % des francophones ont répondu que non.

La situation se présente plus nuancée quant aux deux questions figurant dans le tableau 8. Celui-ci donne les pourcentages des participant.e.s ayant indiqué être d’accord ou ne pas être d’accord avec les deux citations qui visent à dévoiler les attitudes explicites des participant.e.s :


Question Attitude Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones
Tous les Français et Francophones devraient parler le même français, le français standard. Il ne devrait pas y avoir de variétés ou de dialectes. POUR 6.45 % 3.45 % 0.0 %
CONTRE 93.55 % 96.55 % 100.0 %
Dans l’enseignement du FLE (Français Langue Étrangère), il suffit que les apprenant.e.s apprennent le français de France. POUR 86.67 % 55.17 % 10.0 %
CONTRE 13.33 % 44.83 % 90.0 %

Tab. 8 :

Attitudes envers la variation du français et l’enseignement de la variation (cf. section 4.4) : pourcentages par groupe de juges

Si les participant.e.s convergent en grande partie dans leurs réponses à la question 1 (les témoins francophones et presque tous les apprenant.e.s (93.55/96.55 %) rejetant l’idée que tous les Français.e.s et francophones devraient parler le même français), la réponse à la question 2 dépend largement du niveau de maîtrise du français : alors que 90 % des participant.e.s francophones favorisent l’enseignement des variétés du français hors de France en classe de FLE et que 44.83 % des apprenant.e.s intermédiaires partagent cet avis, 86.67 % des apprenant.e.s débutant.e.s sont d’avis qu’il suffit d’apprendre le français de France.

6 Discussion

Afin de pouvoir répondre à nos questions de recherche, nous avons demandé à nos participant.e.s (francophones et apprenant.e.s) d’évaluer six groupes de stimuli : des apprenant.e.s de français et des francophones originaires de France, de Belgique, du Québec, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Les évaluations concernant le degré d’accent, la compréhensibilité, le caractère exemplaire (beau français) et l’acceptabilité comme modèle ont été comparées entre les juges apprenant.e.s (subdivisé.e.s en deux groupes en fonction de leur maîtrise du français : débutant.e.s et intermédiaires) et les témoins francophones. Par la suite, l’analyse de deux scores, calculés séparément pour chacun.e des participant.e.s et représentant le nombre total des stimuli identifié.e.s correctement comme natifs ou non-natifs ainsi que le taux de réussite quant à l’identification de l’origine des stimuli, permettait d’évaluer le niveau de connaissances préalables, les intuitions et les impressions subjectives de nos juges. Finalement, les attitudes et représentations mentales des participant.e.s quant à la variation régionale ont été examinées moyennant l’analyse des réponses à certaines questions du questionnaire.

La première question de recherche visait à savoir si les apprenant.e.s intermédiaires se distinguaient des apprenant.e.s débutant.e.s et des francophones quant à la perception d’extraits sonores de francophones et d’apprenant.e.s. Contrairement à nos attentes, les résultats ne révèlent pas de nette différence entre les niveaux, mais on constate tout de même des tendances démontrant que les juges apprenant.e.s diffèrent dans leurs évaluations des quatre dimensions par rapport aux témoins francophones.

Si toutes les évaluations tendent à se situer en bas de l’échelle 1–9, indiquant ainsi des jugements plutôt positifs en général, l’on discerne que la compréhensibilité est la dimension la plus positivement évaluée (cf. aussi Munro/Derwing 1995), résultat d’ailleurs peu surprenant vu que les participant.e.s connaissaient déjà le texte.

En outre, on constate une légère tendance suggérant que les juges francophones évaluent de manière un peu plus stricte que les apprenant.e.s le degré d’accent des stimuli natifs (mais non des stimuli non-natifs). À titre de comparaison, pour ce qui est des études examinant les évaluations de stimuli non-natifs, les uns ont constaté que les apprenant.e.s jugeaient plus strictement (cf. Fayer/Krasinski 1987 ; Gordon 2018 ; Kang/Rubin/Kermad 2019) tandis que d’autres n’ont pas révélé de telle différence (cf. Kim 2009 ; Xi/Mollaun 2011 ; Zhang/Elder 2011).

