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Ivanhoe. 3. Le retour du croisé

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CHAPITRE XXXI

«Encore une fois, mes chers amis, montons à la brèche, ou bien refermons-la avec les cadavres de nos braves… Et vous, valeureux chevaliers, véritables enfans d'Albion, montrez-nous ici de quelle manière vous avez été nourris. Jurons que vous emploierez votre force et votre courage d'une façon digne de vous.»

SHAKSPEARE. Le roi Henri V.

Quoique Cedric ne comptât pas beaucoup sur le message d'Ulrique, cependant il ne manqua pas d'en faire part au chevalier noir et à Locksley, qui furent enchantés d'apprendre qu'ils avaient dans la place un ami qui pourrait au besoin leur en faciliter l'entrée: aussi convinrent-ils facilement avec le Saxon qu'il n'y avait qu'un assaut, sous quelques désavantages qu'il se présentât, qui pût les mettre à même de délivrer leurs prisonniers des mains du cruel Front-de-Boeuf, et qu'il fallait par conséquent le tenter.

«Le sang royal d'Alfred est en danger,» s'écria Cedric. – «L'honneur d'une noble dame est en péril,» continua le chevalier noir. – «Et, par l'image de saint Christophe que je porte à mon baudrier, ajouta le brave officier, n'y eût-il d'autre motif que celui de sauver ce fidèle serviteur, le pauvre Wamba, je risquerais la perte d'un de mes membres plutôt que de souffrir qu'on touchât à un de ses cheveux.» – «Et moi aussi, dit le moine; car, messieurs, je ne crains pas de dire qu'un fou… je veux dire… Tenez, messieurs, écoutez-moi bien: Lorsque je vois un fou, qui est membre d'une corporation, habile dans sa profession, et qui, par sa conversation, peut assaisonner un verre de vin et le faire goûter aussi bien que le ferait une bonne tranche de jambon, je dis, mes frères, qu'un pareil fou ne manquera jamais d'un sage ecclésiastique qui priera, et j'ajoute qui combattra pour lui au besoin, et cela tant que je pourrai dire une messe ou manier une pertuisane.» Et en parlant ainsi, il se mit à brandir sa sourde hallebarde au dessus de sa tête avec autant de facilité qu'un jeune berger manie sa houlette. «C'est vrai, révérend père, s'écria le chevalier, c'est aussi juste que si saint Dunstan lui-même eût parlé. Maintenant, mon cher Locksley, ne serait-il pas convenable que le noble Cedric se chargeât de diriger l'assaut?»

«Moi? répondit Cedric; pas du tout: je n'ai jamais étudié l'art de prendre ou de défendre ces murailles dans l'enceinte desquelles le pouvoir tyrannique a établi son domicile, et que les Normands ont élevées sur cette terre malheureuse. Je veux bien combattre au premier rang; mais mes camarades savent fort bien que je n'ai jamais été habitué à la discipline des camps ni à l'attaque des places fortes.» – «Puisqu'il en est ainsi, dit Locksley, je me chargerai volontiers du commandement des archers, et je vous permets de me pendre à l'arbre le plus élevé de cette forêt, si un seul des assiégés se présente sur les remparts sans se sentir percer d'autant de traits qu'il y a de clous de girofle dans un jambon aux fêtes de Noël.» – «C'est bien dit, s'écria le chevalier noir, et si on ne me croit pas indigne d'être employé dans cette circonstance, et si parmi ces braves gens il s'en trouve quelques uns qui soient disposés à suivre un vrai chevalier, car je ne crains pas de me donner ce titre, je suis prêt à les mener à l'attaque de ces remparts, et d'y faire usage de toute l'habileté que je dois à mon expérience.»

