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Poèmes de Walt Whitman

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A CELUI QUI FUT CRUCIFIÉ

 
Mon esprit s’unit au tien, cher frère,
Ne t’inquiète pas de ce que beaucoup qui chantent les louanges de ton nom ne te comprennent pas,
Car moi, qui ne chante pas les louanges de ton nom, je te comprends,
C’est avec joie, ô mon camarade, que je te mentionne spécialement pour te saluer et pour saluer ceux qui furent avec toi, avant et depuis, et aussi ceux qui viendront,
Afin que tous nous travaillions ensemble,—transmettant la même charge et le même héritage,
Nous, le petit nombre des égaux, à qui importent peu les pays et les temps,
Nous, qui embrassons tous les continents, toutes les castes, qui admettons toutes les théologies,
Nous, les compatissants, les discerneurs, nous la commune mesure des hommes,
Nous qui nous promenons en silence au milieu des disputes et des affirmations, mais qui ne rejetons pas les disputeurs ni rien de ce qu’on affirme,
Nous entendons leurs braillements et leur tumulte assourdissant, de toute part nous assaillent leurs divisions, leurs jalousies, leurs récriminations,
Ils forment autour de nous un cercle péremptoire pour nous enfermer, mon camarade,
Pourtant, rebelles aux emprises, nous parcourons librement la terre entière, nous voyageons dans tous les sens jusqu’à ce que nous imprimions notre marque ineffaçable sur le temps et sur les âges divers,
Jusqu’à ce que nous saturions le temps et les âges, afin que les hommes et les femmes des races, des âges à venir, s’attestent frères et amis comme nous le sommes.
 

A UNE FILLE PUBLIQUE

 
Sois calme—sois à l’aise avec moi—je suis Walt Whitman, libéral et robuste comme la Nature,
Jusqu’à ce que le soleil te rejette, je ne te rejetterai pas,
Jusqu’à ce que les eaux refusent de luire et les feuilles de frissonner pour toi, mes paroles ne refuseront pas de luire et de frissonner pour toi.
 
 
Je te donne rendez-vous, ma fille, et je t’invite à faire tes préparatifs pour être digne de moi lorsque j’irai te trouver,
Et je t’invite à demeurer patiente et parfaite jusqu’à ce que je vienne.
Jusque-là, je te salue d’un regard significatif pour que tu ne m’oublies pas.
 

MIRACLES

 
Eh quoi, vous faites si grand cas d’un miracle?
Je ne connais, quant à moi, rien autre que des miracles,
Que je me promène dans les rues de Manhattan,
Ou darde ma vue par-dessus les toits des maisons vers le ciel,
Ou marche le long de la plage, baignant mes pieds nus dans la frange des vagues,
Ou me tienne sous les arbres dans les bois,
Ou cause le jour avec quelqu’un que j’aime ou dorme la nuit avec une personne que j’aime,
Ou sois à table assis avec d’autres dîneurs,
Ou regarde les étrangers qui sont en face de moi dans le tram,
Ou observe les abeilles s’activant un après-midi d’été autour de la ruche,
Ou les animaux qui paissent dans les champs,
Ou les oiseaux, ou le prodige des insectes dans l’air,
Ou le prodige du soleil couchant ou des étoiles brillant d’un éclat si tranquille,
Ou l’exquis croissant, délicat et mince, de la nouvelle lune au printemps;
Toutes ces choses et les autres, sans en excepter une seule, sont pour moi des miracles,
Chacune se rapportant au tout, sans cesser d’être distincte et à sa place.
 
 
Pour moi chaque heure de la lumière et des ténèbres est un miracle,
Chaque centimètre cube de l’espace est un miracle,
Chaque mètre carré de la surface de la terre est parsemé de miracles,
Chaque pied de l’intérieur de la terre déborde de miracles.
 
 
Pour moi la mer est un perpétuel miracle,
Les poissons qui nagent—les rochers—le mouvement des vagues—les vaisseaux qui portent des hommes,
Où donc y a-t-il des miracles plus étranges?
 

QUE SUIS-JE, APRÈS TOUT

 
Que suis-je, après tout, sinon un enfant, ravi du son de mon propre nom et me le répétant sans cesse?
Je me tiens à l’écart pour écouter,—je ne m’en fatigue jamais.
 
