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Actes et Paroles, Volume 3

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Vingt ans apres, une autre commotion, l'evenement dont les suites vous occupent aujourd'hui, a ebranle Paris.

Paris, apres un sinistre assaut de cinq mois, avait cette fievre redoutable que les hommes de guerre appellent la fievre obsidionale. Paris, cet admirable Paris, sortait d'un long siege stoiquement soutenu; il avait souffert la faim, le froid, l'emprisonnement, car une ville assiegee est une ville en prison; il avait subi la bataille de tous les jours, le bombardement, la mitraille, mais il avait sauve, non la France, mais ce qui est plus encore peut-etre, l'honneur de la France (mouvement). Il etait saignant et content. L'ennemi pouvait le faire saigner, des francais seuls pouvaient le blesser, on le blessa. On lui retira le titre de capitale de la France; Paris ne fut plus la capitale … que du monde. Alors la premiere des villes voulut etre au moins l'egale du dernier des hameaux, Paris voulut etre une commune. (Rumeurs a droite.)

De la une colere; de la un conflit. Ne croyez pas que je cherche ici a rien attenuer. Oui, – et je n'ai pas attendu a aujourd'hui pour le dire, entendez-vous bien? – oui, l'assassinat des generaux Lecomte et Clement Thomas est un crime, comme l'assassinat de Baudin et Dussoubs est un crime; oui, l'incendie des Tuileries et de l'Hotel de Ville est un crime comme la demolition de la salle de l'Assemblee nationale est un crime; oui, le massacre des otages est un crime comme le massacre des passants sur le boulevard est un crime (applaudissements a l'extreme gauche); oui, ce sont la des crimes; et s'il s'y joint cette circonstance qu'on est repris de justice, et qu'on a derriere soi, par exemple, le coup de pistolet au capitaine Col-Puygellier, le cas est plus grave encore; j'accorde tout ceci, et j'ajoute: ce qui est vrai d'un cote est vrai de l'autre. (Tres bien! a l'extreme gauche.)

Il y a deux groupes de faits separes par un intervalle de vingt ans, le fait du 2 Decembre et le fait du 18 Mars. Ces deux faits s'eclairent l'un par l'autre; ces deux faits, politiques tous les deux, bien qu'avec des causes absolument differentes, contiennent l'un et l'autre ce que vous appelez des delits communs.

Cela pose, j'examine. Je me mets en face de la justice.

Evidemment pour les memes delits, la justice aura ete la meme; ou, si elle a ete inegale dans ses arrets, elle aura considere d'un cote, qu'une population qui vient d'etre heroique devant l'ennemi devait s'attendre a quelque menagement, qu'apres tout les crimes a punir etaient le fait, non du peuple de Paris, mais de quelques hommes, et qu'enfin, si l'on examinait la cause meme du conflit, Paris avait, certes, droit a l'autonomie, de meme qu'Athenes qui s'est appelee l'Acropole, de meme que Rome qui s'est appelee Urbs, de meme que Londres qui s'appelle la Cite; la justice aura considere d'un autre cote a quel point est abominable le guet-apens d'un parvenu quasi princier qui assassine pour regner; et pesant d'un cote le droit, de l'autre l'usurpation, la justice aura reserve toute son indulgence pour la population desesperee et fievreuse, et toute sa severite pour le miserable prince d'aventure, repu et insatiable, qui apres l'Elysee veut le Louvre, et qui, en poignardant la Republique, poignarde son propre serment. (Tres bien! a l'extreme gauche.)

Messieurs, ecoutez la reponse de l'histoire. Le poteau de Satory, Noumea, dix-huit mille neuf cent quatrevingt-quatre condamnes, la deportation simple et muree, les travaux forces, le bagne a cinq mille lieues de la patrie, voila de quelle facon la justice a chatie le 18 Mars; et quant au crime du 2 Decembre, qu'a fait la justice? la justice lui a prete serment. (Mouvement prolonge.)

Je me borne aux faits judiciaires; je pourrais en constater d'autres, plus lamentables encore; mais je m'arrete.