Ce fut après cette distribution d'emplois entre les chefs que l'on donna le premier assaut. Le lecteur a déjà été instruit du résultat. Dès que la barbacane fut prise, le chevalier noir s'empressa de faire part de cet heureux événement à Locksley, et de le prier en même temps de tenir le château en état d'observation, de manière à empêcher les assiégés de rassembler leurs forces pour faire quelque sortie brusque, et tâcher de reprendre l'ouvrage avancé qu'ils venaient de perdre. Le chevalier désirait d'autant plus éviter cette sortie, qu'il savait que les hommes qu'il commandait, n'étant que des volontaires trop précipités dans leurs mouvemens, nullement exercés, mal armés et ne connaissant aucune discipline, ne pourraient, dans une attaque soudaine, combattre qu'avec désavantage contre les vieux soldats des chevaliers normands, qui étaient bien pourvus d'armes offensives et défensives, et qui auraient à opposer au zèle et à l'ardeur des assiégeans cette grande confiance qu'inspirent une discipline parfaite et l'habitude du maniement des armes. Le chevalier employa cet intervalle à faire construire une sorte de pont flottant, ou plutôt un long radeau, au moyen duquel il espérait pouvoir traverser le fossé, malgré la résistance de l'ennemi. Cette construction ne pouvait se faire bien promptement; mais les chefs s'en inquiétèrent d'autant moins que ce retard donnait à Ulrique le temps d'exécuter son plan de diversion quel qu'il fût.

Cependant, lorsque le radeau fut terminé: «Il est inutile, dit le chevalier noir, d'attendre ici plus long-temps; voilà le soleil qui baisse: et d'ailleurs j'ai autre chose qui m'appelle, et qui ne me permet pas de m'arrêter un jour de plus avec vous. D'un autre côté, je m'étonnerais fort que nous n'eussions pas bientôt sur les bras une troupe de cavaliers venant d'York, si nous ne nous hâtions d'achever notre ouvrage. Ainsi, l'un de vous, allez trouver Locksley, pour lui dire de commencer une décharge de traits de l'autre côté du château, de se porter en avant, comme pour livrer un assaut. Quant à vous, coeurs véritablement anglais, secondez-moi, et tenez-vous prêts à pousser ce radeau en travers du fossé aussitôt que la porte de notre côté s'ouvrira. Suivez-moi hardiment de l'autre part, et venez m'aider à détruire cet angle saillant que vous voyez là-bas au mur principal du château. Que tous ceux d'entre vous qui ne se soucieront pas de venir à l'attaque, ou qui n'auront pas des armes convenables pour s'exposer, garnissent le haut de nos ouvrages avancés; qu'ils bandent fortement leurs arcs et ne manquent pas de balayer les remparts de tout ce qui s'y présentera. Noble Cedric, veux-tu te charger du commandement de ceux qui restent ici?»

«Non, de par l'âme d'Hereward, répondit le Saxon. Je n'entends rien au commandement; mais que ma mémoire soit maudite par la postérité si je ne suis pas un des premiers à te suivre dès que tu auras donné le signal. C'est ici ma propre querelle et je ne dois être autre part qu'à l'avant-garde de l'armée.» – «Considère cependant, noble Saxon, dit le chevalier, que tu n'as ni haubert, ni corselet, ni d'autre armure que ce casque, ce petit bouclier et cette épée, et que tout cela est bien peu de chose.» – «Tant mieux! répondit Cedric; je n'en serai que plus léger pour escalader ces murailles. Tu diras que je me vante, sire chevalier, mais je te dis que tu verras aujourd'hui la poitrine toute nue d'un Saxon se présenter au front de la bataille avec autant d'intrépidité que jamais tu n'y as vu paraître le corselet de fer d'un Normand.»

«Puisqu'il en est ainsi, s'écria le chevalier, au nom de Dieu, ouvrez la porte et lancez le pont flottant.» La porte qui conduisait du mur intérieur de la barbacane au fossé et qui correspondait à l'angle saillant dans le mur principal du château s'ouvrit alors tout à coup; et l'on fit avancer le radeau, qui bientôt fit rejaillir l'eau du fossé, s'étendant en longueur d'un bord à l'autre, mais ne formant qu'un passage glissant et momentané à deux hommes de front pour traverser depuis les ouvrages avancés jusqu'au château. Le chevalier noir, qui savait combien il était important de prendre l'ennemi par surprise, se précipita sur le radeau, suivi de près par Cedric, et parvint au bord opposé. Là il commença à frapper à coups redoublés avec sa hache sur la porte du château, à l'abri, du moins en partie, des traits et des pierres lancés par les assiégés, parce qu'il se trouvait sous les débris de l'ancien pont-levis, que le templier avait détruit en se retirant de la barbacane, et dont une portion était encore attachée au mur, au dessus de la porte. Ceux qui avaient suivi le chevalier n'avaient pas un pareil abri; deux furent tués par des carreaux d'arbalète; deux autres tombèrent dans le fossé; les autres rentrèrent dans la barbacane.

