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La vie et la mort du roi Richard III

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SCÈNE II

Devant la maison de lord Hastings
Entre UN MESSAGER

LE MESSAGER, frappant à la porte. – Milord, milord?

HASTINGS, en dedans. – Qui est là?

LE MESSAGER. – Quelqu'un de la part de lord Stanley.

HASTINGS. – Quelle heure est-il?

LE MESSAGER. – Vous allez entendre sonner quatre heures.

(Entre Hastings.)

HASTINGS. – Ton maître trouve-t-il donc la nuit trop longue pour dormir?

LE MESSAGER. – Il y a toute apparence, d'après ce que j'ai à vous dire. D'abord, il me charge de présenter ses salutations à Votre Seigneurie.

HASTINGS. – Et après…

LE MESSAGER. – Ensuite il vous annonce qu'il a rêvé, cette nuit, que le sanglier lui avait jeté son casque à bas. Il vous informe aussi qu'on tient deux conseils, et qu'il serait possible que, dans l'un des deux, on prît un parti qui pourrait à tous deux vous faire déplorer l'autre. C'est ce qui l'a déterminé à m'envoyer savoir vos intentions; et si, à l'instant même, vous voulez monter à cheval avec lui, et vous réfugier en toute hâte dans le nord pour éviter le danger que pressent son âme.

HASTINGS. – Va, mon ami, retourne vers ton maître. Dis-lui que nous n'avons rien à craindre de ces deux conseils séparés. Son Honneur et moi nous serons de l'un des deux, et mon bon ami Catesby doit se trouver à l'autre; il ne peut rien s'y passer relativement à nous que je n'en sois instruit. Dis-lui que ses craintes sont vaines et sans motifs; et quant à ses songes, je m'étonne qu'il soit assez simple pour ajouter foi aux illusions d'un sommeil agité. Fuir le sanglier avant qu'il nous poursuive, ce serait l'exciter à courir sur nous, et diriger sa poursuite vers la proie qu'il n'avait pas intention de chasser. Va, dis à ton maître de se lever, et de venir me joindre; nous irons ensemble à la Tour, où il verra que le sanglier nous traitera bien.

LE MESSAGER. – J'y vais, milord; et lui rapporterai vos paroles.

(Il sort.)
(Entre Catesby.)

CATESBY. – Mille bonjours à mon noble lord.

HASTINGS. – Bonjour, Catesby. Vous êtes bien matinal aujourd'hui. Quelles sont les nouvelles, dans ce temps d'incertitude?

CATESBY. – En effet, milord, les choses sont peu stables; et je crois qu'elles ne reprendront point de solidité, que Richard ne porte le bandeau royal.

HASTINGS. – Comment! le bandeau royal? Veux-tu dire la couronne?

CATESBY. – Oui, mon bon lord.

HASTINGS. – La couronne de ma tête tombera de dessus mes épaules avant que je voie la couronne si odieusement déplacée. Mais crois-tu t'apercevoir qu'il y vise?

CATESBY. – Oui, sur ma vie: il se flatte de vous voir ardent à le soutenir dans ses projets pour y parvenir; et c'est dans cette confiance qu'il m'envoie vous apprendre l'agréable nouvelle que, ce jour même, vos ennemis, les parents de la reine, doivent mourir à Pomfret.

HASTINGS. – J'avoue que cette nouvelle ne m'afflige pas, car ils ont toujours été mes ennemis; mais que je donne jamais ma voix à Richard, au préjudice du droit des légitimes héritiers de mon maître! Dieu sait que je n'en ferai rien, dût-il m'en coûter la vie.

CATESBY. – Dieu conserve Votre Seigneurie dans ces bons sentiments!

HASTINGS. – Mais je rirai pendant un an d'avoir assez vécu pour voir la fin tragique de ceux qui m'avaient attiré la haine de mon maître. Va, va, Catesby, avant que je sois plus vieux de quinze jours, j'en ferai dépêcher encore quelques-uns qui ne s'y attendent guère.

CATESBY. – C'est une vilaine chose, mon cher lord, de mourir sans préparation, et lorsqu'on s'y attend le moins.

HASTINGS. – Oh! affreux, affreux. Et c'est pourtant ce qui arrive à Rivers, Vaughan et Grey; et il en arrivera autant à quelques autres, qui se croient aussi en sûreté que toi et moi, qui, tu le sais, sommes aimés du prince Richard et de Buckingham.