Oui, cela est reel, des fosses, de larges fosses, ont ete creusees ici et en Caledonie; depuis la fatale annee 1871 de longs cris d'agonie se melent a l'espece de paix que fait l'etat de siege; un enfant de vingt ans, condamne a mort pour un article de journal, a eu sa grace, le bagne, et a ete neanmoins execute par la nostalgie, a cinq mille lieues de sa mere; les penalites ont ete et sont encore absolues; il y a des presidents de tribunaux militaires qui interdisent aux avocats de prononcer des mots d'indulgence et d'apaisement; ces jours-ci, le 28 avril, une sentence atteignait, apres cinq annees, un ouvrier declare honnete et laborieux par tous les temoignages, et le condamnait a la deportation dans une enceinte fortifiee, arrachant ainsi ce travailleur a sa famille, ce mari a sa femme et ce pere a ses enfants; et il y a quelques semaines a peine, le 1er mars, un nouveau convoi de condamnes politiques, confondus avec des forcats, etait, malgre nos reclamations, embarque pour Noumea. Le vent d'equinoxe a empeche le depart; il semble par moment que le ciel veut donner aux hommes le temps de reflechir; la tempete, clemente, a accorde un sursis; mais, la tempete ayant cesse, le navire est parti. (Sensation.) La repression est inexorable. C'est ainsi que le 18 Mars a ete frappe.

Quant au 2 Decembre, j'y insiste, dire qu'il a ete impuni serait derisoire, il a ete glorifie; il a ete, non subi, mais adore; il est passe a l'etat de crime legal et de forfait inviolable. (Applaudissements a l'extreme gauche.) Les pretres ont prie pour lui; les juges ont juge sous lui; des representants du peuple, a qui ce crime avait donne des coups de crosse, non seulement les ont recus, mais les ont acceptes (rires a gauche), et se sont faits ses serviteurs. L'auteur du crime est mort dans son lit, apres avoir complete le 2 Decembre par Sedan, la trahison par l'ineptie et le renversement de la republique par la chute de la France; et, quant aux complices, Morny, Billault, Magnan, Saint-Arnaud, Abbatucci, ils ont donne leurs noms a des rues de Paris. (Sensation.) Ainsi, a vingt ans d'intervalle, pour deux revoltes, pour le 18 Mars et le 2 Decembre, telles ont ete les deux conduites tenues dans les regions du haut desquelles on gouverne; contre le peuple, toutes les rigueurs; devant l'empereur, toutes les bassesses.

Il est temps de faire cesser l'etonnement de la conscience humaine. Il est temps de renoncer a cette honte de deux poids et de deux mesures; je demande, pour les faits du 18 Mars, l'amnistie pleine et entiere. (Applaudissements prolonges a l'extreme gauche. – La seance est suspendue. L'orateur regagne son banc, felicite par ses collegues.)

QUELQUES MEMBRES AU CENTRE. – Aux voix! Aux voix!

M. LE PRESIDENT. – Personne ne demande la parole? (Silence au banc de la commission et au banc du gouvernement.) Il y a un amendement de M. Tolain.

M. TOLAIN, au pied de la tribune.– En presence du silence de la commission et du gouvernement, qui ne trouvent rien a repondre, je retire mon amendement.

M. LE PRESIDENT donne lecture des articles de la proposition d'amnistie, qui sont successivement rejetes, par assis et leve.

La proposition est mise aux voix dans son ensemble.

Se levent pour:

MM. Victor Hugo.

Peyrat.

Schoelcher.

Laurent Pichat.

Scheurer-Kestner.

Corbon.

Ferouillat.

Brillier.

Pomel (d'Oran).

Lelievre (d'Alger).

Le reste de l'Assemblee se leve contre.

La proposition d'amnistie est rejetee.

NOTES

NOTE I
ELECTIONS DU 8 FEVRIER 1871
SEINE

Liste complete des representants elus.

Electeurs inscrits: 545,605.