La position de Cedric et du chevalier noir était maintenant devenue vraiment critique, et l'aurait été encore davantage, sans la constance des archers qui étaient dans la barbacane à faire pleuvoir une grêle de flèches sur les remparts, détournant ainsi l'attention des assiégés qui les garnissaient, et donnant un peu de répit aux deux guerriers, qui sans cela auraient été accablés par le grand nombre de projectiles de toute espèce qu'on lançait sur eux. Il faut le répéter; le péril était imminent et le devenait toujours davantage. – «N'avez-vous pas de honte? s'écria de Bracy en s'adressant aux soldats qui l'entouraient. Vous voulez passer pour des arbalétriers, et vous souffrez que ces deux misérables maintiennent leur poste sous les murs du château? Faites tomber sur eux le chaperon de ce mur, si vous ne pouvez faire mieux. Apportez des pics, des leviers et abattez-moi cet énorme créneau;» leur indiquant en même temps une lourde masse de pierres sculptées qui surplombait du haut du parapet. En ce moment les assiégeans aperçurent le drapeau rouge flottant sur l'angle de la tour qu'Ulrique avait désigné à Cedric. Ce fut le brave Locksley qui le vit le premier, comme il se rendait en toute hâte aux ouvrages avancés, impatient de connaître les progrès de l'attaque.

«Saint Georges! s'écria-t-il; le glorieux saint Georges pour l'Angleterre, en avant, mes amis! Comment pouvez-vous laisser le bon chevalier et le noble Cedric attaquer seuls cette porte? Allons, crâne enfroqué, fais voir que tu sais combattre pour ton rosaire… En avant, mes braves, le château est à nous, nous avons des amis dans l'intérieur. Regardez là-haut ce drapeau, c'est le signal convenu. Torquilstone est à nous: songez à l'honneur, songez au butin; encore un effort, et nous sommes maîtres de la place!» En disant ces mots, il banda son arc et décocha une flèche droit à la poitrine d'un des hommes d'armes, qui, d'après les ordres de de Bracy, était occupé à détacher un fragment d'un des créneaux pour le précipiter sur Cedric et le chevalier noir. Un second soldat prit des mains du mourant la barre de fer pour achever de détacher la pierre; déjà il avait réussi, lorsque une flèche l'atteignit à la tête et le précipita mort dans le fossé. Les autres furent épouvantés, car aucune armure ne paraissait pouvoir résister aux traits du redoutable archer… «Allez-vous donc lâcher pied, misérables poltrons! s'écria de Bracy: Montjoie saint Denis! donnez-moi le levier.» En même temps il se saisit de la barre de fer avec laquelle il essaya de faire avancer le fragment déjà détaché, et qui était d'un poids si énorme, que dans sa chute il aurait non seulement mis en pièces ce qui restait du pont-levis qui abritait les deux assaillants, mais même aurait coulé à fond le pont grossier sur lequel ils avaient traversé le fossé; tous virent le danger, et les plus hardis, jusqu'au moine lui-même malgré son intrépidité, refusèrent de mettre le pied sur le radeau. Trois fois Locksley banda son arc contre de Bracy, et trois fois la flèche fut repoussée par l'excellente armure du guerrier.