 
Ainsi de votre nom pour vous;
Pensiez-vous qu’il n’y avait rien autre chose que deux ou trois articulations dans le son de votre nom?
 

COSMOS

 
Est un cosmos celui qui contient la diversité et qui est la Nature,
Celui qui est l’amplitude de la terre, et la rudesse, et la sexualité de la terre, et la grande charité de la terre, et son équilibre aussi,
Celui qui n’a pas regardé pour rien par les fenêtres de ses yeux, ou dont le cerveau n’a pas donné audience à ses messagers pour rien,
Celui qui contient les croyants et les incroyants, celui qui est le plus majestueux aimeur,
Celui ou celle qui renferme exactement sa proportion trinitaire de réalisme, de spiritualisme et d’élément esthétique ou intellectuel,
Celui qui, ayant considéré le corps, trouve que tous ses organes et toutes ses parties sont bien,
Celui ou celle qui, à l’aide de la théorie de la terre et de celle de son corps, comprend par des analogies subtiles toutes les autres théories,
La théorie d’une ville, d’un poème et de la large politique de ces Etats;
Celui qui croit non seulement en notre globe avec son soleil et sa lune, mais en les autres globes avec leurs soleils et leurs lunes,
Celui ou celle qui, en construisant sa demeure, non pour un jour, mais pour tout le temps, voit les races, les âges, les périodes, les générations,
Le passé, le futur qui y habitent, comme l’espace, inséparablement unis.
 

QUI VEUT APPRENDRE MA LEÇON ENTIÈRE?

 
Qui veut apprendre ma leçon entière?
Patron, ouvrier, apprenti, ecclésiastique et athée,
Idiot et penseur sage, parents et enfants, marchand, commis, garçon et client,
Directeur, écrivain, artiste, écolier—approchez et commencez;
Ce n’est pas une leçon—elle abaisse les barrières pour vous donner accès à une autre leçon,
Et de celle-ci à une autre, et de chacune à une autre encore.
 
 
Les grandes lois acceptent et s’épanchent sans discussion,
Je suis de la même sorte, car je suis leur ami,
Je les aime de pair à égal, je ne m’arrête pas à leur tirer mes révérences.
 
 
Je reste absorbé et j’entends de splendides récits des choses et des raisons des choses,
Ils sont si splendides que je me pousse du coude pour les écouter.
 
 
Je ne puis confier à personne ce que j’entends—je ne puis me le confier à moi-même—c’est indiciblement prodigieux.
 
 
Ce n’est pas une petite affaire que ce globe rond et délectable qui se meut si exactement dans son orbite toujours, toujours, sans un soubresaut et sans une erreur d’une seconde,
Je ne pense pas qu’il ait été fait en six jours, ni en dix mille ans, ni en dix billions d’années,
Ni qu’on en ait dessiné le plan et qu’on l’ait bâti, un étage après l’autre, comme un architecte dessine le plan d’une maison et la bâtit.
 
 
Je ne pense pas que soixante-dix ans soient l’existence d’un homme ou d’une femme,
Ni que soixante-dix millions d’années soient l’existence d’un homme ou d’une femme,
Ni que les années puissent jamais mettre un terme à mon existence ni à celle de quiconque.
 
 
Vous dites qu’il est prodigieux que je sois immortel?
Car tous nous sommes immortels;
Je sais que cela est prodigieux, mais ma vue est également prodigieuse, et la façon dont j’ai été conçu dans le sein de ma mère est également prodigieuse,
Et de poupon que j’étais, en être venu, après un couple d’étés et d’hivers passés à ramper dans l’inconscience, à pouvoir parler et marcher, tout cela est également prodigieux.
 
 
Et que mon âme vous étreigne en ce moment et que nous nous impressionnions l’un l’autre sans que nous nous soyons jamais vus, et sans que nous devions peut-être nous voir jamais, est en tous points aussi prodigieux.
 
 
Et que je puisse penser des pensées comme celles-ci est tout aussi prodigieux,
Et que je puisse vous les rappeler, que vous les pensiez et sachiez qu’elles sont vraies, est tout aussi prodigieux.
 
 
Et que la lune tourne autour de la terre et poursuive son cours avec la terre est également prodigieux,
Et qu’elles s’équilibrent avec le soleil et les astres est également prodigieux.
 