1. Louis Blanc 216,471 2. Victor Hugo 214,169 3. Garibaldi 200,065 4. Edgar Quinet 169,008 5. Gambetta 191,211 6. Henri Rochefort 193,248 7. Amiral Saisset 154,347 8. Ch. Delescluze 153,897 9. P. Joigneaux 153,314 10. Victor Schoelcher 149,918 11. Felix Pyat 141,118 12. Henri Martin 139,155 13. Amiral Pothuau 138,122 14. Edouard Lockroy 134,635 15. F. Gambon 129,573 16. Dorian 128,197 17. Ranc 126,572 18. Malon 117,253 19. Henri Brisson 115,710 20. Thiers 102,945 21. Sauvage 102,690 22. Martin Bernard 102,188 23. Marc Dufraisse 101,192 24. Greppo 101,001 25. Langlois 95,756 26. General Frebault 95,235 27. Clemenceau 95,048 28. Vacherot 94,394 29. Jean Brunet 93,345 30. Charles Floquet 93,438 31. Cournet 91,648 32. Tolain 89,160 33. Littre 87,780 34. Jules Favre 81,126 35. Arnaud (de l'Ariege) 79,710 36. Ledru-Rollin 76,736 37. Leon Say 75,939 38. Tirard 75,178 39. Razona 74,415 40. Edmond Adam 73,217 41. Milliere 73,145 42. A. Peyrat 72,243 43. E. Farcy 69,798

NOTE II
VICTOR HUGO A BORDEAUX

(Extrait de la Gironde, 16 fevrier 1871.)

A l'issue de la seance, des groupes nombreux stationnaient autour du palais de l'Assemblee, qui etait protege par un cordon de garde nationale. Chaque depute, a sa sortie, a ete accueilli par le cri de: Vive la republique!

Les acclamations ont redouble lorsque Victor Hugo, qui avait assiste a la seance, est arrive a son tour sur le grand perron. A partir de ce moment, les vivats en l'honneur du grand poete des Chatiments ont alterne avec les vivats en l'honneur de la republique.

Cette ovation, a laquelle la garde nationale elle-meme a pris part, s'est prolongee sur tout le passage de Victor Hugo, qui, du geste et du regard, repondait aux acclamations de la foule.

NOTE III
DEMISSION DE VICTOR HUGO

Nous reproduisons, en les attenuant, les appreciations des principaux ecrivains politiques presents a Bordeaux, sur la seance ou Victor Hugo a du donner sa demission.

Bordeaux, 8 mars (5 heures 1/2).

A la derniere minute, quelques mots en hate sur l'evenement qui met l'Assemblee et la ville en rumeur.

Victor Hugo vient de donner sa demission.

 

Voici comment et pourquoi.

La verification des pouvoirs en etait arrivee aux elections de l'Algerie. La nomination de Gambetta a Oran et celle de M. Mocquard a Constantine venaient d'etre validees.

Pour l'election de Garibaldi a Oran, le rapporteur proposait l'annulation, attendu que "Garibaldi n'est pas francais".

Applaudissements violents a droite.

Le president dit: – Je mets l'annulation aux voix. Personne ne demande la parole?

– Si fait, moi! dit Victor Hugo.

Profond silence. – Victor Hugo a parle admirablement, avec une indignation calme, si ces deux mots peuvent s'allier. Le Moniteur vous portera ses paroles exactes; je les resume tant bien que mal:

– La France, a-t-il dit, vient de passer par des phases terribles, dont elle est sortie sanglante et vaincue; elle n'a rencontre que la lachete de l'Europe. La France a toujours pris en main la cause de l'Europe, et pas un roi ne s'est leve pour elle, pas une puissance. Un homme seul est intervenu, qui est une puissance aussi. Son epee, qui avait deja delivre un peuple, voulait en sauver un autre. Il est venu, il a combattu…

– Non! non! crie la droite furieuse. Non! il n'a pas combattu!

Et des insultes pour Garibaldi.

– Allons! riposte Victor Hugo, je ne veux offenser ici personne; mais, de tous les generaux francais engages dans cette guerre, Garibaldi est le seul qui n'ait pas ete vaincu!

La-dessus, epouvantable tempete. Cris: A l'ordre! a l'ordre!

Dans un intervalle entre deux ouragans, Victor Hugo reprend:

– Je demande la validation de l'election de Garibaldi.

Cris de la droite plus effroyables encore: – A l'ordre! a l'ordre! Nous voulons que le president rappelle M. Victor Hugo a l'ordre.

Le general Ducrot se fait remarquer parmi les plus bruyants.

