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Ivanhoe. 4. Le retour du croisé

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Elle s'arrêta un moment. Tous les yeux se tournèrent vers Brian de Bois-Guilbert. Il garda le silence, «Parle, reprit-elle; si tu es homme, si tu es chrétien, parle! je t'en conjure par l'habit que tu portes, par le nom que tes ancêtres t'ont laissé pour héritage, par l'ordre de la chevalerie dont tu te fais gloire, par l'honneur de ta mère, par le tombeau et par les ossemens de ton père, je te somme de déclarer si tout ce qu'on a dit contre moi est vrai.» – «Réponds-lui, mon frère, dit le grand-maître, si toutefois l'ennemi contre lequel je te vois lutter t'en laisse le pouvoir.»

En effet, Bois-Guilbert paraissait être en proie à un tumulte de passions, qui, se combattant les unes les autres, opéraient une sorte de convulsion dans tous ses traits; et ce ne fut que d'une voix qui exprimait la plus grande contrainte, qu'il put articuler ces mots entrecoupés en regardant Rébecca: «Le papier! le papier!»

«Vous l'entendez, s'écria Beaumanoir; voilà ce qu'on peut regarder comme une preuve irréfragable, puisque la victime de ses sortiléges ne peut prononcer que: «Le papier!» Le papier fatal, le talisman, sur lequel probablement est inscrite la cause de son silence.»

Mais Rébecca interpréta différemment les paroles arrachées pour ainsi dire à Bois-Guilbert; et jetant un coup d'oeil rapide sur le morceau de papier qu'elle tenait encore à la main, elle lut ces mots tracés en caractères arabes: «Demande le privilége à un champion.» Le murmure qui se fit entendre dans l'assemblée, occasionné par les commentaires que les spectateurs se communiquaient sur l'étrange réponse de Bois-Guilbert, donna à Rébecca le temps de lire, et au même instant de détruire le papier, sans qu'on s'en aperçût. Lorsque le silence fut rétabli le grand-maître reprit la parole.

«Rébecca, dit-il, tu ne peux retirer aucun avantage du témoignage de ce malheureux chevalier, contre qui, nous le voyons bien, l'ennemi est trop puissant. As-tu quelque autre chose à dire?» – «Il me reste encore une chance pour sauver ma vie, dit Rébecca, même d'après vos lois barbares. Ma vie a été misérable, bien misérable, du moins dans ces derniers temps; mais je ne rejetterai point un don que j'ai reçu de Dieu, tant qu'il me fournira les moyens de le défendre. Je nie l'accusation portée contre moi; je maintiens mon innocence et la fausseté de l'inculpation; je réclame le privilége du combat en champ clos, et je comparaîtrai par un champion.»

«Et qui voudra, Rébecca, dit le grand-maître, lever sa lance et la mettre en arrêt pour une sorcière? Qui voudra se présenter comme le champion d'une juive?» – «Dieu me suscitera un champion, répondit Rébecca. Il n'est pas possible que, dans l'heureuse Angleterre, sur cette terre hospitalière, chez cette nation généreuse et libre, où l'on trouve un si grand nombre de chevaliers prêts à hasarder la vie pour l'honneur, il ne s'en trouve un seul qui veuille combattre pour la justice. Mais il suffit que je réclame le privilége du combat, et voilà mon gage.» En disant ces mots elle ôta un de ses gants brodés et le jeta devant le grand-maître avec un air de modestie et de dignité qui excita une surprise et une admiration universelles.

CHAPITRE XXXVIII

«Je jette là mon gage pour te prouver la vérité de ceque j'avance, jusqu'au dernier degré de la valeur martiale.»

SHAKSPEARE. Richard.

