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Discours par Maximilien Robespierre — 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792

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Est-ce donc avec cette légèreté qu'il faut traiter des plus grands intérêts de l'Etat?

Avant de vous égarer dans la politique et dans les Etats des princes de l'Europe, commencez par ramener vos regards sur votre position intérieure; remettez l'ordre chez vous avant de porter la liberté ailleurs. Mais vous prétendez que ce soin ne doit pas même vous occuper, comme si les règles ordinaires du bon sens n'étaient pas faites pour les grands politiques. Remettre l'ordre dans les finances, en arrêter la déprédation, armer le peuple et les gardes nationaux, faire tout ce que le gouvernement a voulu empêcher jusqu'ici, pour ne redouter ni les attaques de nos ennemis, ni les intrigues ministérielles, ranimer par des lois bienfaisantes, par un caractère soutenu d'énergie, de dignité, de sagesse, l'esprit public et l'horreur de la tyrannie, qui seule peut nous rendre invincibles contre tous nos ennemis, tout cela ne sont que des idées ridicules; la guerre, la guerre, dès que la cour la demande; ce parti dispense de tout autre soin, on est quitte envers le peuple dès qu'on lui donne la guerre; la guerre contre les justiciables de la cour nationale, ou contre des princes allemands; confiance, idolâtrie pour les ennemis du dedans. Mais que dis-je? En avons-nous, des ennemis du dedans? Non, vous n'en connaissez pas, vous ne connaissez que Coblentz. N'avez-vous pas dit que le siège du mal est à Coblentz? Il n'est donc pas à Paris? Il n'y a donc aucune relation entre Coblentz et un autre lieu qui n'est pas loin de nous? Quoi! vous osez dire que ce qui a fait rétrograder la révolution, c'est la peur qu'inspirent à la nation les aristocrates fugitifs qu'elle a toujours méprisés; et vous attendez de cette nation des prodiges de tous les genres! Apprenez donc qu'au jugement de tous les Français éclairés, le véritable Coblentz est en France, que celui de l'évêque de Trêves n'est que l'un des ressorts d'une conspiration profonde tramée contre la liberté, dont le foyer, dont le centre, dont les chefs sont au milieu de nous. Si vous ignorez tout cela, vous êtes étranger à tout ce qui se passe dans ce pays-ci. Si vous le savez, pourquoi le niez-vous? pourquoi détourner l'attention publique de nos ennemis les plus redoutables, pour la fixer sur d'autres objets, pour nous conduire dans le piège où ils nous attendent?

D'autres personnes, sentant vivement la profondeur de nos maux, et connaissant leur véritable cause, se trompent évidemment sur le remède. Dans une espèce de désespoir, ils veulent se précipiter sur la guerre étrangère, comme s'ils espéraient que le mouvement seul de la guerre nous rendra la vie, ou que de la confusion générale sortiront enfin l'ordre et la liberté. Ils commettent la plus funeste des erreurs, parce qu'ils ne discernent pas les circonstances et confondent des idées absolument distinctes. II est dans les révolutions des mouvements contraires et des mouvements favorables à la liberté, comme il est dans les maladies des crises salutaires et des crises mortelles.