 

«Maudite soit la trempe espagnole de ta cotte d'armes! dit Locksley; si elle eût été anglaise, mes flèches auraient traversé cet acier aussi facilement que si c'eût été de la soie, ou de la simple toile. Il se mit alors à crier: Camarades! amis! noble Cedric! battez en retraite: faites place à cette masse qui va tomber!» Sa voix ne fut pas entendue; car le bruit et le fracas, occasionné par le chevalier lui-même en frappant sur la poterne, aurait couvert le son de vingt trompettes de guerre. À la vérité, le fidèle Gurth s'élança sur le radeau dans le dessein d'avertir Cedric du danger qu'il courait, ou pour le partager avec lui. Mais cet avertissement serait arrivé trop tard: déjà l'immense fragment chancelait, et les efforts de de Bracy auraient été couronnés du succès si la voix du templier n'eût fait retentir à son oreille ces mots épouvantables: «Tout est perdu, de Bracy: le château est en feu!» – «As-tu perdu la tête?» répliqua le chevalier. – «Toute la partie de l'ouest est embrasée, dit le templier: j'ai fait de vains efforts pour arrêter les progrès de l'incendie.» Quelque effrayante que fût cette nouvelle, Brian de Bois-Guilbert l'annonça avec ce stoïque sang-froid qui formait la base de son caractère; mais elle ne fut pas reçue avec le même calme par de Bracy, qui s'écria: «Saints du Paradis! que devons-nous faire? Je fais voeu de donner à saint Nicolas de Limoges un chandelier d'or massif…»

«Laisse là ton voeu, dit le templier, et écoute-moi: Conduis tes soldats comme si tu voulais faire une sortie, et ouvre la porte de la poterne; il n'y a là que deux hommes pour protéger le radeau; jette-les dans le fossé, et pousse jusqu'à la barbacane, que, de mon côté, je viendrai attaquer avec les hommes que je ferai sortir par la porte principale. Si nous pouvons reprendre ce poste, sois sûr que nous nous défendrons jusqu'à ce que nous recevions quelque secours, ou qu'enfin on nous accorde des conditions honorables.» – «L'idée n'est pas mauvaise, dit de Bracy, et je vole à mon poste. Je puis compter sur toi, sans doute?» – «À la vie et à la mort, répondit Bois-Guilbert; mais, au nom de Dieu, dépêche-toi.»

De Bracy se hâta de rassembler sa troupe et de marcher à la poterne, dont il ordonna d'ouvrir incontinent la porte. Au même instant le chevalier noir, avec cette force extraordinaire qui le distinguait, se précipita dans le passage en dépit de toute la résistance de de Bracy et de sa troupe. «Poltrons, s'écria de Bracy, souffrirez-vous donc que deux hommes nous enlèvent le seul moyen de nous mettre en sûreté?» – «C'est le diable, dit un vieux combattant qui cherchait à se garantir de la furie du chevalier noir.» – «Eh bien! quand ce serait le diable, répliqua de Bracy, faut-il se jeter dans l'enfer pour éviter ses griffes? Le feu est au château, misérables! Que le désespoir vous donne du courage, ou bien laissez-moi passer, et que j'aille moi-même me mesurer avec ce vaillant champion.» Il faut avouer que ce Bracy, dans les événemens de ce jour, maintint la réputation qu'il s'était acquise dans les guerres civiles de cette désastreuse époque. Le passage voûté qui conduisait à la poterne, et dans lequel les deux vaillans champions combattaient corps à corps, retentissait des coups violens qu'ils se portaient: de Bracy avec son épée, et le chevalier noir avec sa lourde hache d'armes. À la fin, le Normand reçut un coup si violent, que, bien qu'il fût en partie amorti par son bouclier, car autrement il ne s'en serait jamais relevé, tomba d'une telle force en arrière sur son casque, qu'il fut renversé tout de son long sur le pavé.» – «Rends-toi, de Bracy, dit le chevalier noir en se penchant sur lui, et tenant contre le grillage de sa visière le fatal poignard avec lequel les chevaliers se débarrassaient de leurs ennemis, et que l'on appelait le poignard de la miséricorde; rends-toi, Maurice de Bracy, secouru ou non, ou tu es mort.» – «Je ne veux pas me rendre, répondit de Bracy d'une voix faible, à un vainqueur que je ne connais point. Dis-moi ton nom, ou exerce sur moi ta furie; mais il ne sera jamais dit que Maurice de Bracy a été le prisonnier d'un rustaud, dont le nom était inconnu.»

