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Henri IV (2e partie)

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SCÈNE III

Warkworth. – Devant le château
Entrent NORTHUMBERLAND, LADY NORTHUMBERLAND et LADY PERCY

NORTHUMBERLAND. – Je t'en conjure, ma tendre épouse, et toi aussi, ma chère fille, laissez un libre cours à mes pénibles affaires; n'empruntez pas la couleur des circonstances, et ne soyez pas, comme elles, fâcheuses à Percy.

LADY NORTHUMBERLAND. – J'ai cessé toutes représentations: je ne dirai plus rien. Faites ce que vous voudrez. Que votre prudence soit votre guide.

NORTHUMBERLAND. – Hélas! ma chère femme, mon honneur est engagé, et mon départ peut seul le racheter.

LADY PERCY. – Oh! cependant, au nom du ciel, n'allez point à ces guerres. Il a été un temps, mon père, où vous avez violé votre parole, quoiqu'elle vous fût alors bien plus chère qu'aujourd'hui, lorsque votre fils Percy, lorsque mon Henri, le bien-aimé de mon coeur, tourna plusieurs fois ses regards vers le nord, pour y voir son père lui amener une armée, et l'attendit en vain. Qui put vous persuader de rester ici? C'étaient deux honneurs de perdus, le vôtre et celui de votre fils. Quant au vôtre… veuille le ciel l'illuminer de sa gloire! Pour celui de votre fils, il était attaché à sa personne comme le soleil à la voûte grisâtre des cieux; à sa clarté marchait aux beaux faits d'armes toute la chevalerie de l'Angleterre: il était véritablement le miroir devant lequel venait s'étudier toute notre jeune noblesse. C'était n'avoir pas de jambes que de ne pas savoir imiter sa démarche; et cette parole confuse et précipitée, défaut qu'il avait reçu de la nature, était comme l'accent des braves. Ceux dont le son de voix était naturellement calme et modéré échangeaient, pour être en tout semblables à lui, cette perfection contre une mauvaise habitude: ainsi langage, maintien, façon de vivre, choix de plaisirs, méthodes militaires, dispositions de caractère, en tout il était l'objet d'attention, le miroir, le modèle et le livre sur lequel se façonnaient tous les autres. C'est lui, lui, ce prodige, ce miracle parmi les hommes, lui qui n'eut jamais son second, que vous avez laissé, sans le seconder, affronter l'horrible dieu de la guerre avec tous les désavantages, et vous attendre sur ce champ de mort où il ne vit rien qui pût le défendre, que le son du nom de Hotspur. Voilà comment vous l'avez abandonné. Oh! jamais, jamais, ne faites à son ombre l'injure d'être plus délicat et plus jaloux de votre honneur avec les autres que vous ne le fûtes avec lui! Laissez-les seuls. Le maréchal et l'archevêque sont en force. Ah! que mon cher Henri eût eu seulement la moitié de leurs troupes; je serais aujourd'hui suspendue au cou de Hotspur et je parlerais du tombeau de Monmouth!

NORTHUMBERLAND. – Malheur à vous; ma belle-fille; en déplorant toujours d'anciennes fautes, vous m'enlevez tout mon courage! Il faut que je parte et que j'aille dans ces lieux y braver le danger, ou bien le danger viendra me chercher ailleurs, et me trouvera moins préparé.

LADY NORTHUMBERLAND. – Oh! fuyez en Écosse, jusqu'à ce que la noblesse et le peuple armés aient fait un premier essai de leur puissance.

LADY PERCY. – S'ils gagnent du terrain et remportent l'avantage sur le roi, alors joignez-vous avec eux, comme une colonne d'acier qui ajoutera des forces à leur force. Mais, au nom de tout notre amour, laissez-les d'abord s'essayer. – Voilà comment a fait votre fils, comment vous avez souffert qu'il fît, et voilà comment je suis devenue veuve. Et je n'aurai jamais assez de vie pour arroser de mes pleurs ce souvenir 28, afin de le faire croître et s'élever jusqu'aux cieux, en mémoire de mon noble époux.

NORTHUMBERLAND. – Allons, allons, rentrez avec moi. Mon âme est dans l'état de la mer, lorsque, montée jusqu'à sa plus grande hauteur, elle demeure arrêtée et immobile, sans s'épancher ni d'un côté ni de l'autre. Je serais disposé à joindre l'archevêque; mais mille raisons me retiennent. – Je me résoudrai à aller en Écosse, et j'y veux rester jusqu'à ce que les circonstances et les occasions exigent mon secours et ma présence.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

A Londres. – A la taverne de la Tête-de-Sanglier à Eastcheap
DEUX GARÇONS DE CABARET

PREMIER GARÇON. – Que diable as-tu apporté là? des poires de messire-jean? Tu sais bien que sir Jean ne peut pas supporter la vue d'un messire-jean 29.

SECOND GARÇON. – Par la messe, tu as raison. Le prince mit une fois devant lui une assiette de messires-jeans, et lui dit que c'étaient cinq autres sir Jean. Puis, ôtant son chapeau, il dit: je prends congé de ces six chevaliers tout secs, tout ronds, tout vieux, tout ridés. Cela le blessa au coeur; mais il a oublié cela.

PREMIER GARÇON. – A la bonne heure, mets le couvert et sers. Vois aussi si tu ne pourrais pas découvrir où Sneak fait son vacarme; car mistriss Dorothée Tear-Sheet serait bien aise d'entendre de la musique. Dépêche: il fait très-chaud dans la chambre où ils sont à souper, et ils vont passer dans celle-ci tout à l'heure.

SECOND GARÇON. – Sais-tu que le prince va venir avec M. Poins, et qu'ils mettront nos vestes et nos tabliers, et qu'il ne faut pas que M. le chevalier le sache? C'est Bardolph qui est venu nous en prévenir.

PREMIER GARÇON. – Oh! il y aura grand réveillon; cela fera un excellent tour!

SECOND GARÇON. – Je m'en vais voir si je ne pourrai pas trouver Sneak.

(Il sort.)
(Entrent l'hôtesse Quickly et miss Dorothée Tear-Sheet.)

L'HÔTESSE. – Mon cher coeur, vous m'avez l'air à présent d'être dans une excellente température; votre pouls bat aussi extraordinairement qu'on puisse souhaiter: et votre couleur, je vous assure, est aussi rouge qu'une rose. Mais vous avez trop bu de Canarie; et c'est un vin merveilleusement pénétrant, et qui vous parfume le sang avant qu'on ait le temps de dire «qu'est-ce que c'est donc que cela?» Comment vous sentez-vous à présent?

DOROTHÉE. – Beaucoup mieux qu'auparavant; hem!

L'HÔTESSE. – Ah! voilà ce qui s'appelle bien parler! Un bon coeur vaut de l'or. Tenez, voilà sir Jean.

(Entre Falstaff chantant.)

FALSTAFF. -Quand Arthur parut à la cour.-Videz le pot de chambre. (Le garçon sort.) -Et c'était un digne roi… Eh! comment vous va, ma chère Dorothée?

L'HÔTESSE. – Il vient de lui prendre une faiblesse, en vérité.

FALSTAFF. – C'est comme elles sont toutes, il leur en prend à tout moment 30.

DOROTHÉE. – Vilain cancre que vous êtes, c'est là toute la consolation que vous me donnez?

FALSTAFF. – Vous faites les cancres un peu gras, mistriss Doll.

DOROTHÉE. – Je les fais, moi? C'est la gloutonnerie et la maladie qui les font; ce n'est pas moi qui les fais.

FALSTAFF. – Si le cuisinier aide à la gloutonnerie, vous aidez à la maladie, Doll. Nous vous avons pris bien des choses, Doll; nous vous avons pris bien des choses. Convenez-en, moyenne vertu, convenez-en.

DOROTHÉE. – Oui vraiment, nos chaînes, nos bijoux!

FALSTAFF. -Vos rubis, perles et boutons 31. – Pour bien servir, vous le savez, il faut se tenir ferme, aller à la brèche la pique en avant, et se remettre courageusement entre les mains des chirurgiens. Il faut s'aventurer sur les pièces…

DOROTHÉE. – Allez vous faire pendre, anguille boueuse, allez vous faire pendre.

L'HÔTESSE. – Sur mon Dieu, c'est toujours la même histoire; vous ne pouvez pas vous voir une fois sans vous quereller. Vous êtes tous deux, par ma foi, aussi peu compatissants que des rôties desséchées. Vous ne savez pas supporter les confirmités l'un de l'autre; jour de Dieu, il faut bien que l'un des deux supporte, et ce doit être vous (à Dorothée). Vous êtes le vase le plus fragile, comme on dit, le vase vide.

DOROTHÉE. – Et comment un vase vide et fragile pourrait-il supporter ce gros tonneau plein? Il a dans son ventre toute la cargaison d'un marchand de Bordeaux. Vous n'avez jamais vu de vaisseau la cale si bien garnie. Allons, Jack, je veux que nous nous quittions bons amis. Tu vas aller à la guerre, et si je te reverrai jamais ou non, c'est ce dont personne ne se soucie guère, n'est-ce pas?

 

LE GARÇON. – Monsieur, l'enseigne Pistol est là-bas, qui voudrait bien vous parler.

FALSTAFF. – Qu'il aille se faire pendre, ce tapageur-là! Qu'on ne le laisse pas monter ici; c'est le drôle le plus mal embouché qu'il y ait en Angleterre.

L'HÔTESSE. – Si c'est un tapageur, qu'il n'entre pas ici; non, sur ma foi, il faut que je vive avec mes voisins, je ne veux point de tapageurs: je suis en bonne réputation avec ce qu'il y a de mieux. Fermez la porte; on ne reçoit point de tapageurs ici. Je n'ai pas vécu si longtemps, pour avoir du tapage à présent: fermez la porte, je vous en prie.

FALSTAFF. – Écoute donc, hôtesse?

L'HÔTESSE. – Je vous en prie, calmez-vous, sir Jean, je ne souffre pas que les tapageurs mettent les pieds ici.

FALSTAFF. – Écoute donc: c'est mon enseigne.

L'HÔTESSE. – Bah! ta ta! sir Jean, ne m'en parlez pas: votre enseigne de tapageur ne mettra pas le pied chez moi. J'étais l'autre jour chez M. Tisick le député, et il m'a dit comme ça: – pas plus tard que mercredi dernier, -Voisine Quickly, – dit-il; M. Dumb, notre prédicateur, était là. -Voisine Quickly, dit-il, recevez les gens civils; car, dit-il, vous avez une mauvaise réputation; et il disait cela, je sais bien pourquoi; car, dit-il, vous êtes une honnête femme, et qu'on estime; c'est pourquoi, prenez garde aux hôtes que vous recevez chez vous: n'y souffrez point, dit-il, de ces drôles qu'on appelle tapageurs. Il n'en vient point ici. Vous seriez tout émerveillé d'entendre ce que disait monsieur Tisick. Non, absolument, je ne veux point de tapageurs.

FALSTAFF. – Ce n'en est pas un, hôtesse. Il est beau joueur, lui. Vous le taperiez à votre aise comme un tout petit lévrier; il ne se prendrait pas de querelle avec une poule de Barbarie, s'il lui voyait seulement hérisser ses plumes en signe de colère. – Garçon, appelez-le.

L'HÔTESSE. – Un joueur, dites-vous? Je ne fermerai jamais ma porte à un honnête homme ni à un joueur, mais je n'aime pas le tapage. Sur ma foi, je suis toute sens dessus dessous, quand on dit: faisons tapage. Tâtez un peu seulement, messieurs, comme je tremble, voyez-vous. Ah! je vous en réponds.

DOROTHÉE. – Oui, en vérité, hôtesse.

L'HÔTESSE. – Si je tremble? Oh! oui, en bonne vérité, je tremble comme une feuille de tremble. Tenez, je ne peux pas souffrir les tapageurs.

(Entrent Pistol, Bardolph et le page.)

PISTOL. – Dieu vous garde, sir Jean!

FALSTAFF. – Soyez le bienvenu, enseigne Pistol. Tenez, Pistolet 32, je vous charge d'un verre de vin d'Espagne; faites feu sur mon hôtesse.

PISTOL. – De bon coeur, sir Jean, elle peut compter sur deux balles.

FALSTAFF. – Elle est à l'épreuve du pistolet, mon cher, vous ne sauriez lui faire mal.

L'HÔTESSE. – Non pas, on ne me fera pas boire ainsi par épreuve ni à coups de pistolet. On ne me ferait pas boire quand cela ne me convient pas, pour le service d'homme au monde, entendez-vous?

PISTOL. – Eh bien, à vous donc, mistriss Dorothée, c'est vous que j'attaque.

DOROTHÉE. – M'attaquer, moi! je te méprise, vilain galeux. Qu'est-ce que c'est donc qu'une misérable canaille comme ça, un drôle, un filou, un va-nu-pieds? Veux-tu me laisser tranquille, coquin moisi? veux-tu me laisser tranquille? c'est pour ton maître que je suis faite.

PISTOL. – Ce n'est pas d'aujourd'hui que je vous connais, mistriss Dorothée.

DOROTHÉE. – Veux-tu me laisser tranquille! coquin de voleur, vilain bouchon, veux-tu me laisser tranquille! Par ce verre de vin, je te flanque mon couteau dans ton groin crotté, si tu fais l'insolent avec moi. Laisse-moi tranquille, gredin de petit Pierre, mauvais bretailleur éreinté. Et depuis quand, je vous en prie, cela s'appelle-t-il monsieur? Comment! deux aiguillettes sur l'épaule? Voyez donc ça.

PISTOL. – Pour cette affaire-là votre collerette ne mourra que de ma main.

FALSTAFF. – Allons finissons, Pistol. Je ne trouverais pas bon que vous vinssiez à vous oublier ici. Débarrassez-nous de votre personne, Pistolet.

L'HÔTESSE. – Non, mon bon capitaine Pistol; pas ici, mon cher capitaine.

DOROTHÉE. – Toi capitaine! abominable damné de filou; n'as-tu pas honte de t'entendre appeler capitaine? Si les capitaines étaient de mon avis, vous seriez bâtonné pour avoir pris ce nom-là avant de l'avoir gagné. Vous capitaine! Un gredin! Et pourquoi? pour avoir déchiré dans un mauvais lieu la collerette de quelque pauvre coquine. Lui capitaine! puisse-t-il être pendu, le coquin! Mangeur de pruneaux cuits et de vieux gâteaux secs! Capitaine! Ces vilains-là parviendront à rendre le nom de capitaine aussi odieux que le mot occuper 33, qui était une très-bonne expression avant qu'ils la déshonorassent; c'est à quoi les capitaines feront bien de prendre garde.

BARDOLPH. – Je t'en prie, va-t'en, mon cher enseigne.

FALSTAFF. – Écoute un peu, mistriss Doll.

PISTOL. – Non pas, je te dis la chose comme elle est, caporal Bardolph. Je suis capable de la mettre en loques; il faut que je sois vengé.

LE PAGE. – Je t'en prie, va-t'en.

PISTOL. – Je la verrai plutôt damnée dans l'étang maudit de Pluton, au fin fond de l'enfer, avec l'Érèbe et tous les plus vilains tourments. Prenez la ligne et le hameçon; je dis, à bas, à bas, chiens! à bas, drôles! N'avons-nous pas Hirène ici? 34

L'HÔTESSE. – Mon bon capitaine… Tranquillisez-vous, il est bien tard; je vous en supplie, apaisez votre colère.

PISTOL. – Soyons de bonne humeur, je le veux bien; mais des chevaux de transport, de mauvaises rosses d'ânes gorgés de nourriture, qui ne peuvent faire plus de trente milles par jour, iront-ils se comparer aux César, aux Cannibal, aux Grecs Troyens? Non, qu'ils soient plutôt damnés avec le roi Cerbère, et puisque les cieux mugissent, nous ne nous troublerons pas pour des bagatelles.

L'HÔTESSE. – En vérité, capitaine, ce sont là des paroles bien dures.

BARDOLPH. – Va-t'en, bon enseigne, tout cela finirait par de la brouille.

PISTOL. – Que les hommes meurent comme des chiens, que les écus se donnent comme des épingles! N'avons-nous pas Hirène ici?

L'HÔTESSE. – Sur ma parole, capitaine, il n'y a ici personne comme cela. Par mon salut, est-ce que vous croyez que je la cacherais? Pour l'amour de Dieu, point de bruit.

PISTOL. – Eh bien, mange donc et engraisse-toi, ma belle Callipolis: allons, verse-moi du vin d'Espagne. Si fortuna me tormenta, sperato me contenta. Est-ce qu'une bordée nous fait peur? Non, non: que l'ennemi fasse feu… Un peu de vin d'Espagne; et toi, mon cher coeur (A son épée qu'il pose à terre), mets-toi là. Eh bien donc, est-ce là tout, n'aurons-nous pas le et cætera?

FALSTAFF. – Pistol, je voudrais être tranquille ici.

PISTOL. – Mon cher chevalier, je vous baise le poing; nous avons vu les sept étoiles.

DOROTHÉE. – Jette-le à bas des escaliers. Je ne veux pas supporter le galimatias de ce drôle-là.

PISTOL. – Me jeter à bas des escaliers, comme si nous ne connaissions pas les haquenées de Galloway 35!

FALSTAFF. – Bardolph! lance-le-moi au bas des escaliers comme un petit palet: s'il ne fait ici rien autre chose que de dire des riens, il y comptera pour rien.

BARDOLPH. – Allons, descendez l'escalier tout à l'heure.

PISTOL. – Comment! faudra-t-il donc en venir aux incisions? Allons-nous tirer du sang? (Il saisit son épée.) Eh bien, cela étant, que la mort me berce, qu'elle m'endorme, qu'elle abrége mes tristes jours; allons, que les trois soeurs défilent ici de cruelles, d'effroyables, de larges blessures. Allons, Atropos, viens, je te dis.

L'HÔTESSE. – Oh! mon Dieu; voilà de belles affaires!

FALSTAFF, à son page. – Donne-moi ma rapière, garçon.

DOROTHÉE, à Falstaff. – Oh! je t'en prie, Jack, je t'en prie, ne va pas dégainer.

FALSTAFF. – Descends-moi les escaliers.

L'HÔTESSE. – Voilà un beau vacarme! Ah! je renoncerai à tenir maison plutôt que de consentir à me voir exposée à toutes ces palpitations et ces frayeurs. Oh! il va y avoir du carnage, j'en suis sûre. Hélas! mon Dieu, remettez vos épées dans le fourreau, remettez vos épées dans le fourreau.

(Sortent Pistol et Bardolph.)

DOROTHÉE. – Je t'en prie, Jack, calme-toi, le drôle est parti. Ah! que vous êtes un courageux mâtin de petit vilain!

L'HÔTESSE. – N'êtes-vous pas blessé à l'aine? Il me semble que je l'ai vu vous pousser un mauvais coup dans le ventre.

(Rentre Bardolph.)

FALSTAFF. – L'avez-vous mis à la porte?

BARDOLPH. – Oui, monsieur, le misérable était ivre; vous l'avez blessé à l'épaule, monsieur.

FALSTAFF. – Le drôle! venir m'insulter!

DOROTHÉE. – Ah! cher petit coquin! hélas! pauvre singe, comme te voilà tout en sueur! Attends, laisse-moi t'essuyer le visage. – Viens donc, mauvaise canaille. – Ah! pendard, par ma foi, je t'aime. Tu es aussi courageux qu'Hector de Troie, tu vaux cinq Agamemnon, et dix fois mieux que les neuf preux. – Ah! vilain!

FALSTAFF. – Un gredin de maraud! Je ferai sauter ce drôle-là dans la couverture.

DOROTHÉE. – Fais-le, si tu l'oses, pour l'amour de moi; si tu le fais, je te le revaudrai dans une paire de draps 36.

(Les musiciens arrivent.)

LE PAGE. – Monsieur, la musique est arrivée.

FALSTAFF. – Eh bien, qu'ils jouent! Jouez, messieurs. Assieds-toi sur mon genou, Doll. Un gredin de fanfaron! Le pendard m'a échappé comme du vif-argent.

DOROTHÉE. – Oui, par ma foi, et tu le suivais comme une église. Dis donc, mâtin, dis donc, mon joli petit cochon de la Saint-Barthélemy 37, quand est-ce que tu cesseras de te battre le jour et de t'escrimer la nuit, et que tu commenceras à raccommoder ton vieux corps pour l'autre monde?

 
(Entrent derrière eux le prince Henri et Poins, déguisés en garçons de cave.)

FALSTAFF, sans faire attention à eux, à sa Dorothée. – Tais-toi, mon coeur, ne parle pas comme une tête de mort 38; ne me fais pas souvenir de ma fin.

DOROTHÉE. – Dis-moi un peu, mon petit ami, quel homme est le prince?

FALSTAFF. – C'est un assez bon garçon, taillé en lame de couteau: il aurait fait un fort bon panetier, il aurait coupé le pain à merveille.

DOROTHÉE. – On dit que Poins, par exemple, ne manque pas d'esprit.

FALSTAFF. – Lui, de l'esprit? Le diable l'emporte, le magot! Son esprit est aussi épais que de la moutarde de Tewksbury: il n'y a pas plus de sens chez lui que dans une tête de maillet.

DOROTHÉE. – Comment se fait-il donc que le prince l'aime tant?

FALSTAFF. – Parce que leurs jambes sont de la même dimension, qu'il joue fort bien au petit palet, qu'il mange de l'anguille de mer assaisonnée de fenouil 39, qu'il avale des bouts de chandelle en guide de brûlots 40, qu'il court à cheval sur un bâton avec les petits garçons, qu'il saute à pieds joints par-dessus des tabourets, qu'il jure de bonne grâce, qu'il porte des bottes bien collées, précisément à la forme de la jambe, et qu'il ne cause point de querelles entre les gens en rapportant les histoires secrètes; enfin, pour une foule d'autres qualités futiles de cette sorte, qui dénotent un pauvre génie et un corps adroit; et voilà ce qui fait que le prince l'admet auprès de lui; car le prince est tout à fait de la même espèce; il ne faudrait pas ajouter à leur poids celui d'un cheveu pour faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

HENRI. – Ce moyen de roue-là ne mériterait-il pas bien qu'on lui coupât les oreilles?

POINS. – Battons-le sous les yeux de sa maîtresse.

HENRI. – Regarde si ce vieux décrépit ne se fait pas gratter la tête comme un perroquet.

POINS. – N'est-il pas singulier que le désir survive ainsi tant d'années à la faculté de pécher?

FALSTAFF. – Embrasse-moi, Doll.

HENRI. – Saturne et Vénus en conjonction cette année! Que dit l'almanach là-dessus?

POINS. – Et voyez un peu son valet, ce Trigon enflammé, lécher les vieilles tablettes de son maître, son livre de notes, sa conseillère.

FALSTAFF. – C'est pour me flatter que tu me caresses ainsi.

DOROTHÉE. – Non, sur ma foi, c'est de bien bon coeur.

FALSTAFF. – Ah! je suis vieux, je suis vieux.

DOROTHÉE. – Je t'aime mille fois mieux que je n'aime aucun de tous ces galeux de jeunes gens que tu vois là.

FALSTAFF. – Quelle étoffe veux-tu avoir pour te faire une mante? Je dois recevoir de l'argent jeudi; tu auras un joli bonnet demain. Allons, une chanson joyeuse: il se fait tard, nous irons nous mettre au lit. – Tu m'oublieras, quand je serai parti!

DOROTHÉE. – Sur mon honneur, tu vas me faire pleurer, si tu parles comme cela. Eh bien, essaye seulement, pour voir si je me parerai une fois avant ton retour. – Mais allons, écoute la fin de la chanson.

FALSTAFF. – Un peu de vin d'Espagne, François.

HENRI ET POINS, se présentant à lui. – Tout à l'heure, tout à l'heure, monsieur.

FALSTAFF, reconnaissant le prince. – Ah! quelque bâtard du roi! Et n'est-ce pas là Poins, son frère?

HENRI. – Oh! globe de péchés, où l'on ne pourrait apercevoir un continent 41, quelle vie mènes-tu là?

FALSTAFF. – Meilleure que la tienne; je suis un gentilhomme, et toi, un tireur de vin.

HENRI. – Ce que je suis venu tirer, mon cher monsieur, ce sont vos oreilles.

L'HÔTESSE. – Oh! que Dieu conserve ta Grâce! Par ma foi, sois le bienvenu à Londres. Que le seigneur bénisse ton aimable figure! Oh! Jésus! vous voilà donc revenu du pays de Galles?

FALSTAFF. – Te voilà donc, mâtin; tu es folle, engeance de roi (portant la main sur Dorothée), je te le jure par sa peau flexible et son sang corrompu, tu es le bienvenu!

DOROTHÉE. – Qu'est-ce que c'est que ça, gros butor que vous êtes? Je vous méprise.

POINS, au prince. – Milord, si vous ne prenez pas la chose dans le premier feu, il vous fera perdre l'envie de vous venger, et tournera le tout en plaisanterie.

HENRI. – Comment! infâme mine à suif, avec quel mépris n'avez-vous pas parlé de moi tout à l'heure en présence de cette sage, honnête et vertueuse dame?

L'HÔTESSE. – Dieu bénisse votre excellent coeur! Elle est bien tout cela, sur mon honneur.

FALSTAFF. – Est-ce que tu m'as entendu?

HENRI. – Oui; et vous m'avez reconnu aussi, comme le jour où vous vous sauvâtes auprès de Gadshill. Vous saviez certainement que j'étais derrière vous, et vous avez dit tout cela exprès pour mettre ma patience à l'épreuve.

FALSTAFF. – Oh! non, non, non, tu te trompes; je ne croyais pas que tu fusses à portée de m'entendre.

HENRI. – Je veux vous forcer à avouer l'insulte que vous m'avez faite de dessein prémédité; et alors je saurai bien comment vous arranger.

FALSTAFF. – Il n'y avait pas d'insulte, Hal; sur mon honneur, il n'y avait pas d'insulte.

HENRI. – Comment! en me dépréciant, en m'appelant panetier, taille-pain, et je ne sais encore comment.

FALSTAFF. – Point d'insulte, Hal.

POINS. – Quoi! ce ne sont pas là des insultes?

FALSTAFF. – Pas du tout, point d'insulte, du tout, Ned, honnête Ned. Je l'ai déprécié devant les méchants, afin que les méchants ne se prissent point d'amour pour lui: en quoi faisant, j'ai joué le rôle d'un véritable ami, d'un fidèle sujet, et ton père doit me remercier pour cela. Il n'y a point là d'insulte, Hal; pas du tout, Ned, pas du tout: non, mes enfants, pas du tout.

HENRI. – Vois donc, si de peur et de pure lâcheté tu n'insultes pas à présent cette vertueuse dame, pour te tirer d'affaire avec nous? Est-elle du nombre des méchants? Ton hôtesse que voilà, en est-elle? Ce pauvre petit page en est-il un? Ou bien cet honnête Bardolph, dont le nez brûle de zèle, est-il un méchant?

POINS. – Réponds donc, vieil arbre mort, réponds donc!

FALSTAFF. – Le diable a déjà marqué Bardolph à tout jamais, et son visage est la cuisine particulière de Lucifer, où il ne fait autre chose que de lui rôtir de la vermine: quant à ce petit page, il a un bon ange à ses côtés; mais le diable est plus fort que lui.

HENRI. – Pour les femmes…

FALSTAFF. – Il y en a une qui est déjà en enfer; elle brûle, la pauvre diablesse. Quant à l'autre, je lui dois de l'argent; si pour cela elle doit être damnée ou non, c'est ce que je ne sais pas.

L'HÔTESSE. – Oh! pour cela non, je vous assure.

FALSTAFF. – A te dire le vrai, je ne le crois pas non plus; je crois que tu es quitte pour cet article. Mais, pardieu! il y a une autre affaire contre toi; de souffrir qu'on mange de la viande chez toi, en contravention à la loi! C'est pourquoi je pense que tu hurleras.

L'HÔTESSE. – Tous ceux qui tiennent auberge en font autant: qu'est-ce qu'un gigot de mouton ou deux durant tout un carême?

HENRI. – Et vous, ma belle dame?

DOROTHÉE. – Que dit Votre Grâce?

FALSTAFF. – Ce que dit Sa Grâce, elle le dit tout à fait à contre-coeur.

L'HÔTESSE. – Qui frappe si fort à la porte? Voyez qui est à la porte, François.

(Entre Peto.)

HENRI. – Eh bien, Peto, quelle nouvelle?

PETO. – Le roi votre père est à Westminster; vingt courriers bien las et bien épuisés arrivent du nord; et chemin faisant j'ai rencontré et passé une douzaine de capitaines, nu-tête et suant à grosses gouttes, qui frappaient à tous les cabarets, et demandaient si l'on n'avait pas vu sir Jean Falstaff.

HENRI. – Sur mon Dieu, Poins, je me sens bien coupable de profaner ainsi à des sottises un temps si précieux, tandis que la tempête de la révolte, comme le vent du sud accompagné de noires vapeurs, commence à fondre en orage sur nos têtes nues et désarmées. Donnez-moi mon épée et mon manteau. Bonsoir, Falstaff.

(Sortent Henri, Poins, Peto et Bardolph.)

FALSTAFF. – Voilà que m'arrivait le plus friand morceau de la soirée, et il faut partir sans y mettre la dent! Encore frapper à la porte! Qu'est-ce que c'est? qu'y a-t-il donc encore?

(Entre Bardolph.)

BARDOLPH. – Il faut que vous vous rendiez à la cour tout de suite; il y a là-bas une douzaine de capitaines qui vous attendent à la porte.

FALSTAFF, au page. – Payez les musiciens, petit drôle; adieu, hôtesse; adieu, Dorothée: vous voyez, mes enfants, comme les gens de mérite sont recherchés. L'homme inutile peut dormir, tandis que l'homme de courage est appelé partout. Adieu, mes enfants: si l'on ne me fait pas partir en poste sur-le-champ, je vous reverrai avant de m'en aller.

DOROTHÉE. – Je ne saurais parler. Si mon coeur n'est pas prêt à crever!.. Enfin, mon cher Jack, aie bien soin de toi.

FALSTAFF. – Adieu, adieu.

L'HÔTESSE. – Allons, porte-toi bien: il y aura vingt-neuf ans à la saison des pois verts que je te connais, mais pour un homme plus honnête et plus sincère… Enfin, porte-toi bien.

BARDOLPH, appelant dans l'intérieur. – Mistriss Tear-Sheet!

L'HÔTESSE. – Qu'est-ce qu'il y a?

BARDOLPH. – Dites à mistriss Tear-Sheet de venir parler à mon maître.

L'HÔTESSE. – Oh! cours vite, Dorothée; cours, cours, ma bonne Dorothée.

(Elles sortent.)
FIN DU DEUXIÈME ACTE
28To rain upon remembrance. Remembrance, souvenir, est le nom qu'on donne au romarin, gage de fidélité soit aux vivants, soit à la mémoire des morts. (V. Romeo et Juliette.)
29Apple-John, espèce de pomme.
30Sick of a calm (malade d'un calme), dit l'hôtesse pour sick of a qualm (malade d'avoir eu trop chaud); et Falstaff répond: So is all her sect; an they be once in a calm they are sick (voilà comme elles sont toutes: dès qu'on les laisse en repos elles sont malades).
31Your brooches, pearls and owches.
32Pistol signifie pistolet, et les plaisanteries de Falstaff portent sur cette acception du mot. On peut supposer que Falstaff emploie ici le diminutif.
33Occupy, occupier, occupant, étaient devenus, à ce qu'il paraît, par l'usage qu'on en avait fait, des expressions obscènes.
34Have we not hiren here? Il est absolument impossible de donner aucune explication satisfaisante sur les allusions et les citations dont se compose le langage de Pistol. Tirées pour la plupart de pièces de théâtre aujourd'hui inconnues, et pour la plupart encore défigurées par ce burlesque personnage, elles pouvaient avoir pour le public du temps de Shakspeare un mérite entièrement perdu aujourd'hui, et ne laissent plus saisir que l'intention du rôle. Il paraît bien, au reste qu'hiren était, en style d'argot, une des dénominations des filles publiques (huren en allemand). Il serait possible aussi qu'en raison de la consonnance de ce mot avec iron (fer), les tapageurs du temps eussent donné ce même nom à leur épée.
35Galloway nags, chevaux de louage.
36I'll canvas thee between a pair of sheets.
37La foire de la Saint-Barthélemy était une foire célèbre en Angleterre.
38Du temps de Shakspeare, la grande élégance pour les femmes de l'espèce de Dorothée était de porter au doigt du milieu une bague représentant une tête de mort.
39Eats conger and fennel. L'anguille de mer, assaisonnée de fenouil, passait pour donner des forces.
40Drinks off candles ends for fluss dragons. C'était un acte de galanterie que d'avaler pour l'amour de sa maîtresse des choses repoussantes et même dangereuses; le fluss dragon était une amande qu'on faisait brûler dans un bol d'eau-de-vie. Le courage consistait à l'avaler tout enflammée, et l'adresse à exécuter cette opération sans se faire mal.
41Globe of sinful continents. Le jeu de mots ne pouvait se traduire littéralement; il a fallu tâcher d'en conserver quelque chose, non pour le mérite, mais pour l'exactitude.