Les mouvements favorables sont ceux qui sont dirigés directement contre les tyrans, comme l'insurrection des Américains, ou comme celle du 14 juillet; mais la guerre au dehors, provoquée, dirigée par le gouvernement dans les circonstances où nous sommes, est un mouvement à contre-sens, c'est une crise qui peut conduire à la mort du corps politique. Une telle guerre ne peut que donner le change à l'opinion publique, faire diversion aux justes inquiétudes de la nation, et prévenir la crise favorable que les attentats des ennemis de la liberté auraient pu amener. C'est sous ce rapport que j'ai d'abord développé les inconvénients de la guerre. Pendant la guerre étrangère, le peuple, comme je l'ai déjà dit, distrait par les événements militaires des délibérations politiques qui intéressent les bases essentielles de sa liberté, prête une attention moins sérieuse aux sourdes manoeuvres des intrigants qui les minent, du pouvoir exécutif qui les ébranle, à la faiblesse ou à la corruption des représentants qui ne les défendent pas. Cette politique fut connue de tout temps, et, quoi qu'en ait dit M. Brissot, il est applicable et frappant l'exemple des aristocrates de Rome que j'ai cité; quand le peuple réclamait ses droits contre les usurpations du sénat et des patriciens, le sénat déclarait la guerre, et le peuple, oubliant ses droits et ses outrages, ne s'occupait que de la guerre, laissait au sénat son empire, et préparait de nouveaux triomphes aux patriciens. La guerre est bonne pour les officiers militaires, pour les ambitieux, pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d'événements; elle est bonne pour les ministres, dont elle couvre les opérations d'un voile plus épais et presque sacré; elle est bonne pour la cour, elle est bonne pour le pouvoir exécutif dont elle augmente l'autorité, la popularité, l'ascendant; elle est bonne pour la coalition des nobles, des intrigants, des modérés, qui gouvernent la France. Cette faction peut placer ses héros et ses membres à la tête de l'armée; la cour peut confier les forces de l'Etat aux hommes qui peuvent la servir dans l'occasion avec d'autant plus de succès qu'on leur aura travaillé une espèce de réputation de patriotisme; ils gagneront les coeurs et la confiance des soldats pour les attacher plus fortement à la cause du royalisme et du modérantisme; voilà la seule espèce de séduction que je craigne pour les soldats: ce n'est pas sur une désertion ouverte et volontaire de la cause publique qu'il faut me rassurer. Tel homme qui aurait horreur de trahir la patrie peut être conduit par des chefs adroits à porter le fer dans te sein des meilleurs citoyens; le mot perfide de républicain et de factieux, inventé par la secte des ennemis hypocrites de la Constitution, peut armer l'ignorance trompée contre la cause du peuple. Or, la destruction du parti patriotique est le grand objet de tous leurs complots; dès qu'une fois ils l'ont anéanti, que reste-t-il, si ce n'est la servitude? Ce n'est pas une contre-révolution que je crains; ce sont les progrès des faux principes, de l'idolâtrie, et la perte de l'esprit public. Or, croyez-vous que ce soit un médiocre avantage pour la cour et pour le parti dont je parle, de cantonner les soldats, de les camper, de les diviser en corps d'armée, de les isoler des citoyens, pour substituer insensiblement, sous les noms imposants de discipline militaire et d'honneur, l'esprit d'obéissance aveugle et absolue, l'ancien esprit militaire enfin, à l'amour de la liberté, aux sentiments populaires qui étaient entretenus par leur communication avec le peuple? Quoique l'esprit de l'armée soit encore bon en général, devez-vous vous dissimuler que l'intrigue et la suggestion ont obtenu des succès dans plusieurs corps, et qu'il n'est plus entièrement ce qu'il était dans les premiers jours de la révolution? Ne craignez-vous pas le système constamment suivi depuis si longtemps, de ramener l'armée au pur amour des rois, et de la purger de l'esprit patriotique, qu'on a toujours paru regarder comme une peste qui la désolait? Voyez-vous sans quelque inquiétude le voyage du ministre et la nomination de tel général fameux par les désastres des régiments les plus patriotes? Comptez-vous pour rien le droit de vie et de mort arbitraire dont la loi va investir nos patriciens militaires, dès le moment où la nation sera constituée en guerre? Comptez-vous pour rien l'autorité de la police qu'elle remet aux chefs militaires dans toutes nos villes frontières? A-t-on répondu à tous ces faits par la dissertation sur la dictature des Romains, et par le parallèle de César avec nos généraux? On a dit que la guerre en imposerait aux aristocrates du dedans, et tarirait la source de leurs manoeuvres; point du tout, ils devinent trop bien les intentions de leurs amis secrets pour en redouter l'issue; ils n'en seront que plus actifs à poursuivre la guerre sourde qu'ils peuvent nous faire impunément, en semant la division, le fanatisme, et en dépravant l'opinion. C'est surtout alors que le parti modéré, revêtu des livrées du patriotisme, dont les chefs sont les artisans de cette trame, déploiera toute sa sinistre influence; c'est alors qu'au nom du salut public, ils imposeront silence à quiconque oserait élever quelques soupçons sur la conduite ou sur les intentions des agents du pouvoir exécutif, sur lequel il reposera, des généraux qui seront devenus, comme lui, l'espoir et l'idole de la nation; si l'un de ces généraux est destiné à remporter quelque succès apparent, qui, je crois, ne sera pas fort meurtrier pour les émigrants, ni fatal à leurs protecteurs, quel ascendant ne donnera-l-il pas à son parti? quels services ne pourra-t-il pas rendre à la cour? C'est alors qu'on fera une guerre plus sérieuse aux véritables amis de la liberté, et que le système perfide de l'égoïsme et de l'intrigue triomphera. L'esprit public une fois corrompu, alors jusqu'où le pouvoir exécutif et les factieux qui le serviront ne pourront-ils pas pousser leurs usurpations? Il n'aura pas besoin de compromettre le succès de ses projets par une précipitation imprudente; il ne se pressera pas peut-être de proposer le plan de transaction dont on a déjà parlé: soit qu'il tienne à celui-là, soit qu'il en adopte un autre, que ne peut-il attendre du temps, de la langueur, de l'ignorance, des divisions intestines, des manoeuvres de la nombreuse cohorte de ses affidés dans le Corps législatif, de tous les ressorts enfin qu'il prépare depuis si longtemps?