CATESBY. – Oh! ils vous tiennent en très-haute estime, (à part) car ils estiment que sa tête sera bientôt sur le pont.

HASTINGS. – Je sais qu'il en est ainsi, et je l'ai bien mérité. (Entre Stanley.) Comment! comment! mon cher, où est donc votre épieu, mon cher? Quoi! vous craignez le sanglier, et vous marchez sans armes?

STANLEY. – Bonjour, milord. – Bonjour, Catesby. – Vous pouvez plaisanter; mais, par la sainte croix, je n'aime point ces conseils séparés, moi.

HASTINGS. – Milord, j'aime autant ma vie, que vous la vôtre; et même je vous proteste qu'elle ne me fut jamais aussi précieuse qu'elle me l'est en ce moment. Croyez-vous, de bonne foi, que, si je n'étais pas certain de notre sûreté, vous me verriez un air aussi triomphant?

STANLEY. – Les lords qui sont à Pomfret étaient joyeux aussi, lorsqu'ils partirent de Londres; ils s'y croyaient bien en sûreté; ils n'avaient, en effet, aucun sujet de défiance, et pourtant vous voyez combien promptement le jour s'est obscurci pour eux: ce coup, si soudainement porté par la haine, éveille mes inquiétudes; veuille le Ciel que ma peur n'ait pas le sens commun! – Eh bien! nous rendrons-nous à la Tour? Le jour s'avance.

HASTINGS. – Allons, allons; j'ai quelque chose à vous dire… Devinez-vous ce que c'est, milord? Aujourd'hui, les lords dont vous parlez sont décapités.

STANLEY. – Hélas! pour la fidélité, ils méritent mieux de porter leurs têtes que quelques-uns de ceux qui les ont accusés de porter leurs chapeaux. Mais, venez, milord; partons.

(Entre un sergent d'armes.)

HASTINGS. – Allez toujours devant, je veux dire un mot à ce brave homme. (Sortent Stanley et Catesby.) – Eh bien, ami, comment va?

LE SERGENT. – D'autant mieux, que Votre Seigneurie veut bien s'en informer.

HASTINGS. – Je te dirai, mon ami, que les choses vont mieux pour moi, aujourd'hui, que la dernière fois que tu me rencontras ici. On me conduisait en prison à la Tour où j'étais envoyé par les menées des parents de la reine; mais maintenant je te dirai (garde cela pour toi) qu'aujourd'hui ces mêmes ennemis sont mis à mort, et que je suis en meilleure position que je n'étais alors.

LE SERGENT. – Dieu veuille vous y maintenir, à la satisfaction de Votre Honneur.

HASTINGS. – Mille grâces, ami. Tiens, bois à ma santé.

(Il lui jette sa bourse.)

LE SERGENT. – Je remercie Votre Honneur.

(Sort le sergent.)
(Entre un prêtre.)

LE PRÊTRE. – Bienheureux de vous rencontrer, milord, je suis fort aise de voir Votre Honneur.

HASTINGS. – Je te remercie de tout mon coeur, mon bon sir John. Je vous suis redevable pour votre dernier office. Venez chez moi dimanche prochain, et je m'acquitterai avec vous.

(Entre Buckingham.)

BUCKINGHAM. – Quoi! en conversation avec un prêtre, lord chambellan? Ce sont vos amis de Pomfret qui ont besoin du ministère d'un prêtre; mais vous, je ne crois pas que vous ayez occasion de vous confesser.

HASTINGS. – Non, ma foi; et lorsque j'ai rencontré ce saint homme, j'ai songé à ceux dont vous parlez. – Eh bien, allez-vous à la Tour?

BUCKINGHAM. – J'y vais, milord: mais je n'y resterai pas longtemps; j'en reviendrai avant vous.

HASTINGS. – Cela est assez probable; car j'y resterai à dîner.

BUCKINGHAM, à part. – Et à souper aussi, quoique tu ne t'en doutes pas. – Allons, voulez-vous venir?

HASTINGS. – Je vous suis, milord.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

A Pomfret. – Devant le château
Entre RATCLIFF, conduisant, avec une escorte, RIVERS, GREY ET VAUGHAN à la mort

RATCLIFF. – Allons, conduisez les prisonniers.

