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Actes et Paroles, Volume 3

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XIX
LA QUESTION DE LA PAIX REMPLACEE PAR LA QUESTION DE LA GUERRE
A MM. LES MEMBRES DU CONGRES DE LA PAIX A GENEVE

Paris, 4 septembre 1874.

Chers concitoyens de la republique d'Europe,

Vous avez bien voulu desirer ma presence a votre congres de Geneve. C'est un regret pour moi de ne pouvoir me rendre a votre invitation qui m'honore. S'il m'etait donne de prononcer a cette heure quelques paroles parmi vous, j'ajouterais, et, je le pense, sans protestation de votre part, au sujet de cette grande question de la paix universelle, de nouvelles reserves a celles que j'indiquais, il y a cinq ans, au congres de Lausanne. Aujourd'hui, ce qui alors etait le mal est devenu le pire; une aggravation redoutable a eu lieu; le probleme de la paix se complique d'une immense enigme de guerre.

Le quidquid delirant reges a produit son effet.

Ajournement de toutes les fraternites; ou il y avait l'esperance, il y a la menace; on a devant soi une serie de catastrophes qui s'engendrent les unes des autres et qu'il est impossible de ne pas epuiser; il faudra aller jusqu'au bout de la chaine.

Cette chaine, deux hommes l'ont forgee, Louis Bonaparte et Guillaume, pseudonymes tous les deux, car derriere Guillaume il y a Bismarck et derriere Louis Bonaparte il y a Machiavel. La logique des faits violents ne se dement jamais, le despotisme s'est transforme, c'est-a-dire renouvele, et s'est deplace, c'est-a-dire fortifie; l'empire militaire a abouti a l'empire gothique, et de France a passe en Allemagne. C'est la qu'est aujourd'hui l'obstacle. Tout ce qui a ete fait doit etre defait. Necessite funeste. Il y a entre l'avenir et nous une interposition fatale. On ne peut plus entrevoir la paix qu'a travers un choc et au dela d'un inexorable combat. La paix, helas, c'est toujours l'avenir, mais ce n'est plus le present. Toute la situation actuelle est une sombre et sourde haine.

Haine du soufflet recu.

Qui a ete soufflete? Le monde entier. La France frappee a la face, c'est la rougeur au front de tous les peuples. C'est l'affront fait a la mere. De la la haine.

Haine de vaincus a vainqueurs, vieille haine eternelle; haine de peuples a rois, car les rois sont des vainqueurs dont les vaincus sont les peuples; haine reciproque, et sans autre issue qu'un duel.

Duel entre deux nations? Non. La France et l'Allemagne sont soeurs; mais duel entre deux principes, la republique et l'empire.

La question est posee: d'un cote la monarchie germanique, de l'autre, les Etats-Unis d'Europe; la rencontre des deux principes est inevitable; et des a present on distingue dans le profond avenir les deux fronts de bataille, d'un cote tous les royaumes, de l'autre toutes les patries.

Ce duel terrible, puisse-t-il etre longtemps retarde! Puisse une autre solution se faire jour! Si la grande bataille se livre, ce qu'il y aura des deux cotes, helas, ce sera des hommes. Conflit lamentable! Quelle extremite pour le genre humain! La France ne peut attaquer un peuple sans etre fratricide; un peuple ne peut attaquer la France sans etre parricide. Inexprimable serrement de coeur!

Nous, preparateurs des faits futurs, nous eussions desire une autre issue; mais les evenements ne nous ecoutent pas; ils vont au meme but que nous, mais par d'autres moyens. Ou nous emploierions la paix, ils emploient la guerre. Pour des motifs inconnus, ils preferent les solutions de haute lutte. Ce que nous ferions a l'amiable, ils le font par effraction. La providence a de ces brusqueries.

Mais il est impossible que le philosophe n'en soit pas profondement attriste.

Ce qu'il constate douloureusement, ce qu'il ne peut nier, c'est l'enchainement des faits, c'est leur necessite, c'est leur fatalite. II y a une algebre dans les desastres.

Ces faits, je les resume en quelques mots.

La France a ete diminuee. A cette heure, elle a une double plaie, plaie au territoire, plaie a l'honneur. Elle ne peut en rester la. On ne garde pas Sedan. On ne se rendort pas la-dessus.

Pas plus qu'on ne se rendort sur l'arrachement de Metz et de

Strasbourg.