Nos généraux, dites-vous, ne nous trahiront pas; et si nous étions trahis, tant mieux! Je ne vous dirai pas que je trouve singulier ce goût pour la trahison; car je suis en cela parfaitement de votre avis. Oui, nos ennemis sont trop habiles pour nous trahir ouvertement, comme vous l'entendez; l'espèce de trahison que nous avons à redouter, je viens de vous la développer, celle-là n'avertit point la vigilance publique; elle prolonge le sommeil du peuple jusqu'au moment où on l'enchaîne; celle-là ne laisse aucune ressource; celle-là... tous ceux qui endorment le peuple en favorisent le succès; et remarquez bien que, pour y parvenir, il n'est pas même nécessaire de faire sérieusement la guerre; il suffit de nous constituer sur le pied de guerre; il suffit de nous entretenir de l'idée d'une guerre étrangère: n'en recueillît-on d'autre avantage que les millions qu'on se fait compter d'avance, on n'aurait pas tout à fait perdu sa peine. Ces 20 millions, surtout dans le moment où nous sommes, ont au moins autant de valeur que les adresses patriotiques où l'on prêche au peuple la confiance et la guerre.

 

Je décourage la nation, dites-vous; non, je l'éclaire; éclairer des hommes libres, c'est réveiller leur courage, c'est empêcher que leur courage même ne devienne l'écueil de leur liberté; et n'eussé-je fait autre chose que de dévoiler tant de pièges, que de réfuter tant de fausses idées et de mauvais principes, que d'arrêter les élans d'un enthousiasme dangereux, j'aurais avancé l'esprit public et servi la patrie.

Vous avez dit encore que j'avais outragé les Français en doutant de leur courage et de leur amour pour la liberté. Non, ce n'est point le courage des Français dont je me méfie, c'est la perfidie de leurs ennemis que je crains; que la tyrannie les attaque ouvertement, ils seront invincibles; mais le courage est inutile contre l'intrigue.

Vous avez été étonné, avez-vous dit, d'entendre un défenseur du peuple calomnier et avilir le peuple. Certes, je ne m'attendais pas à un pareil reproche. D'abord, apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple; jamais je n'ai prétendu à ce titre fastueux; je suis du peuple, je n'ai jamais été que cela, je ne veux être que cela; je méprise quiconque a la prétention d'être quelque chose de plus. S'il faut dire plus, j'avouerai que je n'ai jamais compris pourquoi on donnait des noms pompeux à la fidélité constante de ceux qui n'ont point trahi sa cause; serait-ce un moyen de ménager une excuse à ceux qui l'abandonnent, en présentant la conduite contraire comme un effort d'héroïsme et de vertu? Non, ce n'est rien de tout cela; ce n'est que le résultat naturel du caractère de tout homme qui n'est point dégradé. L'amour de la justice, de l'humanité, de la liberté, est une passion comme une autre; quand elle est dominante, on lui sacrifie tout; quand on a ouvert son âme à des passions d'une autre espèce, comme à la soif de l'or ou des honneurs, on leur immole tout, et la gloire, et la justice, et l'humanité, et le peuple, et la patrie. Voilà tout le secret du coeur humain; voilà toute la différence qui existe entre le crime et la probité, entre les tyrans et les bienfaiteurs de leur pays.