En revanche, les apprenant.e.s évaluent plus négativement l’exemplarité (beau français) et l’acceptabilité des stimuli. En général, on note des écarts-types très larges, qui suggèrent une grande variabilité des évaluations dans les groupes ; étant donné que celle-ci est plus importante que la variance entre-groupes, il est vivement déconseillé d’en tirer des conclusions précipitées.

Enfin, les stimuli belges sont jugés de manière similaire que les stimuli français alors que les évaluations des stimuli du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne et du Québec sont plus proches de celles des stimuli non-natifs. À première vue, cela contraste avec les résultats de Chalier (à paraître), Pustka et al. (2019) et Šebková, Reinke et Beaulieu (2020), qui ont dégagé un prestige non seulement latent, mais aussi manifeste (d’une certaine variété) du français du Québec. Notre intention ayant été d’analyser la perception d’apprenant.e.s, nous n’avons inclus que 10 juges francophones, un nombre trop réduit pour analyser en détail les évaluations en fonction de l’origine des juges francophones, ce qui empêche donc une comparaison de nos résultats avec les études mentionnées. Ce qui est intéressant, c’est que, notamment dans le cas du Québec, mais aussi pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne, les francophones évaluent les stimuli de manière beaucoup plus positive quant à l’exemplarité (beau français) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s comparé à la dimension du degré d’accent. Si ces évaluations (exemplarité et acceptabilité) diffèrent toujours de celles des stimuli français et belges, elles montrent tout de même une certaine prise de conscience et des attitudes pas si négatives que cela des francophones envers ces variétés comparé aux juges apprenant.e.s.

Il est intéressant de comparer les données aux résultats de Didelot (2019), qui a obtenu des évaluations très positives de témoins francophones (suisses et français.e.s) pour les locuteurs et locutrices parisien.ne.s, suisses romand.e.s et germanophones, des évaluations moins favorables pour les autres groupes d’apprenant.e.s (italien, hispanophone et japonais) et des évaluations assez mauvaises pour les stimuli de la Côte d’Ivoire (pour la dimension degré de convenance pour un poste de chargé d’enseignant de français). Ayant analysé la perception des stimuli de la Côte d’Ivoire, elle constate que « cette variété semble tellement éloignée de la norme dans l’imaginaire collectif européen qu’elle est d’ailleurs considérée comme non native par près de 70 % de nos auditeurs » (Didelot 2019 : 120). Cependant, il faudra analyser de manière précise les stimuli natifs et non-natifs de Didelot (2019) et de l’enquête présente afin de pouvoir comparer les résultats des deux études (le niveau de maîtrise du français des apprenant.e.s – C1 dans le cas de Didelot et B1-C2, mais majoritairement également C1, dans notre travail – n’étant pas nécessairement un bon prédicteur du degré d’accent, cf. Cook 1999). Car, comme l’a montré Chalier (2018) pour le cas du Québec, le fait qu’il s’agisse d’un accent régional faiblement ou fortement marqué peut nettement influencer les évaluations.

Quant à la deuxième question de recherche (Est-ce que la capacité à déterminer si un accent est natif ou non-natif dépend du niveau de langue de la personne qui le juge ?), nous avons prédit, à la base de la littérature antérieure (Schoonmaker-Gates 2012 ; Wilkerson 2010), que le niveau de maîtrise de français influera sur la capacité de discriminer ces deux groupes. Sachant que les juges avaient une chance de 50 % de deviner correctement le statut natif/non-natif des stimuli, les scores de 64.82 % (A1-A2) et 67.58 % (B1-B2) indiquent que les apprenant.e.s ne répondent pas au hasard, mais ont tout de même des difficultés à différencier les stimuli natifs et non-natifs. Étant donné que les témoins de l’étude présente devaient reconnaître des stimuli francophones ‘non-standard’ comme natifs, cela est peu étonnant. En outre, même les juges francophones n’ont pas réussi à identifier correctement le statut français L1 ou français langue étrangère de tous les stimuli (81.25 %). Cela s’explique dans notre cas en grande partie par l’attribution erronée de plusieurs apprenant.e.s (cf. 4.1) au groupe des stimuli natifs1, comme le montre un regard sur le tableau 7 (représentant le score 1 des groupes de témoins, en fonction de l’origine des stimuli).