La guerre de 1870 a debute par un guet-apens et s'est terminee par une voie de fait. Ceux qui ont fait le coup n'ont pas vu le contre-coup. Ce sont la des fautes d'hommes d'etat. On se perd par l'eblouissement de sa victoire. Qui voit trop la force est aveugle au droit. Or la France a droit a l'Alsace et a la Lorraine. Pourquoi? parce que l'Alsace et la Lorraine ont droit a la France. Parce que les peuples ont droit a la lumiere et non a la nuit. Tout verse en ce moment du cote de l'Allemagne. Grave desordre. Cette rupture d'equilibre doit cesser. Tous les peuples le sentent et s'en inquietent. De la un malaise universel. Comme je l'ai dit a Bordeaux, a partir du traite de Paris, l'insomnie du monde a commence.

Le monde ne peut accepter la diminution de la France. La solidarite des peuples, qui eut fait la paix, fera la guerre. La France est une sorte de propriete humaine. Elle appartient a tous, comme autrefois Rome, comme autrefois Athenes. On ne saurait trop insister sur ces realites. Voyez comme la solidarite eclate. Le jour ou la France a du payer cinq milliards, le monde lui en a offert quarante-cinq. Ce fait est plus qu'un fait de credit, c'est un fait de civilisation. Apres les cinq milliards payes, Berlin n'est pas plus riche et Paris n'est pas plus pauvre. Pourquoi? Parce que Paris est necessaire et que Berlin ne l'est pas. Celui-la seul est riche qui est utile.

En ecrivant ceci, je ne me sens pas francais, je me sens homme.

Voyons sans illusion comme sans colere la situation telle qu'elle est.

On a dit: Delenda Carthago; il faut dire: Servanda Gallia.

Quand une plaie est faite a la France, c'est la civilisation qui saigne. La France diminuee, c'est la lumiere amoindrie. Un crime contre la France a ete commis; les rois ont fait subir a la France toute la quantite de meurtre possible contre un peuple. Cette mauvaise action des rois, il faut que les rois l'expient, et c'est de la que sortira la guerre; et il faut que les peuples la reparent, et c'est de la que sortira la fraternite. La reparation, ce sera la federation. Le denoument, le voici: Etats-Unis d'Europe. La fin sera au peuple, c'est-a-dire a la Liberte, et a Dieu, c'est-a-dire a la Paix.

Esperons.

Chers concitoyens de la patrie universelle, recevez mon salut cordial.

VICTOR HUGO.

XX
OBSEQUES DE MADAME PAUL MEURICE

On lit dans le Rappel du 16 novembre 1874:

"Une foule considerable a conduit, hier, Mme Paul Meurice, a sa derniere demeure. Derriere le char funebre marchaient, d'abord celui qui reste seul, et a sa droite Victor Hugo, puis des deputes, des journalistes, des litterateurs, des artistes, en trop grand nombre pour que nous puissions les nommer, puis des milliers d'amis inconnus, car on aura beau faire, on n'empechera jamais ce genereux peuple de Paris d'aimer ceux qui l'aiment, et de le leur temoigner.

"On est alle directement de la maison mortuaire au Pere-Lachaise.

"Quand le corps a ete descendu dans le caveau, Victor Hugo a prononce les paroles suivantes:

La femme a laquelle nous venons faire la salutation supreme a honore son sexe; elle a ete vaillante et douce; elle a eu toutes les graces pour aimer, elle a eu toutes les forces pour souffrir. Elle laisse derriere elle le compagnon de sa vie, Paul Meurice, un esprit lumineux et fier, un des plus nobles hommes de notre temps. Inclinons-nous devant cette tombe venerable.

J'ai ete temoin de leur mariage. Ainsi s'en vont les jours. Je les ai vus tous les deux, jeunes, elle si belle, lui si rayonnant, associer, devant la loi humaine et devant la loi divine, leur avenir, et se donner la main dans l'esperance et dans l'aurore. J'ai vu cette entree de deux ames dans l'amour qui est la vraie entree dans la vie. Aujourd'hui, est-ce la sortie que nous voyons? Non. Car le coeur qui reste continue d'aimer et l'ame qui s'envole continue de vivre. La mort est une autre entree. Non dans plus d'amour, car l'amour des ici-bas est complet, mais dans plus de lumiere.