RIVERS. – Sir Richard Ratcliff, laisse-moi te dire ceci: tu vois mourir aujourd'hui un sujet fidèle, puni de son zèle et de sa loyauté.

GREY. – Dieu garde le prince de votre clique à tous! Vous êtes là une troupe liguée de damnés vampires.

VAUGHAN. – Il y en a parmi vous qui un jour crieront malheur sur tout ceci.

RATCLIFF. – Dépêchons; le terme de votre vie est arrivé.

RIVERS. – O Pomfret, Pomfret! ô toi, prison sanglante, prison fatale et de mauvais augure aux nobles pairs de ce royaume! Dans la coupable enceinte de tes murs fut massacré Richard II; et pour rendre plus odieux ton sinistre séjour, nous allons te donner à boire encore notre sang innocent.

GREY. – C'est maintenant que tombe sur nos têtes la malédiction de Marguerite, lorsqu'elle reprocha à Hastings, à vous et à moi, d'être restés spectateurs tranquilles, pendant que Richard poignardait son fils.

RIVERS. – Elle maudit aussi Hastings, elle maudit Buckingham, elle maudit Richard. Souviens-toi, ô Dieu, d'exaucer contre eux ses prières, comme tu les exauces contre nous! – Mais ma soeur, et les princes ses enfants… ô Dieu miséricordieux, contente-toi de notre sang fidèle, qui, tu le vois, va être injustement versé!

RATCLIFF. – Finissons: l'heure marquée pour votre mort est déjà passée.

RIVERS. – Allons, Grey, – allons, Vaughan. Embrassons-nous ici. – Adieu, jusqu'à notre réunion dans le ciel.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

A Londres. – Un appartement dans la Tour
BUCKINGHAM, STANLEY, HASTINGS, L'ÉVÊQUE D'ÉLY, CATESBY, LOVEL et autres, autour d'une table, les officiers du conseil sont présents

HASTINGS. – Nobles pairs, nous sommes ici rassemblés pour fixer le jour du couronnement; au nom de Dieu, parlez, quel jour nommez-vous pour cette auguste cérémonie?

BUCKINGHAM. – Tout est-il préparé pour ce grand jour?

STANLEY. – Tout: il ne reste plus qu'à le fixer.

L'ÉVÊQUE D'ÉLY. – Demain serait, ce me semble, un jour heureusement choisi.

 

BUCKINGHAM. – Qui de vous ici connaît les intentions du protecteur? quel est le confident le plus intime du noble duc?

L'ÉVÊQUE D'ÉLY. – C'est vous, milord, à ce que nous croyons, qui connaissez le mieux sa pensée.

BUCKINGHAM. – Nous connaissons tous les visages l'un de l'autre: mais pour nos coeurs… Il ne connaît pas plus le mien que moi le vôtre: et je ne connais pas plus le sien, milord, que vous le mien. – Lord Hastings, vous êtes liés tous deux d'une étroite amitié.

HASTINGS. – Je sais que Sa Grâce a la bonté de m'accorder beaucoup d'affection. Mais quant à ses vues sur le couronnement, je ne l'ai point sondé, et il ne m'a fait connaître en aucune manière ses gracieuses volontés à ce sujet. Mais vous, noble lord, vous pourriez nommer le jour: et je donnerai ma voix au nom du duc; j'ose espérer qu'il ne le prendra pas en mauvaise part.

(Entre Glocester.)

L'ÉVÊQUE D'ÉLY. – Voici le duc lui-même, qui vient fort à propos.

GLOCESTER-Mes nobles lords et cousins, je vous souhaite à tous le bonjour. J'ai dormi tard; mais je me flatte que mon absence n'a pas empêché qu'on s'occupât d'aucun des objets importants qui devaient se régler en ma présence.

BUCKINGHAM. – Si vous n'aviez pas fait votre entrée à point nommé, milord, voilà lord Hastings qui allait se charger de votre rôle; je veux dire qu'il aurait donné votre voix pour le couronnement du roi.

GLOCESTER. – Personne ne pouvait le faire avec plus de confiance que milord Hastings. Il me connaît bien; il m'est tendrement attaché. – Milord d'Ély, la dernière fois que je me trouvai à Holborn, je vis des fraises dans votre jardin 17. Je vous prie, envoyez-m'en quelques-unes.