 

Pour ce qui est du score 2 (deviner l’origine des stimuli natifs) et donc de la troisième question de recherche (Est-ce que la capacité à identifier correctement l’origine géographique d’un accent dépend du niveau de langue de la personne qui l’entend ?), l’on pouvait s’attendre à ce que la tâche présente des difficultés considérables pour les apprenant.e.s de tous les niveaux (cf. Bergeron/Trofimovich 2019 ; Neufeld 1980). En effet, comparé au score 1, le taux de réussite des apprenant.e.s tombe considérablement (A1-A2 : 19.71 %, B1-B2 : 21.7 %, francophones : 58.89 %), ce qui s’explique d’un côté par un manque de connaissances en matière de variation régionale, de l’autre côté par notre choix méthodologique conservatif quant au score 2 (cf. 5.2). À titre de comparaison, les francophones montrent aussi des difficultés à choisir la bonne origine des stimuli, mais identifient tout de même correctement la provenance de la majorité des stimuli (58.89 %). Cela confirme les résultats d’Avanzi et Boula de Mareüil (2017), qui ont fait choisir l’origine de stimuli français, belges et suisses à des participant.e.s de ces trois régions et ont obtenu un score de 60 %.

À première vue, le score 2 de nos apprenant.e.s peut paraitre assez faible. Cependant – et cela est également valable pour le score 1 – faute d’études d’une aussi large étendue que la nôtre (rappelons que nous avons inclus comme stimuli des francophones de plusieurs régions ainsi que des apprenant.e.s de différents L1), ces résultats ne peuvent être directement comparés à des enquêtes antérieures comme celles de Neufeld (1980) ou Bergeron et Trofimovich (2019) : dans ces études, les participant.e.s ne devaient écouter que des stimuli natifs et, de plus, n’avaient à choisir qu’entre trois options (France, Québec et autre). L’interprétation des résultats doit donc se faire au vu des difficultés imposées à nos participant.e.s : la différenciation entre un grand nombre de variétés (France, Belgique, Suisse, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne, autre) en plus de la discrimination entre stimuli natifs et non-natifs. Prenant en considération que le taux de réussite au hasard s’élève à 8.33 % pour chaque stimulus, l’on peut tout de même suggérer que même les apprenant.e.s n’ont pas répondu à ces questions accidentellement ou sans réflexion.

Quant à la conscience et les attitudes de nos participant.e.s envers la variation régionale (quatrième question de recherche), nous nous attendions, suivant Merlo (2011), à un manque de connaissances ainsi que des attitudes plutôt négatives envers les variétés natives de la part des apprenant.e.s. Bien au contraire, nous avons constaté que presque tous/toutes les apprenant.e.s (et, ce qui est moins surprenant, la totalité des francophones) étaient conscient.e.s de l’hétérogénéité de la langue française avant de participer à cette enquête. De même, au niveau normatif, presque tous/toutes les apprenant.e.s convergent avec les participant.e.s francophones, rejetant la position en faveur d’un français standard homogène parlé par tous/toutes les francophones. Par contre, alors que les francophones favorisent l’intégration de la variation en classe de FLE, moins de la moitié des apprenant.e.s intermédiaires partagent ce point de vue et presque tous/toutes les apprenant.e.s débutant.e.s le rejettent : ils/elles sont plutôt d’avis qu’apprendre le « français de France » suffit dans l’enseignement du FLE. Cela s’explique peut-être par le fait que les apprenant.e.s soient surmené.e.s au début de l’apprentissage, mais s’habituent à la langue au fil du temps et aient alors plus de capacités pour apprendre plus qu’une variété2.

Intéressons-nous maintenant à notre question subordonnée : Qu’est-ce que les évaluations révèlent sur les normes implicites des francophones et des apprenant.e.s ? Les normes implicites convergent-elles avec les normes explicites ? Alors que les réponses explicites du questionnaire ont montré des attitudes généralement positives des francophones ainsi que des apprenant.e.s envers les variétés du français et l’enseignement de ces variétés, l’analyse des évaluations du degré d’accent, du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s montre des différences considérables entre les stimuli français et belges d’un côté et québécois, maghrébins, africains subsahariens et non-natifs de l’autre. Nous avançons que cette différence entre réponses explicites et implicites est due au fait que ces dernières soient plus influencées par les stéréotypes inconscients. Cela explique la nécessité de les examiner séparément (cf. Chalier à paraître). S’il est aisément possible de demander à des personnes leur avis sur tel ou tel sujet, les représentations cognitives ne deviennent visibles qu’à travers un comportement spontané (dans notre cas, les évaluations du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s du FLE).