Depuis cette heure radieuse du commencement jusqu'a l'heure severe ou nous sommes, ces deux belles ames se sont appuyees l'une sur l'autre. La vie, quelle qu'elle soit, est bonne, traversee ainsi. Elle, cette admirable femme, peintre, musicienne, artiste, avait recu tous les dons et etait faite pour tous les orgueils, mais elle etait surtout fiere du reflet de sa renommee a lui; elle prenait sa part de ses succes; elle se sentait felicitee par les applaudissements qui le saluaient; elle assistait souriante a ces splendides fetes du theatre ou le nom de Meurice eclatait parmi les acclamations et les enthousiasmes; elle avait le doux orgueil de voir eclore pour l'avenir et triompher devant la foule cette serie d'oeuvres exquises et fortes qui auront dans la litterature de notre siecle une place de gloire et de lumiere. Puis sont venus les temps d'epreuve; elle les a accueillis stoiquement. De nos jours, l'ecrivain doit etre au besoin un combattant; malheur au talent a travers lequel on ne voit pas une conscience! Une poesie doit etre une vertu. Paul Meurice est une de ces ames transparentes au fond desquelles on voit le devoir. Paul Meurice veut la liberte, le progres, la verite et la justice; et il en subit les consequences. C'est pourquoi, un jour, il est alle en prison. Sa femme a compris cette nouvelle gloire, et, a partir de ce jour, elle qui jusque-la n'avait encore ete que bonne, elle est devenue grande.

Aussi plus tard, quand les desastres sont arrives, quand l'epreuve a pris les proportions d'une calamite publique, a-t-elle ete prete a toutes les abnegations et a tous les devouements.

 

L'histoire de ce siecle a des jours inoubliables. Par moments, dans l'humanite, une certaine sublimite de la femme apparait; aux heures ou l'histoire devient terrible, on dirait que l'ame de la femme saisit l'occasion et veut donner l'exemple a l'ame de l'homme. L'antiquite a eu la femme romaine; l'age moderne aura la femme francaise. Le siege de Paris nous a montre tout ce que peut etre la femme: dignite, fermete, acceptation des privations et des miseres, gaite dans les angoisses. Le fond de l'ame de la femme francaise, c'est un melange heroique de famille et de patrie.

La genereuse femme qui est dans cette tombe a eu toutes ces grandeurs-la. J'ai ete son hote dans ces jours tragiques; je l'ai vue. Pendant que son vaillant mari faisait sa double et rude tache d'ecrivain et de soldat, elle aussi se levait avant l'aube. Elle allait dans la nuit, sous la pluie, sous le givre, les pieds dans la neige, attendre pendant de longues heures, comme les autres nobles femmes du peuple, a la porte des bouchers et des boulangers, et elle nous rapportait du pain et de la joie. Car la plus vraie de toutes les joies, c'est le devoir accompli. Il y a un ideal de la femme dans Isaie, il y en a un autre dans Juvenal, les femmes de Paris ont realise ces deux ideals. Elles ont eu le courage qui est plus que la bravoure, et la patience qui est plus que le courage. Elles ont eu devant le peril de l'intrepidite et de la douceur. Elles donnaient aux combattants desesperes l'encouragement du sourire. Rien n'a pu les vaincre. Comme leurs maris, comme leurs enfants, elles ont voulu lutter jusqu'a la derniere heure, et, en face d'un ennemi sauvage, sous l'obus et sous la mitraille, sous la bise acharnee d'un hiver de cinq mois, elles ont refuse, meme a la Seine charriant des glacons, meme a la faim, meme a la mort, la reddition de leur ville. Ah! venerons ce Paris qui a produit de telles femmes et de tels hommes. Soyons a genoux devant la cite sacree. Paris, par sa prodigieuse resistance, a sauve la France que le deshonneur de Paris eut tuee, et l'Europe que la mort de la France eut deshonoree.

Quoique l'ennemi ait pu faire, il y a peut-etre un mysterieux retablissement d'equilibre dans ce fait: la France moindre, mais Paris plus grand.

Que la belle ame, envolee, mais presente, qui m'ecoute en ce moment, soit fiere; toutes les venerations entourent son cercueil. Du haut de la serenite inconnue, elle peut voir autour d'elle tous ces coeurs pleins d'elle, ces amis respectueux qui la glorifient, cet admirable mari qui la pleure. Son souvenir, a la fois douloureux et charmant, ne s'effacera pas. Il eclairera notre crepuscule. Une memoire est un rayonnement.