Que dois-je donc répondre au reproche d'avoir avili et calomnié le peuple? Non, on n'avilit point ce qu'on aime, on ne se calomnie pas soi-même.

J'ai avili le peuple! Il est vrai que je ne sais point le flatter pour le perdre; que j'ignore l'art de le conduire au précipice par des routes semées de fleurs: mais en revanche, c'est moi qui sus déplaire à tous ceux qui ne sont pas peuple, en défendant, presque seul, les droits des citoyens les plus pauvres et les plus malheureux contre la majorité des législateurs; c'est moi qui opposai constamment la déclaration des droits à toutes ces distinctions calculées sur la quotité des impositions, qui laissaient une distance entre des citoyens et des citoyens; c'est moi qui défendis, non seulement les droits du peuple, mais son caractère et ses vertus; qui soutins contre l'orgueil et les préjugés que les vices ennemis de l'humanité et de l'ordre social allaient toujours en décroissant, avec les besoins factices et l'égoïsme, depuis le trône jusqu'à la chaumière; c'est moi qui consentis à paraître exagéré, opiniâtre, orgueilleux même, pour être juste.

Le vrai moyen de témoigner son respect pour le peuple n'est point de l'endormir en lui vantant sa force et sa liberté, c'est de le défendre, c'est de le prémunir contre ses propres défauts; car le peuple même en a. Le peuple est là, est dans ce sens un mot très dangereux. Personne ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que personne ne l'a plus aimé. "Le peuple veut toujours le bien, mais il ne le voit pas toujours." Pour compléter la théorie des principes des gouvernements, il suffirait d'ajouter: les mandataires du peuple voient souvent le bien, mais ils ne le veulent pas toujours. Le peuple veut le bien, parce que le bien public est son intérêt, parce que les bonnes lois sont sa sauvegarde; ses mandataires ne le veulent pas toujours, parce qu'ils se forment un intérêt séparé du sien, et qu'ils veulent tourner l'autorité qu'il leur confie au profit de leur orgueil. Lisez ce que Rousseau a écrit du gouvernement représentatif, et vous jugerez si le peuple peut dormir impunément. Le peuple cependant sent plus vivement et voit mieux tout ce qui tient aux premiers principes de la justice et de l'humanité que la plupart de ceux qui se séparent de lui; et son bon sens à cet égard est souvent supérieur à l'esprit des habiles gens; mais il n'a pas la même aptitude à démêler les détours de la politique artificieuse qu'ils emploient pour le tromper et pour l'asservir, et sa bonté naturelle le dispose à être la dupe des charlatans politiques. Ceux-ci le savent bien, et ils en profitent.