Le president. – Je demande a M. Victor Hugo de vouloir bien s'expliquer. Je rappellerai a l'ordre ceux qui l'empecheront de parler. Je suis juge du rappel a l'ordre.

Le tumulte est inexprimable. Victor Hugo fait de la main un geste; on se tait; il dit:

– Je vais vous satisfaire. Je vais meme aller plus loin que vous. Il y a trois semaines, vous avez refuse d'entendre Garibaldi; aujourd'hui vous refusez de m'entendre; je donne ma demission.

Stupeur et consternation a droite. Le general Ducrot croit injurier

Garibaldi en disant qu'il est venu defendre, non la France, mais la

Republique.

Cependant le president annonce "que M. Victor Hugo vient de lui faire remettre une lettre par laquelle il donne sa demission".

– Est-ce que M. Victor Hugo persiste? demande-t-il.

– Je persiste, dit Victor Hugo.

– Non! non! lui crie-t-on maintenant a droite.

Mais il repete: – Je persiste.

Et le president reprend: – Je ne lirai neanmoins cette lettre qu'a la seance de demain.

Seance du 8.

Je vous ai jete, a la derniere minute, quelques mots sur l'evenement qui etait la rumeur d'hier et qui est encore la rumeur d'aujourd'hui, – la demission de Victor Hugo.

Si vous aviez assiste a ce moment de la seance, aux vociferations de la reaction, a sa rage, a son epilepsie, comme vous approuveriez le grand orateur de n'etre pas reste la!

Victor Hugo avait dit que Garibaldi etait le seul de nos generaux qui n'eut pas ete battu. Notez que c'est rigoureusement exact, – et que ce n'est pas injurieux pour les quelques generaux energiques, mais malheureux, qui n'ont pas a rougir de n'avoir pas reussi. Et; en effet, quand la majorite a hurle: "Vous insultez nos generaux!" Chanzy, Jaureguiberry, l'amiral La Ronciere, etc., ont fait signe que non, et il n'y a eu que deux generaux parfaitement inconnus, et un troisieme trop connu par son serment – M. Ducrot – qui se soient declares offenses.

Lorsque Victor Hugo a dit que Garibaldi etait venu avec son epee … – un vieux rural a ajoute: – Et Bordone! Ce vieux rural s'appelle M. de Lorgeril.

Victor Hugo: "Garibaldi est venu, il a combattu…" Toute la majorite: "Non! non!" Donc ils ne veulent meme pas que Garibaldi ait combattu. On se demande s'ils comprennent ce qu'ils disent.

Il s'est trouve un rural pour cette interruption: "Faites donc taire

M. Victor Hugo; il ne parle pas francais."

Au paroxysme du tumulte, il fallait voir le dedain et l'impassibilite de l'orateur attendant, les bras croises, la fin de ce vacarme inferieur.

Vous allez avoir de la peine a me croire; eh bien, quand Victor Hugo a donne sa demission, meme cette majorite-la a senti, ce dont je l'aurais crue incapable, qu'en perdant l'eternel poete des Chatiments, elle perdait quelque chose. M. Grevy ayant demande si Victor Hugo persistait dans sa demission, il y a eu sur tous les bancs des voix qui ont crie: Non! non!

Victor Hugo a persiste. Et comme il a eu raison! Qu'il retourne a Paris, et qu'il laisse cette majorite parfaire toute seule ce qu'elle a si bien commence en livrant a la Prusse Strasbourg et Metz.

* * * * *

La validation des elections a eu son cours. J'allais me retirer, quand tout a coup Victor Hugo apparait a la tribune. Quelle que soit l'opinion de M. Victor Hugo comme homme politique, il est un fait incontestable, c'est qu'il est un puissant esprit, le plus grand poete de France, et qu'a ce titre il a droit au respect d'une assemblee francaise, et doit tout au moins etre ecoute d'elle. C'est au milieu des hurlements, des cris, d'un tumulte indescriptible, du refus de l'ecouter, que M. Victor Hugo est reste une bonne demi-heure a la tribune. Il s'agissait de l'election de Garibaldi a Alger. On voulait l'ecarter parce qu'il n'a pas la qualite de francais.