Que l'ame eternelle accueille dans la haute demeure cette ame immortelle! La vie, c'est le probleme, la mort c'est la solution. Je le repete, et c'est par la que je veux terminer cet adieu plein d'esperance, le tombeau n'est ni tenebreux, ni vide. C'est la qu'est la grande lueur. Qu'il soit permis a l'homme qui parle en ce moment de se tourner vers cette clarte. Celui qui n'existe plus pour ainsi dire ici-bas, celui dont toutes les ambitions sont dans la mort, a le droit de saluer au fond de l'infini, dans le sinistre et sublime eblouissement du sepulcre, l'astre immense, Dieu.

XXI
AUX DEMOCRATES ITALIENS

Les journaux ont publie le telegramme adresse a Victor Hugo par les democrates italiens. Victor Hugo leur a repondu:

Je remercie mes freres les democrates d'Italie.

Esperons tous la grande delivrance. L'Italie et la France ont la meme ame, l'ame romaine, la republique. La republique, qui est le passe de l'Italie, est l'avenir de la France et de l'Europe. Vouloir la republique d'Europe, c'est vouloir la federation des peuples; et la federation des peuples, c'est la plus haute realisation de l'ordre dans la liberte, c'est la paix.

Ordre, liberte, paix; ce que la monarchie cherche, la republique le trouve.

VICTOR HUGO.

XXII
POUR UN SOLDAT

(Fevrier 1875.)

Il est desirable que le fait qu'on va lire ne passe point inapercu.

Un soldat, nomme Blanc, fusilier au 112e de ligne, en garnison a Aix, vient d'etre condamne a mort "pour insulte grave envers son superieur".

On annonce la prochaine execution de ce soldat.

Cette execution me semble impossible.

Pourquoi? Le voici:

Le 10 decembre 1873, les chefs de l'armee, siegeant a Trianon en haute cour de justice militaire, ont fait un acte considerable.

Ils ont aboli la peine de mort dans l'armee.

Un homme etait devant eux; un soldat, un soldat responsable entre tous, un marechal de France. Ce soldat, a l'heure supreme des catastrophes, avait deserte le devoir; il avait jete bas la France devant la Prusse; il avait passe a l'ennemi de cette facon epouvantable que, pouvant vaincre, il s'etait laisse battre; il tenait une forteresse, la plus forte de l'Europe, il l'avait donnee; il avait des drapeaux, les plus fiers drapeaux de l'histoire, il les avait livres; il commandait une armee, la derniere qui restat a l'honneur national, il l'avait garrottee et offerte aux coups de plat de sabre des allemands; il avait envoye, prisonniere de guerre, aux casemates de Spandau et de Magdebourg, la gloire de la France, les bras lies derriere le dos; pouvant sauver son pays, il l'avait perdu; en livrant Metz, la cite vierge, il avait livre Paris, la ville heroique; cet homme avait assassine la patrie.

Le haut conseil de guerre a juge qu'il meritait la mort, et a declare qu'il devait vivre. En faisant cela, qu'a fait le conseil de guerre? je le repete, il a aboli dans l'armee la peine de mort. Il a decide que desormais ni la trahison, ni la desertion a l'ennemi, ni le parricide, car tuer sa patrie, c'est tuer sa mere, ne seraient punis de mort.

Le conseil de guerre a bien fait; et nous le felicitons hautement.

Certes, bien des raisons pouvaient conseiller a ces sages et vaillants officiers le maintien de la peine de mort militaire. Il y a une guerre dans l'avenir; pour cette guerre il faut une armee; pour l'armee il faut la discipline; la plus haute des disciplines, c'est la loyaute; la plus inviolable des subordinations, c'est la fidelite au drapeau; le plus monstrueux des crimes, c'est la felonie. Qui frappera-t-on si ce n'est le traitre? quel soldat sera puni si ce n'est le general? qui sera foudroye par la loi si ce n'est le chef? Ou est l'exemple s'il n'est en haut? Ces juges se sont dit tout cela; mais ils ont pense, et nous les en louons, que l'exemple pouvait se faire autrement; que le moment etait venu de remplacer dans le code de l'armee l'intimidation par un sentiment plus digne du soldat, de relever l'ideal militaire, et de substituer a la question de la vie la question de l'honneur.

Profond progres d'ou sortira, pour les besoins du prochain avenir, un nouveau code militaire, plus efficace que l'ancien.