TOUJOURS CETTE MUSIQUE AUTOUR DE MOI

 
Toujours cette musique autour de moi, sans terme, sans commencement, et que pourtant je suis resté longtemps sans entendre, ignorant que j’étais,
Mais à présent que j’entends le choral, il me transporte;
J’entends une voix de ténor, vigoureuse, qui monte avec une puissance saine, avec des notes joyeuses d’aube,
Une voix de soprano qui, par moments, plane légère au-dessus des crêtes de vagues immenses,
Une voix de basse transparente, qui frissonne suavement en dessous et parmi l’univers,
J’entends des chœurs triomphants, des lamentations funèbres accompagnées par des flûtes et des violons délicieux, et de tout cela je m’emplis;
Je n’entends pas seulement le volume des sons, je suis remué par leurs précieuses significations,
Je prête l’oreille aux différentes voix qui viennent se marier au chœur ou s’en détachent, qui s’efforcent, qui luttent avec une ardeur véhémente pour se surpasser l’une l’autre en émotion;
Je ne crois pas que les musiciens se connaissent eux-mêmes—mais je crois qu’à présent je commence à les connaître.
 

OH TOUJOURS VIVRE ET TOUJOURS MOURIR

 
Oh toujours vivre et toujours mourir!
O ce qui est enterré de moi-même dans le passé et le présent,
O ce moi, tandis qu’à grands pas je m’avance, matériel, visible, impérieux, autant que jamais;
O ce moi, ce que je fus durant des années, aujourd’hui mort, (je ne me lamente pas, je suis satisfait);
Oh me débarrasser de ces cadavres de moi-même, qu’en me retournant je considère, là-bas où je les ai jetés,
Continuer mon chemin (Oh vivre! vivre toujours!) et laisser derrière moi les cadavres.
 

A QUELQU’UN QUI VA BIENTOT MOURIR

 
Entre tous les autres je vous distingue et j’ai pour vous un message:
Vous allez mourir—que d’autres vous disent ce qu’il leur plaît, moi je ne puis mentir,
Je suis strict et impitoyable, mais je vous chéris—vous n’en réchapperez pas.
 
 
Doucement sur vous je pose ma main droite, c’est à peine si vous la sentez,
Je ne raisonne pas, je courbe la tête profondément et l’enveloppe à moitié,
Je demeure en silence près de vous, je ne vous quitte pas un instant,
Je suis davantage qu’un garde-malade, davantage qu’un parent ou un voisin,
Je vous absous de tout, hormis de votre moi spirituel-corporel, c’est-à-dire éternel, votre moi réchappera sûrement,
Le cadavre que vous quitterez ne sera qu’une dépouille excrémentielle.
 
 
Le soleil perce en d’imprévues directions,
Des pensées fortes vous emplissent et de la confiance, vous souriez,
Vous oubliez que vous êtes malade, comme j’oublie que vous êtes malade,
Vous ne voyez pas les remèdes, vous ne faites pas attention à vos amis qui pleurent, je suis avec vous,
J’éloigne les autres de votre présence, il n’y a rien là dont on doive s’apitoyer,
Je ne m’apitoie pas, je vous félicite.
 

L’INVOCATION SUPRÊME

 
A la fin, tendrement,
Au travers des murs de la puissante maison fortifiée,
Eludant les verrous hermétiquement joints, la protection des portes solidement closes,
Que je sois emporté comme un souffle.
 
 
Que je sorte en glissant sans bruit;
Avec la clef de la douceur ouvre les serrures—avec un murmure,
Ouvre les portes toutes grandes, ô âme.
 
 
Tendrement—ne sois pas impatiente,
(Forte est ton emprise, ô chair mortelle,
Forte est ton emprise, ô amour.)
 

TOI, GLOBE LA-HAUT

 
Toi, globe là-haut dans ton éblouissement total! Toi, midi brûlant d’octobre!
Qui inondes de lumière éclatante le sable gris de la plage,
La mer proche au sifflement rauque avec ses perspectives lointaines et son écume,
Et ses traînées fauves et ses ombres et son immensité bleue;
O soleil resplendissant de midi! A toi j’adresse un mot spécial.
 
 
Ecoute-moi, souverain!
C’est ton amant qui te parle, car toujours je t’ai adoré,
Même poupon je me chauffais à tes rayons, plus tard, heureux gamin, seul à l’orée d’un bois, tes rayons qui de loin me touchaient suffisaient à mon bonheur,
Et jeune ou vieux ou homme mûri, tu as été pour moi tel qu’en ce jour où je darde vers toi mon invocation.
 