"La France accablee, mutilee en presence de toute l'Europe, n'a rencontre que la lachete de l'Europe. Aucune puissance europeenne ne s'est levee pour defendre la France, qui s'etait levee tant de fois pour defendre l'Europe. Un homme est intervenu. (Ici les murmures commencent.) Cet homme est une puissance. (A droite, grognements.) Cet homme, qu'avait-il? (Rires des cacochymes.) Une epee. Cette epee avait delivre un peuple. (La voix de l'orateur, si forte, est couverte par les violentes apostrophes de la majorite.) Elle pouvait en sauver un autre. (Denegations frenetiques, jeunes et vieux se levent ivres de colere.) Enfin cet homme a combattu. (Ici l'orage creve. C'est un torrent. La voix du president est etouffee; le bruit de la clochette n'arrive pas jusqu'a nous, et pourtant elle est agitee avec vigueur. On n'entend plus que ces mots: Ce n'est pas vrai, c'est un lache! Garibaldi ne s'est jamais battu! Enfin le president saisit un moment de calme relatif et, avec colere, lance une dure apostrophe a cette assemblee que l'intolerance aveugle. Hugo, calme et serein, les mains dans les poches, laisse passer l'orage.)

"Je ne veux blesser personne. Il est le seul des generaux qui ont lutte pour la France qui n'ait pas ete vaincu." (A ces mots la rage deborde: A l'ordre! a la porte! Qu'il ne parle plus! Nous ne voulons plus l'entendre! Tels sont les cris qui s'echangent au milieu d'une exasperation croissante.)

Hugo se croise les bras et attend. Le president refuse de rappeler l'orateur a l'ordre. Hugo, alors, avec une grande dignite: "Il y a trois semaines, vous avez refuse d'entendre Garibaldi – (Vous mentez; tout le monde sait que ce n'est pas vrai! lui crie-t-on), – aujourd'hui vous refusez de m'entendre, je me retire."

Alors Ducrot s'elance a la tribune et demande une enquete pour savoir si Garibaldi est venu defendre la France ou la Republique universelle. – Il est accueilli par des hourrahs de: Oui, oui.

Le president, consterne, demande publiquement a Hugo de retirer la lettre par laquelle il donne sa demission. Sollicite vivement par quelques amis, Hugo repond avec fermete: Non! non! non!

L'Assemblee comprend l'acte ridicule qu'elle a commis et le president demande de ne lire cette lettre que demain.

Les hommes de coeur et d'intelligence ne peuvent plus rester… – GERMAIN CASSE.

* * * * *

Deux delegations ont ete adressees a Victor Hugo pour l'engager a retirer sa demission.

La premiere venait au nom de la reunion republicaine de la rue de l'Academie. M. Bethmont a pris la parole.

La seconde au nom du centre gauche, l'envoye etait M. Target.

Victor Hugo, en les remerciant avec emotion de leur demarche, leur a explique les raisons qui l'obligeaient a persister dans sa resolution et a maintenir sa demission.

L'Assemblee qui a chasse Garibaldi a refuse d'entendre Victor Hugo. Ces deux actes suffiront a l'histoire pour la juger. Nous ne regrettons pas seulement l'admirable orateur que nous n'entendrons plus, nous regrettons encore, nous jeunes gens, cette grande indulgence, cette grande bienveillance et cette grande bonte qui etaient pres de nous. C'est un triple deuil.

Le tumulte a ete grand. La majorite, non contente d'avoir invalide l'election de Garibaldi, a voulu qu'il fut calomnie a la tribune. Un depute – que je ne connais pas – mais que l'Assemblee a pris pour le general Ducrot, s'est charge de ce soin. Ce depute a donne a entendre qu'il fallait attribuer a Garibaldi la defaite de l'armee de l'Est. J'ai senti, a ces mots, comme tous les honnetes gens, une vive indignation, et je n'ai pu me retenir de demander la parole. Elle me fut retiree des mes premieres phrases, je ne sais pourquoi. Je voulais seulement faire remarquer a mes honorables collegues qu'ils etaient dans une erreur complete touchant le general Ducrot et le depute qui, si audacieusement, usurpait ce titre et ce nom.

Le general Ducrot, dans une circulaire celebre, a dit:

– Je reviendrai mort ou victorieux!