La peine morale substituee a la peine materielle est plus terrible.

Preuve: Bazaine.

Oui, la degradation suffit. Ou la honte coule, le sang verse est inutile. La punition assaisonnee de cette hautaine clemence est plus redoutable. Laissez cet homme a son abime. C'est toujours la sombre et grande histoire de Cain. Bazaine mis a mort laisse derriere lui une legende; Bazaine vivant traine la nuit.

Donc le conseil de guerre a bien fait.

Qu'ajouter maintenant?

Le marechal disparait, voici un soldat.

Nous avons devant les yeux, non plus le haut dignitaire, non plus le grand-croix de la legion d'honneur, non plus le senateur de l'empire, non plus le general d'armee; mais un paysan. Non plus le vieux chef plein d'aventures et d'annees; mais un jeune homme. Non plus l'experience, mais l'ignorance.

Ayant epargne celui-ci, allez-vous frapper celui-la?

De tels contrastes sont-ils possibles? Est-il utile de proposer a l'intelligence des hommes de telles enigmes?

Ce rapprochement n'est-il pas effrayant? Est-il bon de contraindre la profonde honnetete du peuple a des confrontations de cette nature: avoir vendu son drapeau, avoir livre son armee, avoir trahi son pays, la vie; avoir soufflete son caporal, la mort!

La societe n'est pas vide; il y a quelqu'un; il y a des ministres, il y a un gouvernement, il y a une assemblee, et, au-dessus des ministres, au-dessus du gouvernement, au-dessus de l'assemblee, au-dessus de tout, il y a la droiture publique; c'est a cela que je m'adresse.

L'impot du sang paye a outrance, c'etait la loi des regimes anciens; ce ne peut etre la loi de la civilisation nouvelle. Autrefois, la chaumiere etait sans defense, les larmes des meres et des fiancees ne comptaient pas, les veuves sanglotaient dans la surdite publique, l'accablement des penalites etait inexprimable; ces moeurs ne sont plus les notres. Aujourd'hui, la pitie existe; l'ecrasement de ce qui est dans l'ombre repugne a une societe qui ne marche plus qu'en avant; on comprend mieux le grand devoir fraternel; on sent le besoin, non d'extirper, mais d'eclairer. Du reste, disons-le, c'est une erreur de croire que la revolution a pour resultat l'amoindrissement de l'energie sociale; loin de la, qui dit societe libre dit societe forte. La magistrature peut se transformer, mais pour croitre en dignite et en justice; l'armee peut se modifier, mais pour grandir en honneur. La puissance sociale est une necessite; l'armee et la magistrature sont une vaste protection; mais qui doit-on proteger d'abord? Ceux qui ne peuvent se proteger eux-memes; ceux qui sont en bas, ceux sur qui tout pese; ceux qui ignorent, ceux qui souffrent. Oui, codes, chambres, tribunaux, cet ensemble est utile; oui, cet ensemble est bon et beau, a la condition que toute cette force ait pour loi morale un majestueux respect des faibles.

Autrefois, il n'y avait que les grands, maintenant il y a les petits.

Je me resume.

On n'a pas fusille le marechal de France; fusillera-t-on le soldat?

Je le repete, cela est impossible.

J'eusse intercede pour Bazaine, j'intercede pour Blanc.

J'eusse demande la vie du miserable, je demande la vie du malheureux.

Si l'on veut savoir de quel droit j'interviens dans cette douloureuse affaire, je reponds: De l'immense droit du premier venu. Le premier venu, c'est la conscience humaine.

* * * * *

Le 26 fevrier 1875, Victor Hugo publia cette reclamation, et attendit.

En 1854, quand Victor Hugo, proscrit, etait intervenu pour le condamne Tapner, les journaux bonapartistes avaient declare que, puisque Victor Hugo demandait la vie de Tapner, Tapner devait etre execute. A l'occasion du soldat Blanc, ce fait monstrueux se renouvela. Certaines feuilles reactionnaires intimerent au gouvernement l'ordre de resister a "la pression de M. Victor Hugo", et dirent hautement que, puisque M. Victor Hugo intercedait pour le soldat Blanc, il fallait fusiller le soldat Blanc.

Ces journaux n'eurent pas en 1875 le meme succes qu'en 1854. Tapner avait ete pendu, Blanc ne fut pas fusille. Il eut grace de la vie. Sa peine fut commuee en cinq ans de prison, sans degradation militaire.