 
(Tu ne peux me tromper par ton silence,
Je sais que toute la Nature cède devant l’homme digne,
Quoique ne répondant pas avec des mots, les cieux, les arbres entendent sa voix—et toi aussi, ô soleil;
Quant à tes douleurs effroyables, tes perturbations, tes percées soudaines et tes flèches de flamme gigantesques,
Je les comprends, car moi aussi je connais ces flammes et ces perturbations.)
 
 
Toi qui répands ta chaleur et ta lumière fructificatrices,
Sur les myriades de fermes, sur les terres et les eaux du Nord et du Sud,
Sur le Mississipi au cours interminable, sur les plaines herbues du Texas, sur les forêts du Canada,
Sur tout le globe qui tourne son visage vers toi brillant dans l’espace,
Toi qui enveloppes tout impartialement, non seulement les continents, mais les mers,
Toi qui donnes en prodigue aux raisins et aux herbes folles et aux fleurettes des champs,
Répands-toi, répands-toi sur moi et mes poèmes, ne me verse qu’un rayon fugitif de tes millions de millions,
Traverse ces chants.
Et ne darde pas seulement pour eux ton éclat subtil et ta force,
Mais prépare aussi le jour avancé de mon être,—prépare mes ombres qui s’allongent,
Prépare mes nuits étoilées.
 

VISAGES

1
 
En déambulant les trottoirs ou en suivant les chemins dans la campagne, voyez donc, quels visages!
Visages d’amitié, de rigueur stricte, de prudence, de suavité, d’idéalité,
Le visage où se reflète la prescience du spirituel, l’ordinaire visage de bonté, toujours bienvenu,
Le visage qui est comme un chant, les visages magnifiques des avocats et des juges selon la nature, larges au sommet postérieur du crâne,
Ceux des chasseurs et des pêcheurs bombés aux sourcils, ceux rasés et blêmes des bourgeois orthodoxes,
Le visage pur, exalté, gonflé de désir, interrogateur de l’artiste,
Le visage de laideur d’une âme magnifique, le visage de beauté qu’on déteste ou qu’on méprise,
Les visages sacrés des petits enfants, le visage illuminé de la mère aux petits nombreux,
Le visage de l’intrigue d’amour, le visage de la vénération,
Le visage qu’on dirait d’un rêve, le visage tel qu’un roc immobile,
Le visage vidé de son bien et de son mal, visage émasculé,
Faucon sauvage aux ailes rognées par les ciseaux,
Etalon qui a cédé à la fin aux courroies et au fer du châtreur.
 
 
Déambulant ainsi les trottoirs ou passant sur les bacs aux incessantes traversées, voici des visages, des visages, toujours des visages.
Je les vois et ne me plains pas, tous me satisfont.
 
2
 
Pensez-vous que tous ces visages me satisferaient, si je croyais qu’ils fussent à eux-mêmes leur propre fin?
 
 
Celui-là vraiment est trop pitoyable pour être le visage d’un homme,
C’est quelque ignoble pou implorant la permission d’exister et rampant pour l’obtenir,
Quelque larve roupieuse bénissant ce qui lui permet de se glisser dans son trou.
 
 
Ce visage est un museau flaireur de chien en quête de déchets,
Des serpents gîtent en cette bouche-là, j’entends leur sifflement menaçant.
 
 
Ce visage est une brume plus glaciale que la mer arctique,
Ses bancs de glace, lorsqu’ils passent, lourds et chancelants, font un bruit pareil à un broiement.
 
 
Ce visage est plein d’herbes amères, celui-ci est un vomitif, ils n’ont pas besoin d’étiquettes,
Et en voici d’autres évoquant les rayons de la pharmacie, le laudanum, le caoutchouc ou l’axonge.
 
 
Ce visage est une épilepsie, sa langue, sans pouvoir articuler, profère le cri qui n’a plus rien d’humain,
Ses veines le long du cou se gonflent, ses yeux se révulsent au point de ne plus montrer que le blanc,
Ses dents grincent, les paumes de ses mains sont déchirées par les ongles des doigts contractés,
L’homme roule à terre et se débat en écumant, bien qu’il soit pour tous en train de spéculer raisonnablement.
 