Analysant les jugements présentés dans la figure 1, nous voyons de manière très explicite que les stimuli français et belges obtiennent les meilleures évaluations dans toutes les dimensions et par tous les groupes de juges. Cela signifie que les participant.e.s sont d’avis que les Français.e.s et Belges de notre étude…

 n’ont presque pas d’accent ;

 sont très facilement compréhensibles ;

 parlent du « beau français » ;

 seraient de très bons modèles pour des apprenant.e.s de FLE.

Considérant que les stimuli belges sont jugés de manière très similaire au groupe des Français.e.s ouvre deux possibilités d’interprétation (qui ne s’excluent pas) : soit nous avons affaire à une conception eurocentrique de la norme, soit les similarités résultent des difficultés des participant.e.s à différencier les stimuli français et belges. Il faudra des analyses détaillées pour pouvoir répondre à cette question.

Si les témoins francophones ont généralement évalué l’accent de manière plus négative que le caractère exemplaire (beau français) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s, montrant ainsi une certaine tolérance envers des variétés qu’ils/elles considèrent comme divergentes (sur la dimension de l’accent), les jugements d’acceptabilité (plus négatifs pour les stimuli du Québec, de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb ainsi que pour les apprenant.e.s que pour les groupes de France et de Belgique) dévoilent toutefois leur préférence pour un modèle si non exclusivement hexagonal, alors eurocentrique natif, à présenter aux apprenant.e.s du FLE. Les participant.e.s apprenant.e.s démontrent non seulement, eux/elles aussi, une claire préférence pour les variétés natives européennes, mais jugent bien plus sévèrement que les participant.e.s francophones les stimuli du Québec, de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb en ce qui concerne le caractère exemplaire (beau français) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s. D’ailleurs, il est intéressant de noter que l’écart important entre les apprenant.e.s débutant.e.s et intermédiaires quant à la question s’il suffit que l’on enseigne aux apprenant.e.s « le français de France » (rappelons-nous que les intermédiaires se présentaient beaucoup plus ouvert.e.s que les débutant.e.s au sujet de l’ouverture de l’enseignement vers la variation régionale) ne se reflète pas dans les évaluations de l’acceptabilité : ainsi, même si plusieurs participant.e.s intermédiaires indiquent être d’accord avec l’intégration des variétés en classe de FLE, ils/elles continuent à croire (du moins de manière implicite) qu’un bon modèle pour des apprenant.e.s. ne peut être autre qu’un locuteur /qu’une locutrice français.e (ou belge). Finalement, force est de constater que les évaluations du caractère exemplaire (beau français) ressemblent beaucoup à celles de l’acceptabilité, ce qui suggère que les réactions subjectives des participant.e.s (à quel point il s’agit de beau français) influent sur leur jugement concernant le type de locuteur/locutrice qui convient comme modèle pour les apprenant.e.s (ou vice versa).

7 Conclusion

Dans le cadre de cette étude, nous nous intéressions à la perception des apprenant.e.s de stimuli natifs (francophones de différentes régions) et non-natifs et comparions leurs connaissances des variétés régionales ainsi que leurs représentations mentales quant aux normes de prononciation à celles de juges francophones.