Lucas Beaumanoir lui-même se sentit alors ému par l'air de noblesse et le maintien décent de Rébecca. Il n'était naturellement ni cruel, ni même sévère; mais son caractère froid, sans passions vives, uni à un sentiment élevé, quoique faux, lui faisait regarder comme un devoir les impressions d'un coeur qui s'était graduellement endurci par l'effet d'une vie ascétique, comme par l'exercice du pouvoir suprême, et encore par la nécessité supposée de subjuguer les infidèles et de déraciner l'hérésie, qu'il s'imaginait être pour lui une obligation toute particulière. Ses traits se relâchèrent un peu de leur inflexibilité habituelle, lorsque ses regards se fixèrent sur la belle et intéressante créature qui était devant lui, seule, sans amis, et qui se défendait avec tant de dignité et de courage. Il fit deux fois le signe de la croix, ne sachant d'où provenait cet attendrissement inusité d'un coeur qui, dans des occasions semblables, avait été d'une dureté égale à celle de l'acier de son épée. Enfin il reprit la parole.

«Jeune fille, dit-il, si la pitié que je ressens pour toi est l'effet de quelque art magique que tu aies pratiqué sur moi, ton crime est grand; mais j'aime à la regarder comme produite par de plus doux sentimens de la nature, qui s'afflige de voir qu'un corps qui présente une forme aussi agréable ne soit qu'un vase de perdition; exprime ton repentir, ma fille, confesse tes crimes de charmes et d'enchantemens, renonce à ta fausse croyance, embrasse notre sainte religion, et tu seras encore heureuse, et dans cette vie et dans l'autre. Placée dans quelque monastère de l'ordre le plus austère, tu auras encore le temps de prier et de faire pénitence, et tu ne te repentiras pas de cette résolution. Fais ce que je te dis, et sauve ta vie. Qu'a fait pour toi la loi de Moïse? qui t'oblige à lui sacrifier ta vie?»

«Ce fut la loi de mes pères, répondit Rébecca; elle leur fut donnée sur le mont Sinaï, au milieu du tonnerre et des éclairs, et dans un nuage de feu; c'est ce que vous croyez si vous êtes chrétiens; elle est, dites-vous, révoquée, mais c'est là ce que mes maîtres ne m'ont point enseigné.» – «Qu'on fasse venir notre chapelain, dit Beaumanoir; qu'il dise à cette infidèle obstinée…» – «Pardonnez si je vous interromps, dit Rébecca avec douceur; je ne suis qu'une jeune fille, inhabile à discuter sur ma religion; mais je saurai mourir pour elle, si telle est la volonté de Dieu. Daignez m'accorder une réponse à ma demande du privilége d'un champion.»

«Donnez-moi son gant, dit Beaumanoir. Certes, continua-t-il en examinant le tissu léger et les doigts effilés de ce gant, voilà un gage bien faible et bien frêle pour un combat aussi terrible. Vois-tu, Rébecca, comme ton gant mince et léger est à un de nos lourds gantelets d'acier? ainsi est ta cause à l'égard de celle du Temple; car c'est notre saint ordre que tu as défié.» – «Mets mon innocence de l'autre coté de la balance, répondit Rébecca, et le gant de soie l'emportera sur le gant de fer.»

«Ainsi donc, dit le grand-maître, tu persistes dans ton refus de confesser ton crime, et dans l'audacieux défi que tu as fait?» – «Je persiste, noble sire, répondit Rébecca.» – «Soit donc ainsi fait, au nom du ciel! dit le grand-maître, et que Dieu fasse triompher le bon droit!» – «Amen!» répondirent les précepteurs autour de lui, et le mot fut répété par toute l'assemblée.

