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Aventures de Baron de Münchausen

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CHAPITRE X
CINQUIÈME AVENTURE DE MER

Puisque nous avons le temps, messieurs, de vider encore une bouteille de vin frais, je vais vous raconter une histoire fort singulière qui m'arriva peu de mois avant mon retour en Europe.

Le Grand Seigneur, auquel j'avais été présenté par les ambassadeurs de LL. MM. les empereurs de Russie et d'Autriche, ainsi que par celui du roi de France, m'envoya au Caire pour une mission de la plus haute importance et qui devait être accomplie de manière à rester éternellement secrète.

Je me mis en route en grande pompe et accompagné d'une nombreuse suite. En chemin, j'eus l'occasion d'augmenter ma domesticité de quelques sujets fort intéressants: me trouvant à quelques milles à peine de Constantinople, j'aperçus un homme grêle et maigre qui courait en droite ligne à travers champs, avec une extrême rapidité, quoiqu'il portât attachée à chaque pied une masse de plomb pesant au moins cinquante livres. Saisi d'étonnement, je l'appelai et lui dis:

– Où vas-tu si vite, mon ami, et pourquoi t'alourdir d'un tel poids?

– J'ai quitté Vienne il y a une demi-heure, me répondit-il; j'y étais domestique chez un grand seigneur qui vient de me donner mon congé. N'ayant plus besoin de ma célérité, je l'ai modérée au moyen de ces poids; car la modération fait la durée, comme avait coutume de le dire mon précepteur.

Ce garçon me plaisait assez. Je lui demandai s'il voulait entrer à mon service, et il accepta aussitôt. Nous nous remîmes en route, et traversâmes beaucoup de villes, parcourûmes beaucoup de pays.

En chemin, j'avisai, non loin de la route, un individu étendu immobile sur une pelouse: on eût dit qu'il dormait. Il n'en était rien cependant, car il tenait son oreille collée contre terre, comme s'il eût voulu écouter parler les habitants du monde souterrain.

– Qu'écoutes-tu donc ainsi, mon ami? lui criai-je.

– J'écoute pousser l'herbe, pour passer le temps, répliqua-t-il.

– Et tu l'entends pousser?

– Oh! bagatelle que cela.

– Entre donc à mon service, mon ami; qui sait s'il ne fait pas bon parfois avoir l'oreille fine?

Mon drôle se releva et me suivit.

Non loin de là, je vis sur une colline un chasseur qui ajustait son fusil et qui tirait dans le bleu du ciel.

– Bonne chance! bonne chance, chasseur! lui criai-je; mais sur quoi tires-tu? Je ne vois rien que le bleu du ciel.

– Oh! répondit-il, j'essaye cette carabine qui me vient de chez Kuchenreicher, de Ratisbonne. Il y avait là-bas, sur la flèche de Strasbourg, un moineau que je viens d'abattre.

Ceux qui connaissent ma passion pour les nobles plaisirs de la chasse ne s'étonneront pas si je leur dis que je sautai au cou de cet excellent tireur. Je n'épargnai rien pour le prendre à mon service: cela va de soi.

Nous poursuivîmes notre voyage et nous atteignîmes enfin le mont Liban. Là nous trouvâmes, devant une grande forêt de cèdres, un homme court et trapu, attelé à une corde qui enveloppait toute la forêt.

– Qu'est-ce que tu tires là, mon ami? demandai-je à ce drôle.

– J'étais venu pour couper du bois de construction, et, comme j'ai oublié ma hache à la maison, je tâche de me tirer d'affaire du mieux que je puis.

En disant cela, il abattit d'un seul coup toute la forêt, qui mesurait bien un mille carré, comme si c'eût été un bouquet de roseaux. Vous devinez facilement ce que je fis. J'eusse sacrifié mon traitement d'ambassadeur, plutôt que de laisser échapper ce gaillard-là.