Le chevalier noir dit tout bas quelques mots à l'oreille du vaincu. «Je me reconnais ton véritable prisonnier, secouru ou non secouru, répondit le Normand, quittant son ton de fierté et d'obstination bien prononcée, et prenant celui de la plus grande soumission.» – «Rends-toi à la barbacane, dit le vainqueur d'un ton d'autorité, et là attends mes ordres.» – «Mais auparavant, dit de Bracy, laissez-moi vous dire une chose qu'il vous importe de savoir. Wilfrid d'Ivanhoe est blessé et prisonnier, et il périra dans l'embrasement s'il n'est promptement secouru.» – «Wilfrid d'Ivanhoe prisonnier et près de périr! s'écria le chevalier noir. Si un seul cheveu de sa tête est atteint par le feu, je m'en vengerai sur chacun des habitans du château. Dis-moi où est sa chambre?» – «Monte cet escalier tournant que tu vois là-bas, dit de Bracy; il conduit à son appartement. Ne veux-tu pas que je t'y mène?» – «Non, répondit le chevalier, va-t'en tout de suite à la barbacane, et attends-y mes ordres. Je ne me fie pas à toi, de Bracy.»

Pendant ce combat et le court monologue qui suivit, Cedric, à la tête d'un corps de troupes, dans lequel le moine se faisait remarquer, traversa le pont flottant aussitôt que la poterne fut ouverte, et chassa devant lui les soldats découragés et désespérés de de Bracy; les uns demandèrent quartier; d'autres voulurent résister, mais en vain; le plus grand nombre s'enfuit vers la cour du château. De Bracy lui-même se releva, et jeta tristement un coup d'oeil sur son vainqueur qui s'éloignait. «Il ne se fie pas à moi, répéta-t-il; hélas! me suis-je montré digne de sa confiance?» Ensuite il ramassa son épée, ôta son casque en signe de soumission, et s'achemina vers la barbacane; dans sa marche il rencontra Locksley et lui remit son épée.

Comme les flammes faisaient des progrès rapides, elles furent bientôt aperçues de la chambre où se trouvait Ivanhoe avec la juive Rébecca, qui lui prodiguait tous ses soins. Son assoupissement avait été de peu de durée; car il avait été réveillé par le bruit de l'attaque, et Rébecca, qui à son instante prière s'était remise à la fenêtre pour connaître l'issue du combat et pour l'en instruire, fut pendant quelque temps dans l'impossibilité de rien distinguer, à cause de la vapeur étouffante qui s'élevait de tous côtés. Enfin les tourbillons de fumée qui vinrent remplir l'appartement, et les cris de «Au feu! de l'eau!» qui se firent entendre malgré tout le tumulte de l'attaque, firent bientôt connaître les progrès de ce nouveau danger. «Le château est en feu, s'écria Rébecca, tout est embrasé! Que faire pour nous sauver?» – «Fuis, Rébecca, et mets-toi en sûreté, dit Ivanhoe; quant à moi, aucun secours humain ne saurait me sauver.» – «Je ne fuirai point, dit Rébecca; nous serons sauvés ou nous périrons ensemble. Et cependant, grand Dieu! mon père; mon père, que va-t-il devenir?» En ce moment la porte de l'appartement s'ouvre, et le templier se présente dans un ensemble effrayant; car son armure dorée était brisée et ensanglantée, et le panache qui ombrageait son casque était en partie brûlé et en partie tombant en flocons déchirés.

«Je te retrouve, dit-il à Rébecca; tu vas voir que je tiens ma promesse de partager avec toi la bonne et la mauvaise fortune. Il n'y a qu'un seul passage qui puisse nous conduire dans un lieu de sûreté. Il m'a fallu vaincre mille obstacles pour venir te le montrer; allons, suis-moi à l'instant.» – «Seule? répondit Rébecca; non, je ne te suivrai point; mais si tu es réellement né d'une femme, si tu as la moindre étincelle d'humanité, si ton coeur n'est pas aussi dur que la cuirasse qui te couvre, oh! sauve mon vieux père, sauve ce chevalier blessé.» – «Un chevalier, répliqua le templier avec son sang-froid accoutumé; un chevalier, Rébecca, doit se soumettre au sort qui l'attend, soit au milieu des flammes, soit dans le fort des combats; mais qui est-ce qui s'embarrasse de savoir où et comment un juif subira le sien?» – «Guerrier farouche! dit Rébecca; plutôt périr dans les flammes que te devoir mon salut!» – «Il ne s'agit pas de choix, Rébecca, répliqua le templier; tu as réussi une fois à rompre mon dessein; mais il n'y a pas un mortel qui puisse se vanter de m'avoir trompé deux fois.»