«Mes frères, dit Beaumanoir, vous n'ignorez pas que nous aurions très bien pu refuser à cette femme le privilége du jugement par combat; mais, quoique juive et infidèle, elle est étrangère et sans défense; à Dieu ne plaise que, lorsqu'elle réclame le bénéfice de nos douces lois, nous refusions de l'en faire jouir! D'ailleurs nous sommes des chevaliers et des soldats aussi bien que des religieux, et ce serait une honte à nous de refuser, sous aucun prétexte, le combat demandé. Voici donc l'état de la cause. Rébecca, fille d'Isaac d'York, est, d'après un grand nombre de faits et de présomptions, accusée du crime de sorcellerie commis sur la personne d'un noble chevalier de notre saint ordre, et a réclamé le privilége du combat pour prouver son innocence. À qui êtes-vous d'avis, révérends frères, que nous devions remettre le gage du combat en le nommant en même temps notre champion dans la lice?»

«À Brian de Bois-Guilbert, dit le précepteur Goodalrick, qui est personnellement intéressé dans cette affaire, et qui d'ailleurs connaît mieux que personne de quel côté est la vérité et la justice.»

«Mais, dit le grand-maître, si notre frère Brian est sous l'influence d'un charme ou d'un sort? Ce n'est au reste que par motif de prudence; car il n'est pas dans tout notre ordre un bras auquel je confierais plus volontiers la défense de cette cause, ou de toute autre d'une plus grande importance.» – «Éminentissime père, répondit le précepteur Goodalrick, aucun charme ne peut opérer sur le champion qui se présente au combat pour le jugement de Dieu.»

«Tu as raison, mon frère, dit le grand-maître. Albert Malvoisin, donne ce gage de bataille à Brian de Bois-Guilbert. La recommandation que nous avons à te faire, mon frère, continua-t-il en s'adressant à Bois-Guilbert, est que tu combattes vigoureusement et en homme de courage, ne doutant pas que tu ne fasses triompher la bonne cause. Et toi, Rébecca, fais attention que je te désigne le troisième jour, à partir de celui-ci, auquel tu auras dû trouver un champion.» – «C'est un délai bien court, répondit Rébecca, pour une étrangère, pour une femme d'une croyance différente de la vôtre, s'il faut trouver quelqu'un qui veuille combattre et exposer sa vie et son honneur à cause d'elle.»

«Il ne nous est pas possible de le prolonger, dit le grand-maître. Le combat doit avoir lieu en notre présence, et divers motifs puissans nous appellent ailleurs le quatrième jour.» – «Que la volonté de Dieu soit accomplie, dit Rébecca. Je mets ma confiance en celui pour qui un instant est aussi efficace pour se sauver que le serait une suite de siècles.» – «Tu as très bien dit, jeune fille, observa le grand-maître; mais nous savons quel est celui qui peut se couvrir d'armure et ressembler à un ange de lumière. Il ne reste plus qu'à désigner le lieu du combat, et, s'il y a lieu, celui de l'exécution. Où est le précepteur de cette maison?»

Albert Malvoisin, ayant encore à la main le gant de Rébecca, parlait en ce moment à Bois-Guilbert d'un air animé, mais à voix basse. «Quoi! dit le grand-maître, ne veut-il pas recevoir le gage?» – «Il le recevra, il le reçoit, éminentissime père, répondit Malvoisin en cachant le gant sous son propre manteau. Quant au lieu du combat, je pense qu'il n'en est pas de plus convenable que la lice de Saint-Georges, appartenant à la préceptorerie, et où nous faisons ordinairement nos exercices militaires.» – «C'est bien, dit le grand-maître. Rébecca, c'est dans cette lice que tu devras produire ton champion; et s'il ne s'en présente point, ou si celui qui viendra est vaincu par le jugement de Dieu, tu mourras de la mort des sorcières, conformément à notre sentence. Que ce jugement soit consigné dans nos registres, et qu'on en fasse lecture à haute voix, afin que personne n'en prétende cause d'ignorance.»