 
Ce visage est rongé par la vermine et les vers,
Et celui-ci est un poignard d’assassin à moitié tiré de sa gaine.
 
 
Ce visage est redevable au fossoyeur de son lugubre salaire,
Une cloche des morts tinte en lui sans relâche.
 
3
 
Traits de mes égaux, vous voudriez peut-être me tromper avec votre cortège fripé et cadavérique?
Oh! il n’est pas en votre pouvoir de me tromper.
 
 
Je vois s’écouler votre flot circulaire, jamais effacé,
Je vois par-dessous les bords de vos masques ignobles et hagards.
 
 
Disloquez-vous et tortillez-vous autant que vous le voudrez, farfouillez avec vos museaux de poissons ou de rats,
Vous serez débarrassés de vos muselières, je vous dis que vous le serez.
 
 
J’ai vu un jour le visage de l’idiot le plus barbouillé et le plus baveux qu’on gardait à l’asile,
Or je savais pour ma consolation ce que les autres ne savaient pas,
Je savais quelles étaient les lois qui avaient vidé et ruiné mon frère,
Celles-ci attendent leur heure pour balayer de la demeure écroulée les décombres,
Et je reviendrai voir dans une vingtaine d’âge ou deux,
Et je trouverai le vrai maître du logis, parfait et intact, et valant en tous points autant que moi.
 
4
 
Le Maître avance, avance encore,
Toujours une ombre le précède, toujours s’allonge la main tendue qui fait avancer les traînards.
 
 
De ce visage émergent des étendards et des chevaux—ô splendeur! je vois ce qui vient,
Je vois les hauts casques des sapeurs, je vois les bâtons des coureurs qui ouvrent un passage,
J’entends les tambours de la victoire.
 
 
Ce visage est une barque de sauvetage,
Celui-ci est le visage souverain et barbu qui ne demande aux autres nul avantage,
Ce visage est un fruit savoureux prêt à être dégusté,
Ce visage de jeune gars rayonnant de santé et de sincérité est un programme de tout ce qu’il y a de bien au monde.
 
 
Ces visages-là, qu’ils soient endormis ou éveillés, sont une attestation,
Ils montrent que leur lignée se rattache au Maître lui-même.
 
 
Du bénéfice de ce que j’ai dit je n’exclus personne—rouges, blancs ou noirs, tous sont des dieux en puissance,
En chaque demeure est le germe, il éclora après un millier d’années.
 
 
Des taches ou des fêlures aux fenêtres ne me troublent pas,
Derrière se trouvent de grandes et suffisantes choses qui me font des signes,
Je lis la promesse et j’attends patiemment.
 
 
Ce visage est celui d’un grand lis épanoui,
Et la fleur parle à l’homme aux hanches souples près des palis du jardin:
Viens, s’écrie-t-elle, viens près de moi, homme aux souples hanches,
Reste à mes côtés afin que je m’appuie sur toi aussi haut que je le pourrais,
Remplis-moi de ton miel pâle, penche-toi sur moi,
Frotte contre moi ta barbe irritante, frotte-la contre mon sein et mes épaules.
 
5
 
Voici le bon vieux visage de la mère aux enfants nombreux,
Faites silence! Le contentement m’inonde.
 
 
Calme et tardive s’élève la fumée du dimanche matin,
Elle plane basse dans l’air au-dessus des rangées d’arbres près des clôtures,
Elle plane légère près des sassafras et des merisiers, et des églantiers qui croissent au-dessous d’eux.
 
 
J’ai vu à une soirée les femmes opulentes en grande toilette,
J’ai entendu ce que chantaient depuis si longtemps les poètes,
J’ai appris qui avait rejailli, pourpre de jeunesse, de l’écume blanche et du bleu des eaux.
 
 
Voyez cette femme!
Elle regarde de sous sa coiffe de quakeresse, son visage est plus clair et plus beau que le firmament.
 
 
Elle est assise dans un fauteuil, sous le porche ombragé de la ferme,
Le soleil envoie justement un rayon sur sa vieille tête blanche.
 
 
La toile de sa robe ample est de nuance crème,
Ses petits-fils ont cultivé le lin dont elle est faite et ses petites-filles l’ont filé avec la quenouille et le rouet.
 
 
Elle est le caractère mélodieux de la terre,
Le terme au delà duquel la philosophie ne peut aller ni ne désire aller,
La mère justifiée des hommes.