À ces mots il saisit la jeune fille, qui fait retentir l'air de ses cris de terreur, et l'emporte entre ses bras hors de la chambre, sans faire attention aux menaces et aux injures qu'Ivanhoe vomissait contre lui. «Infernal templier, disait-il d'une voix de tonnerre, opprobre de ton ordre, laisse là cette fille! traître de Bois-Guilbert! c'est Ivanhoe qui te l'ordonne. Scélérat! je veux te percer le coeur.» – «Sans tes cris, Wilfrid, dit le chevalier noir, qui entra en ce moment dans la chambre, je ne t'aurais pas trouvé.» – «Si tu es un vrai chevalier, dit Ivanhoe, ne t'occupe pas de moi; mets-toi à la poursuite de ce ravisseur; sauve lady Rowena; cherche le noble Cedric.» – «Chacun son tour, répondit le chevalier noir; à présent c'est le tien.» Et, prenant Ivanhoe dans ses bras, il l'emporta avec autant de facilité que le templier en avait eu en enlevant Rébecca, et courut jusqu'à la poterne, où il confia son fardeau aux soins de deux gardes, et rentra dans le château pour aider à sauver les autres prisonniers.

La flamme brillait maintenant dans une des tourelles, d'où elle s'échappait par les fenêtres et les meurtrières. Il y avait cependant des endroits où la grande épaisseur des murs et les voûtes des appartemens résistaient au progrès de l'incendie; mais aussi la rage de l'homme y déployait ses fureurs avec non moins de violence que ne le faisait autre part cet élément que l'on peut à peine appeler plus destructeur; car les assiégeans poursuivaient les défenseurs du château de chambre en chambre, et assouvissaient dans leur sang la vengeance qui depuis long-temps les animait contre les soldats du tyran Front-de-Boeuf. La majeure partie de la garnison fit une résistance opiniâtre; un petit nombre demanda quartier; mais personne ne l'obtint. L'air retentissait de gémissemens et du cliquetis des armes; et on avait peine à marcher sur les planchers glissans, rougis du sang des morts et des blessés.

À travers cette scène de confusion, on vit se précipiter Cedric, volant à la recherche de Rowena, tandis que le fidèle Gurth le suivait de près dans la mêlée, oubliant sa propre sûreté et s'efforçant de détourner les coups dirigés contre son maître. Le noble Saxon fut assez heureux pour arriver à l'appartement de sa pupille, justement au moment précis où, perdant toute espérance de se sauver, et pressant, avec toute l'angoisse du désespoir, un crucifix contre son sein, attendait une mort que tout lui représentait à chaque instant comme plus prochaine. Il la confia aux soins de Gurth, qu'il chargea de la conduire à la barbacane, avec laquelle on pouvait maintenant communiquer sans crainte de l'ennemi, ni s'exposer aux flammes qui n'y étaient pas encore parvenues. Cela fait, le loyal Cedric se hâta de se mettre à la recherche de son ami Athelstane, déterminé à s'exposer à tous les dangers pour sauver le dernier rejeton des rois saxons. Mais avant que Cedric eût pénétré jusqu'à l'antique salle dans laquelle il avait été lui-même prisonnier, le génie inventif de Wamba était parvenu à se procurer la liberté, ainsi qu'à son compagnon d'infortune.

 

Lorsque le tumulte du combat eut fait connaître que l'on était au plus fort de l'action, le fou se mit à crier de toute la force de ses poumons: «Saint Georges et le Dragon; le brave saint Georges pour l'Angleterre! Le château est à nous!» Et il rendit ces cris encore plus effrayans en frappant l'une contre l'autre deux ou trois armures vieilles et rouillées qui se trouvaient éparpillées autour de la salle.