Or le general Ducrot n'est point homme a prononcer de telles paroles en l'air. Il a ete, malheureusement, vaincu, et je le tiens pour mort. On me dira tout ce qu'on voudra, je n'en demordrai point. Le general Ducrot est mort. Et le depute qui a parle hier et qui parait se porter fort bien n'est point le general Ducrot.

M. Jules Favre a dit, il est vrai: "Ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses", et il a donne l'Alsace et il a donne la Lorraine. M. Trochu a dit: "Je ne capitulerai pas", et il a prie un de ses amis de capituler. Mais M. le general Ducrot est mort. Jamais on ne me persuadera le contraire.

M. le general Ducrot, s'il avait vecu, aurait compris qu'il n'appartenait point a un general battu d'attaquer un general victorieux; il n'aurait rappele ni Wissembourg, ou il a ete defait, ni Buzenval, ou il est arrive six heures trop tard. Il se serait tu, – se conformant a cet axiome que les grandes douleurs doivent etre muettes.

L'histoire compte deja le faux Demetrius et le faux Smerdis. Nous avons le faux Ducrot. Voila tout. – EDOUARD LOCKROY.

NOTE IV

Le soir du 8 mars, a une deputation de citoyens de Bordeaux venant le prier de retirer sa demission, M. Victor Hugo a dit :

Je ne juge pas cette Assemblee, je la constate. Je me sens meme indulgent pour elle. Elle est comme un enfant mal venu.

Elle est le produit de la France mutilee. Elle m'afflige et m'attendrit comme un nouveau-ne infirme. Elle se croit issue du suffrage universel. Or le suffrage universel qui l'a nommee etait separe de Paris. Sans Paris, il n'y a pas de lumiere sur le suffrage universel, et le vote reste obscur. Electeur ignorant, elu quelconque. C'est le malheur du moment. L'Assemblee en est plus victime que coupable. Tout en souhaitant qu'elle disparaisse vite, je lui suis bienveillant. Plus elle m'a insulte, plus je lui pardonne.

Ceci est la quatrieme Assemblee dont je fais partie. J'ai donc l'habitude de la lutte parlementaire. On m'a interrompu, cela me serait bien egal. L'Assemblee ne me connait point, mais vous me connaissez, vous, et vous ne vous y meprenez pas. Je suis pour la liberte de la tribune, et je suis pour la liberte de l'interruption. D'abord, l'interruption est une liberte; cela suffit pour qu'elle me plaise. Ensuite l'interruption aide l'improvisation; elle suggere a l'orateur l'inattendu. Je fais donc plus que d'absoudre l'interruption, je l'aime; a une condition, c'est qu'elle sera passionnee, c'est-a-dire loyale. Je ne lui demande pas d'etre polie, je lui demande d'etre honnete. Un jour un interrupteur m'a reproche l'argent que couterait mon discours: Et dire que ce discours coutera vingt-cinq francs a la France! il etait de bonne foi, j'ai souri. Un autre jour, le 17 juin 1851, je denoncais le complot qui a eclate en decembre, et je declarais que le president de la republique conspirait contre la republique; on m'a crie: Vous etes un infame calomniateur! C'etait vif; cette fois encore, j'ai souri. Pourquoi? c'est que l'interrupteur etait simplement un imbecile. Or, etre un imbecile, c'est un droit; bien des gens en usent.

 

Je n'interromps jamais, mais j'aime qu'on m'interrompe. Cela me repose. Je me trompe en disant que je n'interromps jamais. Une fois dans ma vie j'ai interrompu un ministre; M. Leon Faucher, je crois, etait a la tribune. C'etait en 1849, il faisait l'eloge du roi de Naples, et je lui criai: —Le roi de Naples est un monstre.– Ce mot a fait le tour de l'Italie et n'a evidemment pas nui a la chute des Bourbons de Naples. L'interruption peut donc etre bonne.