 

L'un des chapelains qui remplissaient les fonctions de greffier inscrivit tout de suite ce jugement sur un énorme registre qui contenait les procès-verbaux des séances solennelles des chevaliers du Temple, et lorsqu'il eut fini d'écrire, l'autre chapelain lut à haute voix la sentence du grand-maître, rédigée en ces termes:

«Rébecca, juive, fille d'Isaac d'York, atteinte et convaincue de sorcellerie, de séduction et autres damnables pratiques, faites contre un chevalier du très saint ordre du Temple de Sion, nie le fait, et dit que le témoignage en ce jour porté contre elle est faux, méchant et déloyal, et que par légitime essoine12, ou privilége de son corps, comme ne pouvant combattre elle-même, elle offre, par un gentilhomme, en sa place, de soutenir sa cause, et par lui faisant son loyal devoir, en toute manière chevaleresque, avec telles armes qu'à gage de bataille il appartient, et ce à ses périls et frais, pour quoi elle a jeté son gage; et le gage ayant été remis ès-mains du noble sire et chevalier Brian de Bois-Guilbert, du saint ordre du Temple de Sion, il a été désigné pour soutenir cette bataille au nom de son ordre et de lui-même, comme partie offensée et comme victime des pratiques de la réclamante. C'est pourquoi l'éminentissime père et puissant seigneur Lucas, marquis de Beaumanoir, a octroyé permission de faire ledit défi, accordé ledit essoine et privilége du corps de la réclamante, et désigné le troisième jour pour ledit combat, le lieu étant l'enclos dit la lice de Saint-Georges, près la préceptorerie de Templestowe; et le grand-maître somme la réclamante de comparaître audit lieu par son champion, sous peine de subir sa sentence comme convaincue de sorcellerie ou de séduction, et aussi somme le défendant d'y comparaître, sous peine d'être tenu pour lâche, et déclaré tel comme défaillant; et le noble seigneur et éminentissime père susnommé, ordonne que ledit combat ait lieu en sa présence, le tout suivant les us et coutumes en pareil cas établis et déterminés. Que Dieu fasse justice à la bonne cause!»

«Amen!» dit le grand-maître, et le mot fut répété par tous les assistans. Rébecca ne parla point, mais elle leva les yeux au ciel, et, joignant les mains, resta une minute sans changer d'attitude. Ensuite elle rappela modestement au grand-maître qu'on devait lui permettre de profiter des occasions qui se présenteraient de communiquer librement avec ses amis, pour leur faire connaître sa position, et pour se procurer, s'il était possible, un champion qui voulût combattre à sa place.»

«Cela est juste et légitime, dit le grand-maître; choisis tel messager que tu croiras digne de ta confiance, et il aura libre communication avec toi dans la chambre qui te sert de prison.» – «Y a-t-il quelqu'un ici, dit Rébecca, qui par intérêt pour une cause juste, ou pour un ample salaire, veuille rendre ce service à un être qui est dans la détresse?»

Tout le monde garda le silence, croyant qu'il n'était pas prudent, en présence du grand-maître, de manifester de l'intérêt à la prisonnière qui venait d'être condamnée, et aussi par la crainte d'être soupçonné de protéger le judaïsme, ou de nourrir l'espoir d'une récompense, ou encore de trahir un sentiment naturel de compassion. Rébecca resta quelques instans dans un état d'anxiété impossible à décrire. «Est-il croyable? s'écria-t-elle enfin. Eh quoi! en Angleterre, me trouver ainsi privée de la seule espérance de salut qui me reste, faute d'un acte de charité qu'on ne refuserait pas même au dernier des criminels!»

À la fin, Higg, fils de Snell, répondit: «Je ne suis qu'un estropié, mais si je puis me remuer ou marcher un peu, c'est à son secours charitable que je le dois. Je ferai ta commission, ajouta-t-il, autant que le peut un homme qui n'a pas le libre usage de ses membres; et plût à Dieu que je fusse assez ingambe pour pouvoir réparer par ma promptitude le mal que j'ai fait avec ma langue! Hélas! lorsque je me glorifiais d'avoir été l'objet de ta charité, j'étais loin de penser que je mettrais ta vie en danger.»