Au moment où nous mîmes le pied sur le territoire égyptien, il s'éleva un ouragan si formidable que j'eus un instant peur d'être renversé avec mes équipages, mes gens et mes chevaux, et d'être emporté dans les airs. A gauche de la route il y avait une file de sept moulins dont les ailes tournaient aussi vite que le rouet de la plus active fileuse. Non loin de là se trouvait un personnage d'une corpulence digne de John Falstaff, et qui tenait son index appuyé sur sa narine droite. Dès qu'il eut aperçu notre détresse et vu comme nous nous débattions misérablement dans l'ouragan, il se tourna vers nous, et tira respectueusement son chapeau avec le geste d'un mousquetaire qui se découvre devant son colonel. Le vent était tombé comme par enchantement, et les sept moulins restaient immobiles. Fort surpris de cette circonstance qui ne me semblait pas naturelle, je criai à l'homme:

– Hé! drôle! qu'est-ce-là? As-tu le diable au corps, où es-tu le diable en personne?

– Pardonnez-moi, Excellence, répondit-il; je fais un peu de vent pour mon maître le meunier; de peur de faire tourner ses moulins trop fort, je m'étais bouché une narine.

– Parbleu, me dis-je à moi-même, voilà un précieux sujet: ce gaillard-là te servira merveilleusement, lorsque, de retour chez toi, l'haleine te manquera pour raconter les aventures extraordinaires qui te sont arrivées dans tes voyages.

Nous eûmes bientôt conclu notre marché. Le souffleur quitta ses moulins et me suivit.

Il était temps que nous arrivassions au Caire. Dès que j'y eus accompli ma mission selon mes désirs, je résolus de me défaire de ma suite, maintenant inutile, à l'exception de mes nouvelles acquisitions, et de m'en retourner seul avec ces derniers, en simple particulier. Comme le temps était magnifique et le Nil plus admirable qu'on ne peut le dire, j'eus la fantaisie de louer une barque et de remonter jusqu'à Alexandrie. Tout alla pour le mieux jusqu'au milieu du troisième jour.

Vous avez sans doute entendu parler, messieurs, des inondations annuelles du Nil. Le troisième jour, comme je viens de vous le dire, le Nil commença à monter avec une extrême rapidité, et le lendemain toute la campagne était inondée sur plusieurs milles de chaque côté. Le cinquième jour, après le coucher du soleil, ma barque s'embarrassa dans quelque chose que je pris pour des roseaux. Mais le lendemain matin, quand il fit jour, nous nous trouvâmes entourés d'amandiers chargés de fruits parfaitement mûrs et excellents à manger. La sonde nous indiqua soixante pieds au-dessus du fond: il n'y avait moyen ni de reculer, ni d'avancer. Vers huit ou neuf heures, autant que j'en pus juger d'après la hauteur du soleil, il survint une rafale qui coucha notre bateau sur le côté: il embarqua une masse d'eau et coula presque immédiatement.

Heureusement nous réussîmes à nous sauver tous, – nous étions huit hommes et deux enfants, – en nous accrochant aux arbres dont les branches, assez fortes pour nous soutenir, ne l'étaient pas assez pour supporter notre barque. Nous restâmes trois jours dans cette position, vivant exclusivement d'amandes; je n'ai pas besoin de vous dire que nous avions en abondance de quoi apaiser notre soif. Vingt-trois jours après notre accident, l'eau commença à baisser avec autant de rapidité qu'elle avait monté, et le vingt-sixième jour nous pûmes mettre pied à terre.

Le premier objet qui frappa nos yeux fut notre barque. Elle gisait environ à deux cents toises de l'endroit où elle avait coulé bas. Après avoir fait sécher au soleil nos affaires qui en avaient grand besoin, nous prîmes dans les provisions de la barque ce qui nous était nécessaire, et nous nous remîmes en marche pour retrouver notre route. D'après les calculs les plus exacts, je comptai que nous avions été entraînés dans les terres à plus de cinquante milles hors de notre chemin. Au bout de sept jours nous atteignîmes le fleuve qui était rentré dans son lit, et racontâmes notre aventure à un bey. Il pourvut à tous nos besoins avec une extrême courtoisie, et mit sa propre barque à notre disposition. Six journées de voyage nous amenèrent à Alexandrie, où nous nous embarquâmes pour Constantinople.

Je fus reçu avec une distinction particulièrement gracieuse par le Grand Seigneur, et j'eus l'honneur de voir le harem où Sa Hautesse me conduisit elle-même et me permit de choisir autant de dames que je voudrais, sans en excepter ses favorites.

N'ayant pas coutume de me vanter de mes aventures galantes, je termine ici ma narration, en vous souhaitant à tous une bonne nuit.