J'admets l'interruption. Je l'admets pleinement. J'admets quel'orateur soit vieux et que l'interrupteur soit jeune, j'admets que l'orateur ait des cheveux blancs et que l'interrupteur n'ait pas meme de barbe au menton, j'admets que l'orateur soit venerable et que l'interrupteur soit ridicule. J'admets qu'on dise a Caton: Vous etes un lache. J'admets qu'on dise a Tacite: Vous mentez. J'admets qu'on dise a Moliere ou a Voltaire: Vous ne savez pas le francais. J'admets qu'un homme de l'empire insulte un homme de l'exil. Ecoutez, je vais vous dire, en fait d'injures, j'admets tout. Je vais loin, comme vous voyez. Mais, en fait de servitude, je n'admets rien. Je n'admets pas que la tribune soit supprimee par l'interruption. Opprimee oui, supprimee non. La commence ma resistance. Je n'admets pas que la liberte inferieure abolisse la liberte superieure. Je n'admets pas que celui qui crie baillonne celui qui pense; criez tant que vous voudrez, mais laissez-moi parler. Je n'admets pas que l'orateur soit l'esclave de l'interrupteur. Or, voici en quoi consiste l'esclavage de l'orateur; c'est en ceci seulement: ne pouvoir dire sa pensee. Vous m'appelez calomniateur. Que m'importe, si vous me laissez dire ce que vous appelez ma calomnie. Ma liberte, c'est ma dignite. Frappe, mais ecoute. Insultez-moi, mais laissez-moi libre. Or, le 17 juillet 1851, j'ai pu denoncer et menacer Bonaparte, et le 8 mars 1871, je n'ai pu defendre Garibaldi. Cela, je ne l'admets pas. Je ne consens pas a cette derision: avoir la parole et avoir un baillon. Etre a la tribune et etre au bagne. Vouloir obeir a sa conscience, et ne pouvoir qu'obeir a la majorite. On n'obtiendra pas de moi cette bassesse, et je m'en vais.

En dehors de cette question de principes qui me commande ma demission, je le repete, je n'en veux pas a l'Assemblee. Le loup est ne loup et restera loup. On ne change pas son origine. Si certains membres de la droite, qui peut-etre en leur particulier sont les meilleures gens du monde, mais qui sont illettres, ignorants et inconvenants, font que parfois l'Assemblee nationale de France ressemble a une populace, ce n'est certes pas la faute de ces honorables membres qui sont, a leur insu, une calamite publique. C'est le malheur de tous, et ce n'est le crime de personne. Mais ce malheur, tant que l'Assemblee siegera, est irremediable. La ou il n'y a pas de remede, le medecin est inutile.

Je n'espere rien de cette Assemblee, j'attends tout du peuple. C'est pourquoi je sors de l'Assemblee, et je rentre dans le peuple.

La droite m'a fait l'honneur de me prendre pour ennemi personnel. Il y a dans l'Assemblee bien des hommes du dernier empire; en entrant dans l'Assemblee, j'ai oublie que j'avais fait les Chatiments; mais eux, ils s'en souviennent. De la ces cris furieux.

J'amnistie ces clameurs, mais je veux rester libre. Et encore une fois, je m'en vais.

* * * * *

Le meme soir, 8 mars, la reunion de la gauche radicale a vivement presse le representant Victor Hugo de retirer sa demission. Il a persiste, et il a adresse a la reunion quelques paroles que nous reproduisons:

Je persiste dans ma resolution.

C'est pour moi une douleur de vous quitter, vous avec qui je combattais.

Plusieurs d'entre vous et moi, nous etions ensemble dans Paris devant l'ennemi, la Prusse; nous sommes ensemble a Bordeaux devant un autre ennemi, la monarchie. Je vous quitte, mais c'est pour continuer le combat. Soyez tranquilles.

Ici le combat est devenu impossible, a moi du moins. J'ai souri de ce bon cure debout qui me montrait le poing et qui criait: A mort! C'etait sa facon de demander le rappel a l'ordre. Cela ne serait que risible si la droite finissait par ecouter. Mais non. C'est l'interruption a jet continu. Nul moyen de dire sa pensee tout entiere. La majorite ne veut pas qu'une idee se fasse jour. C'est la voie de fait et la violence remplacant la discussion. L'Assemblee n'a pas voulu entendre Garibaldi, et il n'a pu rester dans l'Assemblee plus d'un jour. Elle n'a pas voulu m'entendre, et j'ai donne ma demission. Tenez, le jour ou M. Thiers cessera de leur plaire, la droite le traitera comme elle a traite Garibaldi, comme elle m'a traite, et je ne serais pas surpris qu'elle le forcat, lui aussi, a donner sa demission. [Note: Ceci s'est realise. Seance du 24 aout.] Ne nous faisons aucune illusion.