«Dieu, dit Rébecca, dispose de tous les événemens ici-bas. Il peut faire cesser la captivité de Juda, même avec le plus faible instrument. Pour porter ses ordres, le limaçon est un messager aussi sûr que le faucon. Il te faut chercher Isaac d'York; voici de quoi payer tes frais de voyage, y compris ton cheval. Donne-lui ce billet; je ne sais si c'est du ciel que me vient cet espoir; mais j'ai réellement celui que je ne subirai pas la mort à laquelle on vient de me condamner, et que Dieu me suscitera un champion. Adieu! de ta diligence, dépend ma vie ou ma mort.»

Le paysan prit le billet, qui contenait quelques mots en hébreu. Plusieurs des assistans voulaient dissuader Higg de toucher à un objet aussi suspect; mais il était résolu à servir sa bienfaitrice. Elle avait guéri son corps, disait-il, et il ne pouvait croire qu'elle eût le dessein de mettre son ame en péril. «Je vais, dit-il, emprunter le bon cheval de mon voisin Buthan, et je serai à York en aussi peu de temps qu'il sera possible avec une pareille monture.»

Mais sa bonne fortune ne le laissa pas aller si loin, car à environ un quart de mille des portes de la préceptorerie, il rencontra deux cavaliers, qu'à leur costume et à leurs gros bonnets jaunes il reconnut pour être des juifs; et lorsqu'il en fut rapproché, il vit que l'un d'eux était Isaac d'York pour qui il avait autrefois travaillé: l'autre était le rabbin Ben Samuel, et tous deux étaient venus aussi près de la préceptorerie qu'ils l'avaient osé, sur la nouvelle qu'ils avaient reçue que le grand-maître avait convoqué un chapitre pour faire le procès à une sorcière.

«Frère Ben Samuel, disait Isaac, mon esprit est troublé, et je ne sais pourquoi. Cette accusation de nécromancie n'est que trop souvent employée pour cacher de mauvais desseins contre notre peuple.»

«Tranquillise-toi, mon frère, répondit le médecin; tu peux prendre des arrangemens avec ces Nazaréens, parce que tu es en possession de richesses, qui sont le mammon de l'iniquité, et qui te mettent en état d'acheter pleine et entière immunité. L'or a sur les esprits féroces de ces hommes abandonnés de Dieu le même pouvoir qu'on attribuait au sceau du puissant roi Salomon, que l'on disait commander aux mauvais génies. Mais quel est ce pauvre malheureux qui vient ici, appuyé sur des béquilles, et qui, je crois, désire nous parler? Ami, dit-il en s'adressant à Higg, fils de Snell, je ne te refuse pas le secours de mon art, mais je ne donne pas même un aspre à ceux qui demandent l'aumône sur le grand chemin. Fi! n'as-tu pas de honte? Tu es paralysé des jambes, eh bien, travaille des mains pour gagner ta vie; car, si tu ne peux courir la poste, si tu ne peux avoir la garde fatigante d'un troupeau, être militaire ou servir un maître impatient, tu peux trouver d'autres occupations… Eh bien, mon frère, qu'est-ce qu'il y a donc, dit-il en s'interrompant pour regarder Isaac, qui n'ayant fait que jeter un coup d'oeil sur le billet que Higg lui avait présenté, poussa un profond soupir, et se laissa tomber de sa mule, comme un homme qui va mourir, et resta un moment étendu sur la terre, privé de sentiment.

Le rabbin alarmé descendit de cheval, et employa aussitôt les remèdes que son art lui suggérait pour faire revenir son compagnon. Il avait même tiré de sa poche une boîte de ventouses, et se préparait à le saigner, lorsque l'objet de ses vives inquiétudes reprit tout à coup ses sens, mais ce fut pour jeter son bonnet et rouler sa tête dans la poussière. Le médecin eut d'abord la pensée d'attribuer cette subite et violente émotion à un accès de démence, et, persistant dans sa première intention, reprit en main ses instrumens. Mais Isaac le convainquit bientôt de son erreur.