L'ÉVÊQUE D'ÉLY. – Oui-dà, milord, et de tout mon coeur.

(L'évêque d'Ély sort.)

GLOCESTER. – Cousin Buckingham, un mot. (Il le prend à part:) – Catesby a sondé Hastings sur notre projet, et il a trouvé cet entêté-là si violent qu'il perdra, dit-il, sa tête avant de consentir à ce que le fils de son maître, comme il l'appelle respectueusement, perde la souveraineté du trône d'Angleterre.

BUCKINGHAM. – Sortez un moment, je vous accompagnerai.

(Sortent Glocester et Buckingham.)

STANLEY. – Nous n'avons pas encore fixé ce jour solennel. Demain, à mon avis, est trop précipité. Pour moi, je ne suis pas aussi bien préparé que je le serais si l'on éloignait ce jour.

(Rentre l'évêque d'Ély.)

L'ÉVÊQUE D'ÉLY. – Où est milord protecteur? Je viens d'envoyer chercher les fraises.

HASTINGS. – Le duc paraît ce matin bien disposé et de bonne humeur. Il faut qu'il soit occupé de quelque idée qui lui plaît, pour nous avoir souhaité le bonjour d'un air si animé. Je ne crois pas qu'il y ait, dans toute la chrétienté, un homme moins capable de cacher sa haine ou son amitié que lui: vous lisez d'abord sur son visage ce qu'il a dans le coeur.

STANLEY. – Et quels traits de son âme voyez-vous donc aujourd'hui sur son visage, d'après les apparences qu'il a laissé voir?

HASTINGS. – Hé! j'y vois clairement qu'il n'est irrité contre personne, car, si cela était, on l'aurait vu dans ses yeux.

(Rentrent Richard et Buckingham.)

GLOCESTER. – Je vous le demande à tous, dites-moi ce que méritent ceux qui conspirent ma mort par les pratiques diaboliques d'une damnable sorcellerie, et qui sont parvenus à soumettre mon corps à leurs charmes infernaux?

HASTINGS. – Le tendre attachement que j'ai pour Votre Grâce, milord, m'enhardit à prononcer le premier, dans cette illustre assemblée, l'arrêt des coupables. Quels qu'ils soient, je soutiens, milord, qu'ils ont mérité la mort.

GLOCESTER. – Eh bien, que vos yeux soient donc témoins du mal qu'ils m'ont fait. Voyez comme ils m'ont ensorcelé: regardez, mon bras est desséché comme une jeune perche frappée de la gelée. C'est l'ouvrage de cette épouse d'Édouard, de cette horrible sorcière, liguée avec cette malheureuse, cette prostituée, la Shore: ce sont elles qui m'ont ainsi marqué de leurs sortilèges.

HASTINGS. – Si elles sont les auteurs de ce forfait, milord…

GLOCESTER. – Si! que prétends-tu avec tes si, toi, le protecteur de cette odieuse prostituée? – Tu es un traître. – A bas sa tête. – Oui, je jure ici par saint Paul, que je ne dînerai pas que je ne l'aie vue à bas. – Lovel et Catesby, ayez soin que cela s'exécute. – Pour vous autres, qui m'aime se lève et me suive.

(Tout le conseil se lève, et suit Richard et Buckingham.)

HASTINGS. – Malheur, malheur à l'Angleterre! car de moi je n'en donnerais pas cela. Imbécile que je suis, j'aurais pu prévenir ce qui m'arrive. Stanley avait vu en songe le sanglier lui abattre son casque; mais j'ai méprisé cet avis, et j'ai dédaigné de fuir. Trois fois aujourd'hui mon cheval caparaçonné a bronché et a fait un écart à l'aspect de la Tour, comme s'il eût refusé de me mener à la boucherie. – Ah! j'ai besoin maintenant du prêtre à qui je parlais tantôt. Je me repens à présent d'avoir dit à ce sergent, d'un air de triomphe, que mes ennemis périssaient aujourd'hui à Pomfret d'une mort sanglante, et que moi j'étais sûr d'être en grâce et en faveur. O Marguerite, Marguerite! c'est maintenant que ta funeste malédiction tombe sur la tête infortunée du pauvre Hastings!

CATESBY. – Allons, milord, abrégez: le duc attend pour dîner. Faites une courte confession; il est pressé de voir votre tête.

HASTINGS. – O faveur momentanée des mortels que nous poursuivons avec plus d'ardeur que la grâce de Dieu! Celui qui bâtit son espérance sur ton fantastique sourire est comme le matelot ivre au haut d'un mât, toujours prêt à tomber à la moindre secousse, dans les fatales entrailles de l'abîme.

LOVEL. – Allons, allons, finissons: ces lamentations sont inutiles.

HASTINGS. – O sanguinaire Richard! – Malheureuse Angleterre! je te prédis les jours les plus effroyables qu'aient encore vus les siècles les plus malheureux. – Allons, conduisez-moi à l'échafaud: portez-lui ma tête. – J'en vois sourire à mon malheur qui ne me survivront pas longtemps.

(Ils sortent.)

SCÈNE V

Toujours à Londres. – Les murs de la Tour
Entrent GLOCESTER ET BUCKINGHAM vêtus d'armures rouillées et singulièrement en désordre

GLOCESTER. – Dis-moi, cousin, peux-tu trembler et changer de couleur, perdre la respiration au milieu d'un mot, recommencer ton discours et t'arrêter encore comme si tu avais la tête perdue, l'esprit égaré de frayeur?

BUCKINGHAM. – Bon! je suis en état d'égaler le plus grand tragédien, de parler en regardant en arrière, et promenant autour de moi un oeil inquiet, de trembler et tressaillir au mouvement d'un brin de paille, comme assailli d'une crainte profonde. Le regard épouvanté et le sourire forcé sont également à mes ordres; ils sont toujours prêts, chacun dans son emploi, à donner à mes stratagèmes l'apparence convenable. Mais Catesby est-il parti?

GLOCESTER. – Oui, et le voilà qui ramène avec lui le maire.

BUCKINGHAM. – Laissez-moi lui parler. (Entrent le lord maire et Catesby.) Lord maire…

GLOCESTER. – Prenez garde au pont.

BUCKINGHAM. – Écoutez, écoutez le tambour.

GLOCESTER. – Catesby, veillez sur les remparts.

BUCKINGHAM. – Lord maire, la raison qui nous a fait vous mander…

GLOCESTER. – Prends garde, défends-toi… – Voilà les ennemis.

BUCKINGHAM. – Que Dieu et notre innocence nous défendent et nous protègent!

(Entrent Lovel et Catesby, portant la tête de Hastings.)

GLOCESTER. – Non, rassurez-vous, ce sont nos amis: Lovel et Catesby.

LOVEL. – Voilà la tête de cet ignoble traître, de ce dangereux Hastings qu'on était si loin de soupçonner.

GLOCESTER. – J'ai tant aimé cet homme que je ne puis m'empêcher de pleurer. Je l'avais toujours cru le plus sincère et le meilleur humain qui jamais sur terre ait porté le nom de chrétien. Il était pour moi comme un livre où mon âme déposait le récit de ses plus secrètes pensées. Il savait couvrir ses vices d'un vernis de vertu si séduisant, que, sauf une faute notoire et visible à tous les yeux (je parle de son commerce déclaré avec la femme de Shore), il vivait à l'abri du plus léger soupçon.

BUCKINGHAM. – Oh! c'était bien le traître le plus caché, le plus habilement déguisé qui ait jamais vécu! – Voyez, lord maire, auriez-vous jamais imaginé, et pourriez-vous même le croire encore, si la Providence ne nous avait pas conservés vivants pour vous le dire, que ce rusé traître avait comploté de nous assassiner, moi et le bon duc de Glocester, aujourd'hui même dans la chambre du conseil?

LE MAIRE. – Quoi, est-il vrai?

GLOCESTER. – Quoi? nous prenez-vous pour des Turcs et des infidèles? Et pensez-vous que nous eussions ainsi, contre la forme des lois, procédé si violemment à la mort du scélérat, si l'extrême danger de la chose, le repos de l'Angleterre et la sûreté de nos personnes ne nous eussent pas forcés à cette rapide exécution?

LE MAIRE. – Puisse-t-il vous bien arriver! Il a mérité la mort; et Vos Grâces ont très-sagement procédé, en faisant un exemple capable d'effrayer les faux traîtres qui voudraient renouveler de pareilles tentatives. Je n'ai rien espéré de mieux de sa part, depuis que je l'ai vu en relation avec mistriss Shore.

BUCKINGHAM. – Et cependant notre intention n'était pas qu'il fût exécuté avant que vous fussiez arrivé, milord, pour être présent à sa fin. Mais le zèle affectionné de nos amis a empêché, un peu contre notre intention, que cela ne fût ainsi. Nous aurions été bien aises que vous eussiez entendu le traître parler, et confesser en tremblant les détails et le but de sa trahison, afin que vous eussiez pu en rendre compte aux citoyens qui seraient peut-être tentés de mal interpréter cette exécution, et de plaindre sa mort.

LE MAIRE. – La parole de Votre Grâce, mon bon lord, vaudra autant que si je l'avais vu et entendu parler: et ne doutez nullement ni l'un ni l'autre, nobles princes, que je n'informe nos fidèles citoyens de la justice avec laquelle vous avez agi en cette occasion.

GLOCESTER. – C'était pour cela que nous souhaitions la présence de Votre Seigneurie, afin d'éviter la censure des langues mal intentionnées.

BUCKINGHAM. – Mais enfin, puisque vous êtes arrivé trop tard pour remplir nos intentions, vous pouvez du moins attester tout ce que nous venons de vous en apprendre. Et sur ce, mon bon lord maire, nous vous souhaitons le bonjour.

(Le lord maire sort.)

GLOCESTER. – Allons, suivez, suivez-le, cousin Buckingham. Le maire va se rendre en diligence à Guild-Hall. Là, lorsque vous trouverez le moment favorable, mettez en avant la bâtardise des enfants d'Edouard. Dites-leur comment Edouard fit mettre à mort un citoyen 18, pour avoir dit qu'il ferait son fils héritier de la couronne, lorsqu'il n'entendait parler que de sa maison, dont l'enseigne portait ce nom. Ensuite insistez sur ses abominables débauches, et la brutalité de ses penchants inconstants, qui s'étendaient jusqu'à leurs servantes, leurs filles, leurs femmes, partout où son oeil lascif et son coeur dévorant s'arrêtaient pour chercher une proie. De là vous pouvez, dans un besoin, ramener le discours sur ma personne. – Dites-leur que, lorsque ma mère devint grosse de cet insatiable Édouard, le duc d'York, mon illustre père, était occupé dans les guerres de France; et qu'en faisant une supputation exacte des dates, il reconnut évidemment que l'enfant ne lui appartenait pas; vérité confirmée encore par sa physionomie, qui n'avait aucun des traits du noble duc mon père; cependant touchez cela légèrement, et comme en passant, car vous savez, milord, que ma mère vit encore.

 

BUCKINGHAM. – Reposez-vous sur moi, milord; je vais parler avec autant d'éloquence que si la brillante récompense qui fait l'objet de mon plaidoyer devait être pour moi-même; et sur ce, adieu, milord.

GLOCESTER. – Si vous réussissez, amenez-les au château de Baynard; vous m'y trouverez vertueusement entouré de révérends pères et de savants évêques.

BUCKINGHAM. – Je pars; et comptez que vers les trois ou quatre heures, vous recevrez des nouvelles de ce qui se sera passé à Guild-Hall.

(Buckingham sort.)

GLOCESTER. – Lovel, allez chercher promptement le docteur Shaw. – Et vous, Catesby, amenez-moi le moine Penker. Dites-leur de venir me trouver avant une heure d'ici, au château de Baynard. (Lovel et Catesby sortent.) Je vais rentrer. Il faut que je donne des ordres secrets pour mettre hors de vue cette petite race de Clarence, et recommander qu'on ne souffre pas que personne au monde approche les princes.

(Ils sortent.)
17La demande des fraises est historique, et donnée comme un échantillon de la bonne humeur qu'affecta ce jour-là Richard au commencement du conseil. Probablement Shakspeare en a profité pour faire sortir l'évêque d'Ély, afin qu'il ne s'établît pas de discussion entre ce prélat, qui a demandé que le couronnement d'Édouard V eût lieu le lendemain, et Stanley à qui un instant de prudence fait exprimer le désir qu'il soit retardé. C'est ce que n'ont point aperçu les commentateurs.
18Un riche mercier de la Cité, nommé Walker. Ce fut en chaire que Richard fit d'abord attaquer les actes d'Édouard, la légitimité de ses enfants, et la sienne propre, par un docteur Shand, frère du maire de Londres.