CHAPITRE XI
SIXIÈME AVENTURE DE MER

Ayant terminé le récit de son voyage en Égypte, le baron se disposa à aller se coucher, juste au moment où l'attention légèrement fatiguée de son auditoire se réveillait à ce mot de harem. On aurait bien voulu avoir des détails sur cette partie de ses aventures, mais le baron fut inflexible; cependant, pour satisfaire aux bruyantes insistances de ses amis, il consentit à leur raconter quelques traits de ses singuliers domestiques, et continua en ces termes:

Depuis mon retour d'Égypte, je faisais la pluie et le beau temps chez le Grand Seigneur. Sa Hautesse ne pouvait vivre sans moi, et me priait tous les jours à dîner et à souper chez lui. Je dois avouer, messieurs, que l'empereur des Turcs est de tous les potentats du monde celui qui fait la meilleure chère, quant au manger du moins; car, pour ce qui est de la boisson, vous savez que Mahomet interdit le vin à ses fidèles. Il ne faut donc pas songer à boire un bon verre de ce liquide quand on dîne chez un Turc. Mais pour ne pas se pratiquer ouvertement, la chose n'en a pas moins lieu fréquemment en secret; et en dépit du Coran, plus d'un Turc s'entend aussi bien qu'aucun prélat allemand à vider une bouteille. C'était le cas de Sa Hautesse.

A ces dîners auxquels assistait habituellement le surintendant général, c'est-à-dire le mufti in partem salarii qui disait le Benedicite et les Grâces au commencement et à la fin du repas, il n'était point question de vin. Mais lorsqu'on se levait de table, un bon petit bacon attendait Sa Hautesse dans son cabinet. Un jour le Grand Seigneur me fit signe de l'y suivre. Lorsque nous nous y fûmes enfermés, il tira une bouteille d'une armoire, et me dit:

– Münchhausen, je sais que vous autres chrétiens vous vous connaissez en bon vin. Voici une bouteille de tokay, la seule que je possède, et je suis sûr que de votre vie vous n'en avez goûté de meilleur.

 

Sur quoi Sa Hautesse remplit son verre et le mien: nous trinquâmes, et nous bûmes.

– Hein! reprit-il, que dites-vous de celui-là? C'est du superfin, cela!

– Ce petit vin est bon, répondis-je. Mais, avec la permission de Votre Hautesse, je dois lui dire que j'en ai bu de bien meilleur à Vienne, chez l'auguste empereur Charles VI. Mille tonnerres! je voudrais que vous l'eussiez goûté!

– Cher Münchhausen, répliqua-t-il, je ne veux pas vous blesser; mais je crois qu'il est impossible de trouver de meilleur tokay: je tiens cette unique bouteille d'un seigneur hongrois qui en faisait le plus grand cas.

– Plaisanteries que tout cela, monseigneur! Il y a tokay et tokay! Messieurs les Hongrois d'ailleurs ne brillent pas par la générosité. Combien pariez-vous que d'ici à une heure je vous procure une bouteille de tokay, tirée de la cave impériale de Vienne, et qui aura une tout autre figure que celle-ci?

– Münchhausen, je crois que vous extravaguez.

– Je n'extravague point: dans une heure je vous apporte une bouteille de tokay prise dans la cave des empereurs d'Autriche, et d'un tout autre numéro que celle piquette-là.

– Münchhausen! Münchhausen! vous voulez vous moquer de moi, cela ne me plaît point. Je vous ai toujours connu pour un homme raisonnable et véridique, mais vraiment je suis tenté de croire que vous battez la campagne.

– Eh bien! que Votre Hautesse accepte le pari. Si je ne remplis mon engagement, – et vous savez que je suis ennemi juré des hâbleries, – Votre Hautesse sera libre de me faire couper la tête: et ma tête n'est pas une citrouille! Voilà mon enjeu, quel est le vôtre?

– Tope! j'accepte, dit l'empereur. Si au coup de quatre heures la bouteille n'est pas là, je vous ferai couper la tête sans miséricorde: car je n'ai pas l'habitude de me laisser jouer, même par mes meilleurs amis. Par contre, si vous accomplissez votre promesse, vous pourrez prendre dans mon trésor autant d'or, d'argent, de perles et de pierres précieuses que l'homme le plus fort en pourra porter.

– Voilà qui est parler, répondis-je.