«Enfant de ma douleur! s'écria-t-il, on aurait bien pu te nommer Benoni au lieu de Rébecca. Pourquoi faut-il que ta mort conduise mes cheveux blancs au tombeau, et que, dans l'amertume de mon ame, je maudisse Dieu et que je meure?» – «Frère, dit le rabbin saisi de surprise, es-tu père en Israël, et oses-tu prononcer des paroles semblables? J'espère que l'enfant de ta maison vit encore.»

«Elle vit, répondit Isaac, mais c'est comme Daniel, que Balthasar avait fait jeter dans la fosse aux lions. Elle est prisonnière des enfans de Bélial, et ils exerceront leur cruauté sur elle, sans pitié pour sa jeunesse ni sa beauté. Oh! elle était comme une couronne de palmes verdoyantes sur mes cheveux blancs! et elle se fanera dans une nuit comme la courge ou citrouille de Jonas! Enfant de mon amour! ô Rébecca, fille de Rachel, les ténèbres de la mort t'environnent déjà.» – «Mais enfin, lis ce billet, dit le rabbin; il est possible que nous trouvions encore quelque moyen de la délivrer.» – «Lis, mon frère, répondit Isaac, lis toi-même, car mes yeux sont comme une fontaine.» Le médecin lut, en hébreu, ce qui suit:

«À Isaac, fils d'Adonikam, que les Gentils appellent Isaac d'York. Que la paix et la bénédiction de la promesse se multiplient sur toi. Mon père, je suis comme une personne qui est condamnée à mourir pour une chose que mon ame ne connaît point, pour le crime de sorcellerie. Mon père, si on peut trouver un homme fort, qui combatte pour ma cause, avec l'épée et la lance, suivant l'usage des Nazaréens, et cela dans la lice de Yostowe, le troisième jour à compter de celui-ci, le Dieu de nos pères lui donnera peut-être assez de force pour défendre l'innocence, et celle qui n'a personne pour la secourir. Mais si cela ne peut être, que les vierges de notre peuple pleurent sur moi comme sur une personne qui a été rejetée, comme sur la biche qui a été frappée par le chasseur, et comme sur la fleur qui a été coupée par la faux du moissonneur. C'est pourquoi vois ce que tu peux faire et s'il t'est possible de trouver un libérateur. Il y a un guerrier nazaréen qui pourrait à la vérité prendre les armes pour ma défense, Wilfrid, fils de Cedric, que les Gentils appellent Ivanhoe; mais il est possible qu'il ne soit pas encore en état de soutenir le poids de son armure. Néanmoins fais-lui connaître ma position, mon père; car il jouit d'une grande considération auprès des hommes vaillans de son peuple; et comme il a été notre compagnon dans la maison de servitude, il peut indiquer quelqu'un qui vienne combattre en ma faveur. Et dis-lui, dis à lui-même, dis à Wilfrid, fils de Cedric, que, soit que Rébecca vive, soit que Rébecca meure, elle vivra et elle mourra entièrement innocente du crime dont on l'accuse. Et si c'est la volonté de Dieu que tu sois privé de ta fille, ne demeure pas long-temps, maintenant que tu es vieux, dans cette terre de sang et de cruauté, mais retire-toi à Cordoue, où ton frère vit en sûreté, à l'ombre du trône, même du trône de Boabdil le sarrasin; car moins affreuses sont les cruautés des Maures envers la race de Jacob, que les cruautés des Nazaréens d'Angleterre.»

Isaac écouta assez tranquillement la lecture que Ben Samuel fit de cette lettre, et ensuite recommença ses exclamations et ses démonstrations de douleur, à la manière orientale, déchirant ses vêtemens, couvrant sa tête de poussière, et s'écriant: «Ma fille! ma fille! chair de ma chair! os de mes os!»

«Et cependant, dit le rabbin, il faut prendre courage, car cette douleur ne remédie à rien. Il s'agit de ceindre tes reins, et d'aller à la recherche de ce Wilfrid, fils de Cedric. Il est possible qu'il t'aide, soit de ses conseils, soit de ses armes, car ce jeune homme est en faveur auprès de Richard surnommé par les Nazaréens Coeur-de-Lion, et la nouvelle de son retour est constante dans le pays. Il peut se faire qu'il en obtienne des lettres scellées de son sceau, défendant à ces hommes de sang, qui déshonorent le Temple d'où dérive leur nom, de donner suite à l'acte qu'ils se proposent d'accomplir.»

 

«J'irai à sa recherche, dit Isaac, car c'est un brave jeune homme, qui a compassion de l'exilé de Jacob. Mais il ne peut encore se revêtir de son armure, et quel autre chrétien voudra combattre pour l'opprimée de Sion?»

«Mais, mon frère, dit le rabbin, tu parles comme un homme qui ne connaît point les Gentils; avec de l'or tu achèteras leur valeur, comme avec de l'or tu achètes ta propre sûreté. Aie bon courage, et te mets en route pour trouver ce Wilfrid d'Ivanhoe. Et moi aussi je partirai, j'agirai, car ce serait un grand crime que de te laisser abattre par cette calamité. Je vais me rendre à York, où un grand nombre de guerriers et d'hommes forts sont assemblés, et je ne doute pas que je ne trouve parmi eux quelqu'un qui consente à combattre pour ta fille; car l'or est leur dieu, et pour de l'or ils engageraient leur vie aussi facilement qu'ils engagent leurs terres. Tu ratifieras, tu accompliras sans doute, mon frère, toutes les promesses que je pourrai faire en ton nom.»

«Assurément, mon frère, répondit Isaac: et je bénis le ciel qui m'a envoyé un tel consolateur dans ma misère. Il ne faut pas cependant leur accorder tout de suite la totalité de leurs demandes, car tu trouveras que c'est le propre de cette maudite race de demander des marcs, et ensuite de se contenter de recevoir des onces. Au surplus, fais comme tu jugeras convenable, car ceci me met au désespoir, et à quoi me servirait tout mon or, si l'enfant de mon amour venait à périr?»

«Adieu donc, dit le médecin, et puisse-t-il t'arriver tout ce que ton coeur désire!» Ils s'embrassèrent et partirent chacun par une route différente. Le paysan estropié resta quelque temps à regarder après eux.

«Ces chiens de juifs! dit-il, ne pas plus faire attention à un membre libre d'une corporation, que si j'étais un esclave ou un Israélite circoncis comme eux. Ils auraient bien pu, il me semble, me jeter un ou deux mancus. Rien ne m'obligeait à leur apporter leur maudit griffonnage, et à courir le risque d'être ensorcelé, comme plus d'une personne m'en a averti. Je me soucie bien du morceau d'or que la jeune fille m'a donné, si, lorsque j'irai à confesse, à Pâques prochain, je dois être grondé par le prêtre, et si je suis obligé de lui donner le double pour me réconcilier avec lui, et peut-être encore recevoir le nom de Messager Boiteux du juif, par dessus le marché? Je crois réellement que j'ai été ensorcelé par cette fille, pendant que je me tenais près d'elle. Mais ç'a toujours été de même; soit juif, soit Gentil, toutes les fois qu'il y avait une commission à faire, personne ne pouvait rester en place; et, ma foi! moi-même, quand j'y pense, je donnerais outils, boutique, tout, pour lui sauver la vie.»

12Ce vieux mot signifie excuse par impossibilité de comparaître en justice. Il se rapporte ici, observe l'auteur anglais, au privilége qu'avait l'accusée d'envoyer un champion, ne pouvant combattre elle-même à cause de son sexe.A. M.