Les soldats qui composaient le corps-de-garde posté à l'extérieur, c'est-à-dire dans l'antichambre, et qui étaient déjà dans un état d'alarme, furent soudain épouvantés par les cris de Wamba; et, sans songer à fermer la porte, coururent annoncer au templier que les ennemis étaient entrés dans la vieille salle. Dès lors il ne fut pas difficile aux prisonniers de s'échapper, d'abord de l'antichambre, et de là dans la cour du château, maintenant le théâtre des derniers efforts des combattans. Ici se faisait remarquer le fier templier, à cheval, entouré d'une partie de la garnison, infanterie et cavalerie, qui s'étaient ralliés autour de leur vaillant chef, dans le dessein de s'assurer de la dernière chance de retraite et de salut qui leur restât. Le pont-levis avait été baissé par son ordre, mais le passage était loin d'être libre; car les archers, qui jusqu'alors s'étaient bornés à lancer leurs flèches contre cette partie du château, voyant maintenant l'incendie se propager et le pont-levis se baisser, se précipitèrent tous ensemble à la porte, tant pour empêcher la sortie de la garnison que pour s'assurer de leur part du butin avant la ruine totale du château. D'un autre coté, ceux des assiégeans qui étaient entrés par la poterne étaient parvenus jusque dans la cour, attaquant avec furie le peu de défenseurs qui restaient et qui se trouvaient ainsi pressés des deux côtés à la fois.

Poussé néanmoins par le désespoir, et encouragé par l'exemple de son intrépide chef, ce dernier reste des défenseurs du château combattit avec la plus grande valeur; et, quoique bien inférieur en nombre aux assaillans, il réussit plus d'une fois à les repousser. Rébecca, à cheval, devant un des esclaves sarrasins du templier, était au milieu de la petite troupe, et Bois-Guilbert, malgré la confusion occasionnée par la lutte sanglante qui se passait, veillait avec la plus grande attention à sa sûreté. À tout instant on le voyait à ses côtés, oubliant le soin de sa propre conservation, la couvrant de son bouclier triangulaire recouvert d'acier, parfois la quittant en faisant entendre son cri de guerre, et se précipitant au milieu des ennemis pour faire mordre la poussière à ceux qui se présentaient les premiers, puis il retournait à l'instant à côté de celle qu'il protégeait.

Athelstane, qui, comme on sait, était un peu indolent à la vérité, mais nullement poltron, examinait avec attention tout ce qui, sous ce costume de femme, pouvait lui faire reconnaître celle que le templier ne perdait pas de vue, et dans lequel son instinct ou sa jalousie le portèrent à voir Rowena, qu'il convoitait, pour la faire disparaître en dépit de ses gardiens; «Par l'âme de saint Édouard, dit-il, je la délivrerai des mains de ce trop orgueilleux chevalier, et je le ferai tomber sous mes coups.»

«Prenez garde, dit le railleur Wamba, pour vouloir trop se presser on pêche une grenouille au lieu d'un poisson. Par ma marotte, ce n'est pas là lady Rowena; voyez ces longs cheveux noirs… Ou bien, si vous ne distinguez pas le blanc du noir, vous pouvez marcher si vous voulez; quant à moi, je ne vous suis point; je n'irai pas me faire rompre les os sans savoir pour qui… Et puis, vous voilà sans armure… Prenez-y garde, jamais bonnet de soie n'a résisté à un acier bien trempé… Ah! vous voulez absolument vous jeter dans l'eau; eh bien! vous serez mouillé… Deus vobiscum, archi-vaillant chevalier Athelstane!» En achevant ces mots, il s'éloigna du Saxon, qu'il avait jusque là retenu par sa tunique.