Les résultats de cette enquête présentent des tendances suggérant que les apprenant.e.s se distinguent des francophones quant à la perception et évaluation de différentes variétés natives (cf. figure 1), et qu’il leur manque des connaissances en matière de variétés régionales (cf. tableau 6). En outre, nous avons constaté chez les apprenant.e.s des représentations mentales de normes (du moins en partie) contradictoires (ou plutôt nuancées ?) : ainsi, si nous avons montré que la plupart des apprenant.e.s semblent avoir une conception ouverte envers la variation régionale (résultat qui contraste avec les travaux précédents ; cf. p. ex. Bergeron/Trofimovich 2019 ; Merlo 2011), leurs évaluations du caractère exemplaire et de l’acceptabilité des stimuli reflètent une vision monocentrique du français. Par ailleurs, alors que les apprenant.e.s du niveau débutant trouvent suffisant de se concentrer sur une variété, une partie non négligeable des élèves du niveau intermédiaire ont exprimé une position favorable à l’intégration de la variation diatopique en classe de FLE. Pour ce qui est des implications pédagogiques, l’on pourrait donc en déduire que l’exposition des apprenant.e.s (à partir du niveau B) aux variétés répondrait aux souhaits de plusieurs apprenant.e.s. De plus, cela élargirait leur horizon (culturel) et améliorerait certainement leurs capacités de compréhension vis-à-vis de ces variétés (cf. Bybee 2001 ; Ellis 2002).

Nonobstant, force est de constater (pas seulement dans l’étude présente) que les témoins francophones montrent une préférence pour certaines variétés et dévaluent d’autres. Il est assez improbable que les attitudes des apprenant.e.s changent tant qu’une grande partie des francophones garde leur perception traditionnelle (quoique atténuée) du français comme langue monocentrique1, orientée vers l’usage (idéalisé) de la France (septentrionale). Nous insistons donc sur le fait que la discussion concernant l’évaluation positive des variétés du français dans l’espace francophone devrait d’abord s’appuyer sur les attitudes des francophones eux-mêmes/elles-mêmes (en France et hors de France). Notre conclusion est donc la suivante : si faire écouter aux apprenant.e.s de façon guidée les diverses voix de la francophonie les aidera sûrement à améliorer leur compréhension des variétés diatopiques, il faudrait espérer d’abord un changement des représentations mentales implicites des francophones natifs/natives (une attitude positive et un sentiment de légitimité quant aux variétés régionales d’au moins la majorité des francophones) pour pouvoir changer, de manière efficace, d’abord les attitudes des enseignant.e.s non-natifs/non-natives de FLE, et ensuite les attitudes des apprenant.e.s envers les variétés. Après tout, il est plus que désirable que les inégalités – dans ce cas celles qui résultent d’un accent régional – disparaissent aussitôt que possible.

Bien évidemment, notre étude connaît des limites : premièrement, dû aux restrictions liées à la pandémie de COVID-19, les participant.e.s ont effectué le test de perception sous leur propre responsabilité, rendant ainsi tout contrôle de la part des chercheuses impossibles. Ensuite, par souci de réduire la durée nécessaire pour effectuer le test de perception à une soixantaine de minutes, nous n’avons inclus que trois personnes par variété. Puisqu’il n’est pas possible de contrôler parfaitement leur représentativité, il faudrait inclure, dans une étude future, plus de locuteurs/locutrices par variété, risquant toutefois d’obtenir des réponses influencées par un effet de fatigue. En outre, les apprenant.e.s forment un groupe assez homogène au niveau de l’âge, mais où les femmes constituent la grande majorité. On ne peut donc pas extrapoler les résultats de leurs évaluations. Le groupe des juges francophones est, a contrario, assez hétérogène ; cependant, vu le nombre limité de personnes par origine, analyser leurs évaluations en fonction de leur origine n’aurait pas donné de résultats fiables. Il sera donc pertinent, dans une future étude, d’inclure plus de témoins francophones de différentes régions.

 

Avec ces premiers résultats nous avons donné une vue d’ensemble sur la perception d’apprenant.e.s du français de plusieurs variétés natives et sur leurs représentations cognitives. Nos résultats suggèrent que chaque individu dispose d’une norme implicite avec laquelle chaque variété est inconsciemment contrastée pendant que l’input linguistique est traité mentalement. La construction de cette norme est souvent guidée par des stéréotypes ancrés dans le savoir culturel et épistémique, ce qui a un effet sur les évaluations des accents (cf. Boughton 2006 : 278 ; Preston 1996, 1999 : 369–370). Même s’il faudra plus d’études à ce sujet, les résultats peuvent déjà servir comme point de départ pour de futures enquêtes qui devraient par ailleurs non seulement se concentrer sur la variation régionale, mais aussi élargir ce domaine en analysant le statut de la variation sociale et stylistique dans l’enseignement du FLE.