Je demandai une plume et de l'encre, et j'écrivis à l'impératrice-reine Marie-Thérèse le billet suivant:

«Votre Majesté a sans doute, en sa qualité d'héritière universelle de l'empire, hérité de la cave de son illustre père. Oserai-je la supplier de remettre au porteur une bouteille de ce tokay dont j'ai bu si souvent avec feu son père? Mais du meilleur, car il s'agit d'un pari! Je saisis cette occasion pour assurer Votre Majesté du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc., etc.

«BARON DE MÜNCHHAUSEN.»

Comme il était déjà trois heures et cinq minutes, je remis ce billet sans le cacheter à mon coureur, qui détacha ses poids et se mit immédiatement en route pour Vienne.

Cela fait, nous bûmes, le Grand Seigneur et moi, le reste de la bouteille, en attendant celle de Marie-Thérèse. Trois heures un quart sonnèrent, trois heures et demie, quatre heures moins un quart, et le coureur ne revenait pas. J'avoue que je commençais à être assez mal à mon aise, d'autant plus que je voyais Sa Hautesse diriger de temps en temps les yeux sur le cordon de la sonnette, pour appeler le bourreau. Il m'accorda cependant la permission de descendre dans le jardin pour prendre un peu l'air, escorté toutefois de deux muets qui ne me perdaient pas de vue. L'aiguille marquait la cinquante-cinquième minute après trois heures: j'étais dans une angoisse mortelle, – c'était le cas de le dire. – J'envoyai chercher immédiatement mon écouteur et mon tireur.

Ils arrivèrent aussitôt; mon écouteur se coucha à terre pour entendre si mon coureur ne venait pas: à mon grand désespoir, il m'annonça que le drôle se trouvait tort loin de là profondément endormi et ronflant de tous ses poumons. A peine mon brave tireur eut-il appris cela, qu'il courut sur une terrasse élevée, et, se dressant sur ses pointes pour mieux voir, s'écria: «Sur mon âme! je le vois, le paresseux: il est couché au pied d'un chêne, aux environs de Belgrade, avec la bouteille à côté de lui. Attendez, je vais le chatouiller un peu.» En même temps il ajusta sa carabine, et envoya la charge en plein dans le feuillage de l'arbre. Une grêle de glands, de branches et de feuilles s'abattit sur le dormeur; craignant d'avoir reposé trop longtemps, il reprit sa course avec une telle rapidité qu'il arriva au cabinet du sultan avec la bouteille de tokay et un billet autographe de Marie-Thérèse, à trois heures cinquante-neuf minutes et demie.

Saisissant aussitôt la bouteille, le noble gourmet se mit à la déguster avec une indicible volupté.

– Münchhausen, me dit-il, vous ne trouverez point mauvais que je garde ce flacon pour moi tout seul. Vous avez à Vienne plus de crédit que moi, et vous êtes plus à même d'en obtenir un second.

Là-dessus, il enferma la bouteille dans son armoire, mit la clef dans la poche de son pantalon, et sonna son trésorier. – Quel ravissant tintement!

– Il faut maintenant que je paye ma gageure, reprit-il. Écoute, dit-il au trésorier, tu laisseras mon ami Münchhausen prendre dans mon trésor autant d'or, de perles et de pierres précieuses que l'homme le plus fort en pourra porter. Va!

Le trésorier s'inclina le nez jusqu'à terre devant son maître, qui me serra cordialement la main et nous congédia tous deux.

Vous pensez bien que je ne tardai pas une seconde à faire exécuter l'ordre que le sultan avait donné en ma faveur; j'envoyai chercher mon homme fort qui apporta sa grosse corde de chanvre, et me rendis au trésor. Je vous assure que lorsque j'en sortis avec mon serviteur, il n'y restait plus grand'chose. Je courus incontinent avec mon butin au port, où j'affrétai le plus grand bâtiment que je pus trouver, et je fis lever l'ancre, afin de mettre mon trésor en sûreté avant qu'il ne me survint quelque désagrément.

Ce que je craignais ne manqua pas d'arriver. Le trésorier, laissant ouverte la porte du trésor, – il était assez superflu de la refermer, – s'était rendu en toute hâte chez le Grand Seigneur, et lui avait annoncé de quelle façon j'avais profité de sa libéralité. Sa Hautesse en était restée tout abasourdie, et s'était prise à se repentir de sa précipitation. Elle avait ordonné au grand amiral de me poursuivre avec toute la flotte, et de me faire comprendre qu'elle n'avait point entendu la gageure de celle façon. Je n'avais que deux milles d'avance, et lorsque je vis la flotte de guerre turque courir sur moi toutes voiles dehors, j'avoue que ma tête, qui commençait à se raffermir sur mes épaules, se remit à branler plus fort que jamais. Mais mon souffleur était là.

– Que Votre Excellence soit sans inquiétude, me dit-il.

Il se posta à l'arrière du bâtiment, de façon à avoir une de ses narines dirigée sur la flotte turque et l'autre sur nos voiles; puis il se mit à souffler avec une telle violence que la flotte fut refoulée dans le port avec bris de mâts, de cordages et d'agrès, et qu'en même temps mon navire atteignit en quelques heures les côtes d'Italie.

Je ne tirai cependant pas grand profit de mon trésor. Car, malgré les affirmations contraires de M. le bibliothécaire Jagemann de Weimar, la mendicité est si grande en Italie et la police si mal faite, que je dus distribuer en aumônes la plus grande partie de mon bien. Le reste me fut pris par des voleurs de grand chemin, aux environs de Rome, sur le territoire de Lorette. Ces drôles ne se firent aucun scrupule de me dépouiller ainsi, car la millième partie de ce qu'ils me volèrent eût suffi à acheter à Rome une indulgence plénière pour toute la compagnie et ses descendants et arrière-descendants.

Mais voici, messieurs, l'heure où j'ai l'habitude de m'aller coucher. Ainsi donc, bonne nuit!

CHAPITRE XII
SEPTIÈME AVENTURE DE MER RÉCITS AUTHENTIQUES D'UN PARTISAN QUI PRIT LA PAROLE EN L'ABSENCE DU BARON

Après avoir raconté l'aventure qui précède, le baron se retira, laissant la société en bel le humeur; en sortant, il promit de donner à la première occasion les aventures de son père, jointes à d'autres anecdotes des plus merveilleuses.

Comme chacun disait son mot sur les récits du baron, une des personnes de la société, qui l'avait accompagné dans son voyage en Turquie, rapporta qu'il existait non loin de Constantinople une pièce de canon énorme, dont le baron Tott a fait mention dans ses Mémoires. Voici à peu près, autant que je m'en souviens, ce qu'il en dit:

«Les Turcs avaient posé sur la citadelle, non loin de la ville, au bord du célèbre fleuve le Simoïs, un formidable canon. Il était coulé en bronze, et lançait des boulets de marbre d'au moins onze cents livres. J'avais grand désir de tirer ce canon, dit le baron Tott, pour juger de son effet. Toute l'année tremblait à la pensée de cet acte audacieux, car on tenait pour certain que la commotion ferait crouler la citadelle et la ville entière. J'obtins cependant la permission que je demandais. Il ne fallut pas moins de trois cent trente livres de poudre pour charger la pièce; le boulet que j'y mis pesait, comme je l'ai dit plus haut, onze cents livres. Au moment où le canonnier approcha la mèche, les curieux qui m'entouraient se reculèrent à une distance respectueuse. J'eus toutes les peines du monde à persuader au pacha, qui assistait à l'expérience, qu'il n'y avait rien à redouter. Le canonnier lui-même, qui devait sur mon signal mettre le feu à la pièce, était extrêmement ému. Je me postai derrière la place, dans un réduit; je donnai le signal, et au même instant je ressentis une secousse pareille à celle que produirait un tremblement de terre. A environ trois cents toises le boulet éclata en trois morceaux qui volèrent par-dessus le détroit, refoulèrent les eaux sur la rive, et couvrirent d'écume le canal, tout large qu'il était.»

Tels sont, messieurs, si ma mémoire me sert bien, les détails que donne le baron Tott sur le plus grand canon qu'il y ait au monde. Lorsque je visitai ce pays avec le baron de Münchhausen, l'histoire du baron Tott était encore citée comme un exemple inouï de courage et de sang-froid.

Mon protecteur, qui ne pouvait supporter qu'un Français fit plus et mieux que lui, prit le canon sur son épaule et, après l'avoir placé bien en équilibre, sauta droit dans la mer, et nagea jusqu'à l'autre bord du canal. Malheureusement il eut la fâcheuse idée de lancer le canon dans la citadelle et de le renvoyer à sa première place: je dis malheureusement, parce qu'il lui glissa de la main au moment où il le balançait pour le jeter: de sorte que la pièce tomba dans le canal, où elle repose encore et où elle reposera probablement jusqu'au jour du jugement dernier.

Ce fut cette affaire, messieurs, qui brouilla complètement le baron avec le Grand Seigneur. L'histoire du trésor était depuis longtemps oubliée, car le sultan possédait assez de revenus pour remplir à nouveau sa caisse, et c'était sur une invitation directe du Grand Seigneur que le baron se trouvait en ce moment en Turquie. Il y serait probablement encore si la perte de cette célèbre pièce de canon n'avait mécontenté le souverain à ce point qu'il donna l'ordre irrévocable de trancher la tête au baron.

Mais une certaine sultane, qui avait pris mon maître en grande amitié, l'avertit de cette sanguinaire résolution: bien plus, elle le tint caché dans sa chambre, tandis que l'officier chargé de l'exécution le cherchait de tous côtés. La nuit suivante, nous enfuîmes à bord d'un bâtiment qui mettait à la voile pour Venise, et nous échappâmes heureusement à cet affreux danger.

Le baron n'aime pas à parler de cette histoire, parce que cette fois il ne réussit pas à exécuter ce qu'il avait entrepris, et aussi parce qu'il faillit y laisser sa peau. Cependant, comme elle n'est nullement de nature à blesser son honneur, j'ai coutume de la raconter quand il a le dos tourné.

Maintenant, messieurs, vous connaissez à fond le baron de Münchhausen, et j'espère que vous n'avez plus aucun doute à élever à l'endroit de sa véracité; mais afin que vous ne puissiez point non plus soupçonner la mienne, il faut que je vous dise en peu de mots qui je suis.

Mon père était originaire de Berne en Suisse. Il y exerçait l'emploi d'inspecteur des rues, allées, ruelles et ponts; ces sortes de fonctionnaires portent dans cette ville le titre, le titre … hum!.. le titre de balayeurs. Ma mère, native des montagnes de la Savoie, portait au cou un goître d'une grosseur et d'une beauté remarquables, ce qui n'est pas rare chez les dames de ce pays. Elle abandonna fort jeune ses parents, et sa bonne étoile l'amena dans la ville où mon père avait reçu le jour. Elle vagabonda quelque peu: mon père ayant parfois le défaut analogue, ils se rencontrèrent un jour dans la maison de détention.

 

Ils devinrent amoureux l'un de l'autre et se marièrent. Cette union ne fut pas heureuse; mon père ne tarda pas à quitter ma mère en lui assignant pour toute pension alimentaire le revenu d'une hotte de chiffonnier qu'il lui mit sur le dos. La brave femme s'attacha à une troupe ambulante qui montrait des marionnettes; la fortune finit par la conduire à Rome, où elle établit un commerce d'huîtres.

Vous avez sans doute entendu parler du pape Ganganelli, connu sous le nom de Clément XIV, et vous savez combien il aimait les huîtres. Un vendredi qu'il allait en grande pompe dire la messe à l'église de Saint-Pierre, il aperçut les huîtres de ma mère, – elles étaient remarquablement belles et extrêmement fraîches, m'a-t-elle dit souvent, – et ne put faire autrement que de s'arrêter pour en goûter; il fit faire halte aux cinq cents personnes qui le suivaient, et envoya dire à l'église qu'il ne pourrait pas célébrer la messe ce matin-là. Il descendit de cheval, – car les papes vont à cheval dans les grandes occasions, – entra dans la boutique de ma mère, et avala toutes les huîtres qui s'y trouvaient; mais comme il y en avait encore à la cave, il appela sa suite qui épuisa complétement la prévision: le pape et ses gens restèrent jusqu'au soir, et avant de partir ils l'accablèrent d'indulgences non-seulement pour ses fautes passées et présentes, mais encore pour tous ses péchés à venir.

Maintenant, messieurs, vous me permettrez de ne pas vous expliquer plus clairement ce que j'ai de commun avec cette histoire d'huîtres: je pense que vous m'avez suffisamment compris pour être fixé sur ma naissance.