Relever de terre une masse d'armes que la main d'un soldat expirant venait d'abandonner, se précipiter sur la troupe du templier, frappant rapidement à droite et à gauche et renversant un guerrier à chaque coup, ne fut pour le robuste et vigoureux Athelstane, alors animé d'une fureur extraordinaire, que l'oeuvre d'un moment; il se trouva bientôt à peu de distance de Bois-Guilbert, à qui il cria d'une voix de tonnerre: «À moi, poltron de templier! Laisse là celle que tu es indigne de toucher; à moi, chef d'une bande de voleurs et d'assassins!» – «Chien que tu es, répondit le templier, en grinçant les dents, je vais t'apprendre à blasphémer ainsi l'ordre sacré du temple de Sion,» et au même instant, faisant faire une demi-volte à son cheval, puis une demi-courbette vers le Saxon, et se levant sur les étriers, de manière à profiter de tout l'avantage qu'allait lui donner la descente du cheval, il asséna un coup épouvantable sur la tête d'Athelstane.

Wamba avait bien eu raison de dire que bonnet de soie ne résistait pas à acier bien trempé. Le sabre du templier était si tranchant, qu'il fit voler en éclats le manche, quoique très dur et garni de fortes lanières, de la hache d'armes que le malheureux Saxon avait levée pour parer le coup, et descendit avec une telle violence sur sa tête, qu'il le renversa dans la poussière.

«Ah! te voilà donc, Baucéan, s'écria Bois-Guilbert; ainsi périssent tous les ennemis des chevaliers du Temple!» Et profitant de l'état de consternation dans lequel les ennemis étaient plongés par la chute d'Athelstane, il s'écria: «Que ceux qui veulent se sauver me suivent, en s'élançant vers le pont-levis, qu'il traversa en dépit des archers qui voulaient s'y opposer. Il fut suivi par ses Sarrasins et par cinq ou six hommes d'armes qui étaient remontés sur leurs chevaux. Le templier courut quelque danger dans sa retraite, à cause du grand nombre de trais lancés sur lui et sur sa troupe; mais cela ne l'empêcha pas de faire le trajet au galop, pour arriver à la barbacane, pensant qu'il était possible que de Bracy s'en fût emparé, d'après le plan qu'il avait concerté avec lui.

«De Bracy! De Bracy! s'écria-t-il, es-tu là?» – «Oui, répondit de Bracy, mais j'y suis prisonnier.» – «Puis-je te secourir? demanda Bois-Guilbert.» – «Non, répondit de Bracy; je me suis rendu, secouru, ou non secouru, et je serai fidèle à ma parole. Sauve-toi; les faucons sont lâchés… Mets la mer entre toi et l'Angleterre… Je n'ose t'en dire davantage.» – «Eh bien! répliqua le templier, puisque tu veux rester là, souviens-toi que j'ai dégagé ma parole de «À la vie et à la mort.» Quant aux faucons, qu'ils soient où ils voudront, je m'imagine que les murs de la préceptorerie de Templestowe seront pour moi un abri suffisant, et c'est là que je vais me rendre, comme le héron dans sa retraite.» À ces mots il mit son cheval au galop et disparut avec sa suite.

Ceux des assiégés qui n'avaient pas abandonné le château, continuèrent à se battre en désespérés, après le départ du templier, non qu'ils eussent aucun espoir de vaincre, mais parce qu'ils n'attendaient point de quartier. Le feu se propageait rapidement dans toutes les parties du château, lorsqu'on aperçut sur une des tourelles Ulrique, qui l'avait allumé, semblable à une des furies dont les anciens nous ont donné la description22, faisant entendre un chant de guerre, pareil à celui qu'entonnaient sur le champ de bataille les scaldes des Saxons lorsqu'ils étaient encore plongés dans les erreurs du paganisme. Ses longs cheveux gris flottaient derrière sa tête découverte. On voyait dans ses yeux l'ivresse délicieuse de la vengeance satisfaite le disputer au feu de la folie la plus délirante; et sa main brandissait une quenouille, comme si elle eût voulu se comparer à l'une des Parques filant et coupant le fil de la vie humaine23. La tradition nous a conservé quelques unes des strophes de l'hymne barbare que dans cet accès de démence elle chanta au milieu de cette scène de carnage et d'embrasement.

22Les furies Scandinaves avaient nom Walkyries. Montées sur des coursiers agiles, elles s'élançaient, le glaive à la main, dans la mêlée, et choisissaient les braves qui allaient périr, pour les conduire à l'Élysée de leur dieu.
23Les parques des Saxons avaient de l'analogie avec celles des anciens.A. M.