Lorsqu'il s'éveille et déploie sa force et sa majesté, ce qui arrive une fois dans des siècles, tout plie devant lui; le despotisme se prosterne contre terre, et contrefait le mort, comme un animal lâche et féroce à l'aspect du lion; mais bientôt il se relève; il se rapproche du peuple d'un air caressant; il substitue la ruse à la force; on le croit converti; on a entendu sortir de sa bouche le mot de liberté: le peuple s'abandonne à la joie, à l'enthousiasme; on accumule entre ses mains des trésors immenses, on lui livre la fortune publique; on lui donne une puissance colossale; il peut offrir des appâts irrésistibles à l'ambition et à la cupidité de ses partisans, quand le peuple ne peut payer ses serviteurs que de son estime. Bientôt quiconque a des talents avec des vices lui appartient; il suit constamment un plan d'intrigue et de séduction; il s'attache surtout à corrompre l'opinion publique; il réveille les anciens préjugés, les anciennes habitudes qui ne sont point encore effacées; il entretient la dépravation des moeurs qui ne sont point encore régénérées; il étouffe le germe des vertus nouvelles; la horde innombrable de ses esclaves ambitieux répand partout de fausses maximes; on ne prêche plus aux citoyens que le repos et la confiance; le mot de liberté passe presque pour un cri de sédition; on persécute, on calomnie ses plus zélés défenseurs; on cherche à égarer, à séduire, ou à maîtriser les délégués du peuple; des hommes usurpent sa confiance pour vendre ses droits, et jouissent en paix des fruits de leurs forfaits. Ils auront des imitateurs qui, en les combattant, n'aspireront qu'à les remplacer. Les intrigants et les partis se pressent comme les flots de la mer. Le peuple ne reconnaît les traîtres que lorsqu'ils lui ont déjà fait assez de mal pour le braver impunément. A chaque atteinte portée à sa liberté, on l'éblouit par des prétextes spécieux, on le séduit par des actes de patriotisme illusoires, on trompe son zèle et on égare son opinion par le jeu de tous les ressorts de l'intrigue et du gouvernement, on le rassure en lui rappelant sa force et sa puissance. Le moment arrive où la division règne partout, où tous les pièges des tyrans sont tendus, où la ligue de tous les ennemis de l'égalité est entièrement formée, où les dépositaires de l'autorité publique en sont les chefs, où la portion des citoyens qui a le plus d'influence par ses lumières et par sa fortune est prête à se ranger de leur parti.

Voilà la nation placée entre la servitude et la guerre civile. On avait montré au peuple l'insurrection comme un remède; mais ce remède extrême est-il même possible? Il est impossible que toutes les parties d'un empire, ainsi divisé, se soulèvent à la fois; et toute insurrection partielle est regardée comme un acte de révolte; la loi la punit, et la loi serait entre les mains des conspirateurs. Si le peuple est souverain, il ne peut exercer sa souveraineté, il ne peut se réunir tout entier, et la loi déclare qu'aucune section du peuple ne peut pas même délibérer. Que dis-je? Alors l'opinion, la pensée ne serait pas même libre. Les écrivains seraient vendus au gouvernement; les défenseurs de la liberté qui oseraient encore élever la voix ne seraient regardés que comme des séditieux; car la sédition est tout signe d'existence qui déplaît au plus fort; ils boiraient la ciguë, comme Socrate, ou ils expireraient sous le glaive de la tyrannie, comme Sydney, ou ils se déchireraient les entrailles, comme Caton. Ce tableau effrayant peut-il s'appliquer exactement à notre situation? Non; nous ne sommes pas encore arrivés à ce dernier terme de l'opprobre et du malheur où conduisent la crédulité des peuples et la perfidie des tyrans. On veut nous y mener; nous avons déjà fait peut-être d'assez grands pas vers ce but; mais nous en sommes encore à une assez grande distance; la liberté triomphera, je l'espère, je n'en doute pas même; mais c'est à condition que nous adopterons tôt ou tard, et le plus tôt possible, les principes et le caractère des hommes libres, que nous fermerons l'oreille à la voix des sirènes qui nous attire vers les écueils du despotisme, que nous ne continuerons pas de courir, comme un troupeau stupide, dans la route par laquelle on cherche à nous conduire à l'esclavage ou à la mort.

J'ai dévoilé une partie des projets de nos ennemis; car je ne doute pas qu'ils ne recèlent encore des profondeurs que nous ne pouvons sonder; j'ai indiqué nos véritables dangers et la véritable cause de nos maux: c'est dans la nature de cette cause qu'il faut puiser le remède, c'est elle qui doit déterminer la conduite des représentants du peuple.

Il resterait bien des choses à dire sur celte matière, qui renferme tout ce qui peut intéresser la cause de la liberté; mais j'ai déjà occupé trop longtemps les moments de la société: si elle me l'ordonne, je remplirai cette tâche dans une autre séance.

(La Société a ordonné l'impression de ce discours et invité M. Robespierre à lui communiquer le reste de ses vues.)