La Chambre introuvable est retrouvee, nous sommes en 1815.

C'est du reste une loi, toute invasion etrangere est suivie d'une invasion monarchique. Apres le droit de force, le droit divin. Apres le glaive, le sceptre.

Ce sera pour moi un insigne honneur et un beau souvenir d'avoir preside pendant quelques jours, moi le moindre d'entre vous, cette genereuse reunion; cette reunion ou vous etes, vous, Louis Blanc, historien profond, orateur puissant, grande ame; vous Schoelcher, duquel j'ai dit: Schoelcher a eleve la vertu jusqu'a la gloire; vous Peyrat, grand journaliste, conscience droite et talent fier; vous, Lockroy, esprit eclatant et intrepide; vous, Langlois, combattant de la tribune comme du champ de bataille; vous, Joigneaux, vous, Edmond Adam, vous, Floquet, vous, Martin-Bernard, vous, Naquet, vous, Brisson, hommes eloquents et vaillants, vous tous, car tous comptent ici. Chez les vieux, la veterance n'exclut pas l'energie; chez les jeunes, l'ardeur n'exclut pas la gravite. Dans le camp democratique, on murit vite et on ne vieillit pas.

Je vous quitte, mais, je le repete, c'est pour mieux combattre. Quand l'interruption devient la mutilation, l'orateur doit descendre de la tribune; il le doit a sa dignite, il le doit a la liberte. Mais je serai l'orateur du dehors. Je reste votre auxiliaire. Une haine systematique etouffe ici ma voix. Mais on etouffe une voix, on n'etouffe pas une pensee. Paralyse ici, je retrouve hors d'ici toute ma liberte d'action. Et au besoin, je saurai, s'il le faut, reprendre la route de l'exil. Souvent, parler de plus loin, c'est parler de plus haut.

Je ne dis pas que je ne consentirai jamais a rentrer dans une Chambre; plus tard, quand les lecons donnees auront porte leur fruit, quand la liberte de la tribune sera retablie, si mes concitoyensse souviennent assez de moi pour savoir mon nom, j'accepterai d'eux, alors comme toujours, toutes les formes du devoir. Je remonterai, s'ils le desirent, a la tribune redevenue possible pour moi, et j'y defendrai la republique, le peuple, la France, et tous les grands principes du droit auxquels appartiennent ma derniere parole comme orateur, ma derniere pensee comme ecrivain, et mon dernier souffle comme citoyen.

NOTE V
FIN DE L'INCIDENT BELGE

L'incident belge a eu une suite. Le denoument a ete digne du commencement. La conscience publique exigeait un proces. Le gouvernement belge l'a compris; il en a fait un. A qui? Aux auteurs et complices du guet-apens de la place des Barricades? Non. Au fils de Victor Hugo, et un peu par consequent au pere. Le gouvernement belge a simplement accuse M. Francois-Victor Hugo de vol. M. Francois-Victor Hugo avait depuis quatre ou cinq ans dans sa chambre quelques vieux tableaux achetes en Flandre et en Hollande. Le gouvernement catholique belge a suppose que ces tableaux devaient avoir ete voles au Louvre par la Commune et par M. Francois-Victor Hugo. Il les a fait saisir en l'absence de M. Francois-Victor Hugo, et un juge nomme Cellarier a gravement et sans la moindre stupeur instruit le proces. Au bout de six semaines, il a fallu renoncer a cette tentative, digne pendant de la tentative nocturne du 27 mai. La justice belge s'est desistee du proces, a rendu les tableaux et a garde la honte. De tels faits ne se qualifient pas.

La justice belge n'ayant pu donner le change a l'opinion, et n'ayant pas reussi dans son essai de poursuivre un faux crime, a paru, au bout de trois mois, se souvenir qu'elle avait un vrai crime a poursuivre. Le 20 aout, M. Victor Hugo a recu, a Vianden, l'invitation de faire sa declaration sur l'assaut du 27 mai devant le juge d'instruction de Diekirch. Il l'a faite en ces termes: