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Henri VI. 2

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SCÈNE III

Une autre partie de la plaine de Blackheath
Alarmes. Les deux partis entrent et combattent: les DEUX STAFFORD sont tués

CADE. – Où est Dick, le boucher d'Ashford?

DICK. – Me voilà, monsieur.

CADE. – Ils tombaient devant toi comme des boeufs et des brebis, et tu y allais comme si tu avais été dans ta boucherie. Voici donc ta récompense: le carême sera deux fois aussi long qu'il l'est à présent; et d'ici à cent ans moins un, tu auras tout ce temps-là le privilége exclusif de tuer.

DICK. – Je n'en demande pas davantage.

CADE. – Et pour dire vrai, tu ne mérites pas moins, je veux porter ce monument de ma victoire 20, et les corps seront traînés aux jarrets de mon cheval jusqu'à ce que j'arrive à Londres, où nous ferons porter devant nous l'épée du maire.

UN CHEF DU PEUPLE. – Si nous voulons prospérer et faire le bien, forçons les portes des prisons, et délivrons les prisonniers.

CADE. – Ah! n'aie pas peur, tu peux y compter. Allons, marchons sur Londres.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

Londres. – Un appartement dans le palais
Entre LE ROI HENRI lisant une requête. Il est suivi du duc de BUCKINGHAM et du lord SAY. Vient à quelque distance LA REINE MARGUERITE, pleurant sur la tête de Suffolk

MARGUERITE. – J'ai souvent ouï dire que la douleur amollit l'âme, et la remplit de crainte, d'abattement. Pense donc à la vengeance et cesse de pleurer. – Mais qui peut cesser de pleurer en voyant cet objet? Sa tête peut bien reposer ici sur mon sein palpitant; mais où est le corps que je serrerais dans mes bras?

BUCKINGHAM. – Quelle réponse fait Votre Majesté à la requête des rebelles?

LE ROI. – Je vais députer quelque saint évêque pour tâcher de les ramener; car à Dieu ne plaise que tant de pauvres simples créatures périssent par l'épée! Et plutôt que de souffrir qu'elles soient exterminées par une guerre sanglante, je veux avoir moi-même une entrevue avec leur général Cade. Mais attendez, je veux lire encore une fois leur requête.

MARGUERITE. – Scélérats barbares! Ce visage enchanteur qui, comme une planète, dominait ma destinée, n'a-t-il donc pu vous obliger à la pitié, vous qui n'étiez pas dignes de le regarder?

LE ROI. – Lord Say, Jack Cade a juré d'avoir ta tête.

SAY. – Oui, mais j'espère que Votre Majesté aura la sienne.

LE ROI. – Eh quoi, madame, toujours vous lamentant, toujours pleurant la mort de Suffolk! Ah! je crains, ma bien-aimée, que, si j'étais mort à sa place, vous ne m'eussiez pas tant pleuré.

MARGUERITE. – Non, mon bien-aimé, je ne pleurerais pas, mais je mourrais pour toi.

(Entre un messager.)

LE ROI. – Quoi? Quelles nouvelles apportes-tu? Pourquoi arrives-tu en si grande hâte?

LE MESSAGER. – Les rebelles sont dans Southwark. Fuyez, seigneur; Cade se proclame lord Mortimer, descendant de la maison du duc de Clarence. Il traite hautement Votre Majesté d'usurpateur, et il jure de se couronner lui-même dans Westminster. Il a pour armée une multitude déguenillée de paysans, d'ouvriers, gens grossiers et sans pitié. La mort de sir Humphroy Stafford et de son frère leur a donné coeur et courage pour marcher en avant. Tout homme sachant lire et écrire, homme de loi, courtisan, gentilhomme, est, selon eux, une vilaine chenille, et qu'il faut mettre à mort.

LE ROI. – O les malheureux! Ils ne savent ce qu'ils font.

BUCKINGHAM. – Mon gracieux seigneur, retirez-vous à Kenel-Worth, jusqu'à ce qu'on ait levé des troupes pour faire main-basse sur eux.

MARGUERITE. – Oh! si le duc de Suffolk vivait encore, les rebelles de Kent seraient bientôt soumis.

LE ROI. – Lord Say, ces traîtres te haïssent: viens donc avec nous à Kenel-Worth.

SAY. – Cela pourrait exposer la personne de Votre Grâce. Ma vue leur serait odieuse: je demeurerai donc dans la ville, et je m'y tiendrai aussi caché que je le pourrai.

(Entre un autre messager.)

LE MESSAGER. – Jack Cade s'est rendu maître du pont de Londres. Les bourgeois fuient et abandonnent leurs maisons. La mauvaise populace, toujours avide de pillage, court se joindre au traître, et tous jurent de concert de dévaster la ville et votre palais.

BUCKINGHAM. – Ne perdez pas un moment, seigneur, montez à cheval.

LE ROI. – Venez, Marguerite; Dieu, notre espérance, viendra à notre secours.

MARGUERITE. – Mon espérance est morte avec Suffolk.

LE ROI, à Say. – Adieu, milord, ne vous fiez pas aux rebelles de Kent.

BUCKINGHAM. – Ne vous fiez à personne, de peur d'être trahi.

SAY. – Ma confiance est dans mon innocence: aussi suis-je fier et résolu.

(Ils sortent.)

SCÈNE V

Toujours à Londres. – La Tour
Le lord SCALES et d'autres paraissent sur les murs. Au pied arrivent quelques CITOYENS

SCALES. – Quelles nouvelles? Jack Cade est-il tué?

PREMIER CITOYEN. – Non, milord, et il n'y a point d'apparence que cela lui arrive. Ils se sont emparés du pont, et ils tuent tout ce qui leur résiste. Le lord maire vous demande quelque renfort des troupes de la Tour, pour défendre la ville contre les rebelles.

SCALES. – Tout ce que je pourrai en détacher sans inconvénient sera à vos ordres. Mais je suis moi-même ici dans les alarmes. Les rebelles ont déjà tenté d'emporter la Tour. Mais gagnez la plaine de Smithfield, formez un corps de troupes, et je vais y envoyer Matthieu Gough. Allez, combattez pour votre roi, pour votre pays et pour votre vie. Adieu, il faut que je m'en retourne.

(Ils sortent.)

SCÈNE VI

Londres. – Cannon street
Entrent JACK CADE et sa troupe; il frappe de son bâton de commandement la pierre de Londres

CADE. – A présent, Mortimer est seigneur de Londres; et, ici placé sur la pierre de Londres, j'entends et j'ordonne, qu'aux frais de la ville, la fontaine ne verse que du vin de Bordeaux pendant la première année de mon règne. Dorénavant il y aura crime de trahison pour quiconque m'appellera autrement que Mortimer.

(Entre un soldat.)

LE SOLDAT, courant. – Jack Cade! Jack Cade!

CADE. – Tuez-le sur la place.

(Ils le tuent.)

SMITH. – Pour peu que cet homme ait raison, il ne lui arrivera jamais de vous appeler Jack Cade. Je crois qu'il est content de la leçon.

DICK. – Milord, il se rassemble une armée à Smithfield.

CADE. – Marchons donc; allons les combattre. Mais auparavant allez mettre le feu au pont de Londres; et, si vous pouvez, brûlez la Tour aussi. – Allons, marchons.

(Ils sortent.)

SCÈNE VII

Smithfield
Une alarme. Entrent d'un côté CADE et sa troupe; de l'autre, les citoyens et les troupes du roi, commandés par MATTHIEU GOUGH. Ils combattent, les citoyens sont mis en déroute, Mathieu Gough est tué

CADE. – Voilà ce que c'est, mes amis. – Allez quelques-uns de vous abattre leur palais de Savoie, d'autres les colléges de droit: abattez tout.

DICK. – J'ai une requête à présenter à Votre Seigneurie.

CADE. – Fût-ce le titre de lord, tu es sûr de l'obtenir pour ce mot.

DICK. – La grâce que je vous demande, c'est que toutes les lois de l'Angleterre émanent de votre bouche.

JEAN, à part. – Par la messe! ce seront de sanglantes lois; car il a reçu dans la mâchoire un coup de lance, et la plaie n'est pas encore guérie.

SMITH, à part. – Et de plus, Jean, ce seront des lois qui ne sentiront pas bon; car son haleine sent furieusement le fromage grillé.

CADE. – J'y ai pensé, cela sera ainsi. Allez, brûlez tous les registres du royaume; ma bouche sera le parlement d'Angleterre.

JEAN. – Cela a tout l'air de vouloir nous donner des statuts qui mordront ferme, à moins qu'on ne lui arrache les dents.

CADE. – Et désormais tout sera en commun.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER. – Milord, une capture! une capture! le lord Say! qui vendait les villes en France, et qui nous a fait payer vingt-un quinzièmes et un schelling par livre dans le dernier subside.

(Entre George Bevis avec le lord Say.)

CADE. – Eh bien, pour cela il sera décapité dix fois. Te voilà donc, lord Say 21, lord de serge, lord de bougran. Te voilà dans le domaine de notre juridiction souveraine! Qu'as-tu à répondre à ma majesté, pour te disculper d'avoir livré la Normandie à monsieur Basimecu 22, le dauphin de France? Qu'il te soit donc déclaré par-devant cette assemblée, et par-devant lord Mortimer, que je suis le balai destiné à nettoyer la cour d'immondices telles que toi. Tu as traîtreusement corrompu la jeunesse du royaume, en érigeant une école de grammaire; et tandis que, jusqu'à présent, nos ancêtres n'avaient eu d'autres livres que la mesure et la taille, c'est toi qui es cause qu'on s'est servi de l'imprimerie. Contre les intérêts du roi, de sa couronne et de sa dignité, tu as bâti un moulin à papier. Il te sera prouvé en fait que tu as autour de toi des hommes qui parlent habituellement de noms, de verbes, et autres mots abominables, que ne peut supporter une oreille chrétienne. Tu as établi des juges de paix, pour citer devant eux les pauvres gens, pour des choses sur lesquelles ils ne sont pas en état de répondre: de plus, tu les as fait mettre en prison, et parce qu'ils ne savaient pas lire, tu les as fait pendre; tandis que seulement, pour cela, ils auraient mérité de vivre. Tu montes un cheval couvert d'une housse; cela est-il vrai ou non?

 

SAY. – Qu'importe?

CADE. – Ce qu'il importe? Tu ne dois pas souffrir que ton cheval porte un manteau, tandis que de plus honnêtes gens que toi vont en chausses et en pourpoint.

DICK. – Et souvent travaillent en chemise, comme moi, par exemple, qui suis boucher!

SAY. – Peuple de Kent…

DICK. – Que voulez-vous dire de Kent?

SAY. – Rien de plus que ceci: Bona gens, mala gens.

CADE. – Emmenez-le, emmenez-le, il parle latin.

SAY. – Écoutez seulement ce que j'ai à dire, puis, prenez-le comme vous voudrez. – Kent, dans les Commentaires écrits par César, est nommé le canton le plus policé de notre île. Le pays est agréable, parce qu'il est rempli de richesses; le peuple libéral, vaillant, actif, opulent; ce qui me fait espérer que vous n'êtes pas dénués de pitié. – Je n'ai point vendu le Maine, je n'ai point perdu la Normandie; mais pour les recouvrer, je perdrais volontiers la vie. J'ai toujours rendu la justice avec indulgence; les prières et les larmes ont touché mon coeur, et jamais les présents. Quand ai-je exigé une seule imposition de vous, si ce n'est pour l'utilité du Kent, du roi, du royaume et de vous? j'ai répandu de grandes largesses sur les savants clercs, parce que c'était à mes livres que j'avais dû mon avancement auprès du roi. Et voyant que l'ignorance est la malédiction de Dieu, et la science l'aile avec laquelle nous nous élevons au ciel, à moins que vous ne soyez possédés de l'esprit du démon, vous vous garderez certainement de me tuer. Cette langue a négocié avec les rois étrangers, pour votre avantage.

CADE. – Bah! Quand as-tu frappé un seul coup sur le champ de bataille?

SAY. – Les hommes en place ont le bras long. J'ai frappé souvent ceux que je ne vis jamais, et je les ai frappés à mort.

GEORGE. – Oh! l'infâme lâche! venir comme cela par derrière le monde!

SAY. – Ces joues sont pâlies par mes veilles pour votre bien.

CADE. – Frappez-le au visage, et cela lui fera revenir les couleurs.

SAY. – Les longues séances que j'ai données pour juger les causes des pauvres m'ont accablé d'infirmités et de maladies.

CADE. – On vous fournira, pour les guérir, une chandelle de chanvre et l'assistance d'une hache.

DICK. – Comment! est-ce que tu trembles?

SAY. – C'est la paralysie, et non la peur, qui me fait trembler.

CADE. – Voyez, il remue la tête, comme s'il nous disait: Je vous le revaudrai. Je veux voir si elle sera plus ferme sur un pieu. Emmenez-le, et coupez-lui la tête.

SAY. – Dites-moi donc quel grand crime j'ai commis. Ai-je affecté l'opulence ou la grandeur? Répondez. Mes coffres sont-ils remplis d'un or extorqué? Mes vêtements sont-ils somptueux à voir? A qui de vous ai-je fait tort pour que vous vouliez me faire mourir? Ces mains sont pures du sang innocent: ce sein est exempt de toutes pensées de crimes et de perfidie. Oh! laissez-moi vivre.

CADE. – Je sens que ses paroles me touchent le coeur, mais j'y mettrai ordre; il mourra, ne fût-ce que pour avoir si bien plaidé pour sa vie. Emmenez-le. Il a un démon familier sous sa langue; il ne parle pas au nom de Dieu. Emmenez-le, vous dis-je, et abattez-lui la tête sur l'heure. Ensuite allez enfoncer les portes de la maison de son gendre, sir James Cromer; tranchez-lui la tête aussi, et rapportez-les ici toutes deux, fichées sur des pieux.

LE PEUPLE. – Cela va être fait.

SAY. – O compatriotes! si, quand vous faites vos prières, Dieu était aussi endurci que vous l'êtes, comment s'en trouveraient vos âmes après la mort? Laissez-vous fléchir, et épargnez ma vie.

CADE. – Emmenez-le, et faites ce que je vous ordonne. (Quelques-uns sortent emmenant lord Say.) Le plus magnifique pair du royaume ne pourra porter sa tête sur ses épaules sans me payer tribut. Pas une fille ne sera mariée qu'elle ne paye un tribut pour sa virginité avant qu'on en jouisse. Les hommes relèveront de moi in cavite, et nous voulons et prétendons que leurs femmes soient aussi libres que le coeur peut le désirer, ou la langue l'exprimer.

DICK. – Milord, quand irons-nous à Cheapside prendre des marchandises sur nos bons?

CADE. – Eh vraiment, sur-le-champ.

LE PEUPLE. – Bravo.

(On apporte la tête du lord Say, et celle de son gendre.)

CADE. – Ceci ne vaut-il pas encore plus de bravos? Faites-les se baiser l'un l'autre, car ils s'aimaient beaucoup quand ils étaient en vie. A présent séparez-les, de peur qu'ils ne consultent ensemble sur le moyen de livrer quelques villes de plus aux Français. Soldats, différons jusqu'à la nuit qui approche le pillage de la ville, et promenons-nous dans les rues avec ces têtes portées devant nous en guise de masses d'armes, et à chaque coin de rue faites-les se baiser. Allons.

(Ils se retirent.)

SCÈNE VIII

Southwark
Une alarme. Entre CADE, suivi de toute la populace

CADE. – Montez par Fish-Street, descendez par l'angle de Saint-Magnus; tuez, assommez: jetez-les dans la Tamise. (Une trompette sonne un pourparler et une retraite.) Quel bruit est-ce là? Qui donc est assez hardi pour sonner la retraite ou un pourparler quand je commande qu'on tue?

(Entrent Buckingham et le vieux Clifford, avec des troupes.)

BUCKINGHAM. – C'est nous vraiment qui avons cette hardiesse, et qui venons te déranger. Sache, Cade, que nous venons comme ambassadeurs de la part du roi vers le peuple que tu as égaré, pour annoncer un pardon absolu à tous ceux qui t'abandonneront et retourneront tranquillement chez eux.

CLIFFORD. – Que dites-vous, compatriotes? Voulez-vous vous rendre au pardon qui vous est encore offert, ou attendez-vous que votre révolte vous conduise à la mort? Qui aime le roi et accepte son pardon, qu'il jette son chaperon en l'air et crie: Dieu garde le roi! Que celui qui le hait et n'honore pas son père Henri V, qui fit trembler la France, secoue son arme contre nous et continue son chemin.

LE PEUPLE. – Dieu garde le roi! Dieu garde le roi!

CADE. – Quoi! Buckingham et Clifford, êtes-vous si braves? et vous, stupides paysans, croyez-vous à leurs paroles? Avez-vous donc envie d'être pendus avec vos lettres de grâce attachées au cou? Mon épée s'est-elle donc fait jour à travers les portes de Londres pour que vous m'abandonniez au White-Hart dans Southwark? Je pensais que jamais vous ne poseriez les armes avant d'avoir recouvré vos anciennes libertés; mais vous êtes tous des misérables, des lâches, qui vous plaisez à vivre esclaves de la noblesse. Laissez-les vous briser les reins à force de fardeaux, vous chasser de dessous vos toits, ravir devant vos yeux vos femmes et vos filles. Il y en a toujours un que je saurai bien tirer d'affaire. Que la malédiction de Dieu vous éclaire tous!

LE PEUPLE. – Nous voulons suivre Cade, nous voulons suivre Cade!

CLIFFORD. – Cade est-il le fils de Henri V pour crier ainsi que vous voulez le suivre? Vous conduira-t-il dans le coeur de la France pour y faire, des derniers d'entre vous, des comtes ou des ducs? Hélas! il n'a pas seulement une maison, un asile pour se réfugier; il ne sait comment se procurer de quoi vivre, si ce n'est par le pillage, en nous volant, nous qui sommes vos amis. Ne serait-ce pas une honte, si, tandis que vous êtes ici à vous chamailler, le timide Français, naguère vaincu par vous, faisait une subite incursion sur la mer, et venait vous vaincre? Il me semble déjà le voir, au milieu de nos discordes civiles, parcourir en maître les rues de Londres, en appelant villageois tous ceux qu'il rencontre. Ah! périssent plutôt dix mille canailles de Cades, que de vous voir demander grâce à un Français! En France! en France! et regagnez ce que vous avez perdu; épargnez l'Angleterre, c'est votre rivage natal. Henri a de l'argent; vous êtes forts et courageux; Dieu est avec nous: ne doutez pas de la victoire.

TOUT LE PEUPLE. – A Clifford! à Clifford! nous suivons le roi et Clifford.

CADE. – Vit-on jamais plume aussi facile à souffler çà et là que cette multitude? Le nom de Henri V les entraîne à cent mauvaises actions, et ils me laissent là seul et abandonné. Je les vois se consulter ensemble pour me saisir par surprise. Mon épée m'ouvrira un chemin, car il n'y a plus moyen de rester ici. En dépit des diables et de l'enfer, je passerai au milieu de vous. Le ciel et l'honneur me sont témoins que ce n'est pas défaut de courage en moi, mais seulement la basse, l'ignominieuse trahison de ceux qui me suivent, qui me force de tourner les talons et de fuir.

BUCKINGHAM. – Quoi! il s'est échappé? Que quelques-uns de vous aillent après lui. Celui qui apportera sa tête au roi recevra mille couronnes pour sa récompense. (Quelques-uns sortent.) Suivez-moi, soldats; nous allons chercher un moyen de vous réconcilier tous avec le roi.

(Ils sortent.)

SCÈNE IX

Château de Kenilworth
LE ROI HENRI, LA REINE MARGUERITE ET SOMERSET paraissent sur la terrasse du château

LE ROI. – Fut-il jamais un roi, possesseur d'un trône terrestre, qui fut aussi peu maître de se procurer quelque satisfaction? Je commençais à peine à ramper hors de mon berceau, qu'on fit de moi un roi, à l'âge de neuf mois. Hélas! jamais sujet ne souhaita de devenir roi, comme je souhaite et languis du désir d'être sujet.

(Entrent Buckingham et Clifford.)

BUCKINGHAM. – Salut et bonnes nouvelles à Votre Majesté!

LE ROI. – Comment! Buckingham, le rebelle Cade est-il surpris? ou ne s'est-il retiré que pour attendre de nouvelles forces?

CLIFFORD. – Il est en fuite, seigneur, et tout son monde se soumet. (Entrent un grand nombre des partisans de Cade, la corde au cou.) Ils viennent humblement, la corde au cou, recevoir de Votre Majesté leur sentence de vie ou de mort.

LE ROI. – Ouvre donc, ô ciel, tes portes éternelles, pour donner passage à mes remercîments et à mes actions de grâces. Soldats, vous avez, dans ce jour, racheté votre vie, et montré combien vous chérissiez votre roi et votre pays. Persévérez toujours dans de si bons sentiments, et Henri, fût-il malheureux, vous assure qu'il ne sera jamais dur pour vous. Recevez donc tous, tant que vous êtes, mes remercîments et mon pardon, et retournez dans vos différents pays.

TOUTE LA MULTITUDE. – Dieu conserve le roi! Dieu conserve le roi!

(Entre un messager.)

LE MESSAGER. – Votre Grâce, avec sa permission, doit être avertie que le duc d'York est récemment arrivé d'Irlande, avec un corps nombreux et puissant de Gallowglasses déterminés; il s'avance vers ces lieux en belle ordonnance, et proclame, sur la route, que le seul objet de son armement est d'éloigner de la cour le duc de Somerset, qu'il appelle un traître.

LE ROI. – Ainsi, entre Cade et York, mon pouvoir flotte dans la détresse, comme un vaisseau qui, sortant de la tempête, est surpris par un calme et abordé par un pirate. Cade vient seulement d'être réprimé, et ses forces dispersées, et voilà qu'York s'élève en armes et lui succède. Va, je te prie, à sa rencontre, Buckingham; demande-lui le motif de cette prise d'armes. Dis-lui que j'enverrai le duc Edmond à la Tour; et en effet, Somerset, nous t'y ferons renfermer jusqu'à ce qu'il ait congédié son armée.

SOMERSET. – Seigneur, je me rendrai de moi-même à la prison; j'irai, s'il le faut, à la mort, pour le bien de mon pays.

 

LE ROI, à Buckingham. – Quoi qu'il arrive, n'employez pas des termes trop durs; vous savez qu'il est violent, et ne supporte pas un langage trop sévère.

BUCKINGHAM. – Je prendrai soin, seigneur, et j'agirai, n'en doutez pas, de telle sorte, que toutes choses vous tourneront à bien.

(Il sort.)

LE ROI. – Venez, ma femme, rentrons; et apprenons à mieux gouverner; car jusqu'ici l'Angleterre peut maudire mon malheureux règne.

(Ils sortent.)
20Cade, après cette bataille, se revêtit en effet de l'armure de Stafford.
21Say, en vieux langage, signifiait Sire.
22Basimecu, par corruption, pour Basemycu; grossier sobriquet, qu'apparemment la populace de Londres donnait au dauphin.