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SCÈNE II

Florence. – Appartement de la maison de la veuve
Entrent BERTRAND, DIANE

BERTRAND. – On m'a dit que votre nom était Fontibel.

DIANE. – Non, mon brave seigneur, c'est Diane.

BERTRAND. – Vous portez le nom d'une déesse, et vous méritez mieux encore: mais, âme céleste, l'amour n'a-t-il aucune place dans votre belle personne? Si la vive flamme de la jeunesse n'échauffe pas votre coeur, vous n'êtes pas une jeune fille, mais une statue. Quand vous serez morte, vous serez ce que vous êtes à présent; car vous êtes froide et insensible, et à présent vous devriez être telle qu'était votre mère lorsque votre être charmant fut engendré.

DIANE. – Elle ne cessa pas d'être honnête alors.

BERTRAND. – Vous le seriez aussi.

DIANE. – Non; ma mère ne fit que remplir un devoir, le devoir, seigneur, que vous devez à votre épouse.

BERTRAND. – Ne parlons pas de cela. – Je vous en prie, ne luttez pas contre mes serments: j'ai été uni à elle par contrainte; mais vous, je vous aime par la douce contrainte de l'amour, et je vous rendrai toujours tous les services auxquels vous aurez droit.

DIANE. – Oui, vous êtes à notre service jusqu'à ce que nous vous ayons servi; mais lorsqu'une fois vous avez nos roses, vous nous laissez seulement les épines pour nous déchirer, et vous insultez à notre stérilité.

BERTRAND. – Combien ai-je fait de serments!..

DIANE. – Ce n'est pas le nombre des serments qui fait la vérité, mais un voeu simple et sincère fait avec vérité. Nous n'attestons jamais ce qui n'est pas sacré, mais nous jurons par le Très-Haut. Dites-moi, je vous prie, si je jurais par les attributs suprêmes de Jupiter que je vous aime tendrement, en croiriez-vous mes serments, quand je vous aimerais mal? Jurer à quelqu'un qu'on l'aime est un serment sans foi et sans solidité, lorsqu'on ne jure que pour lui faire un outrage. Ainsi vos serments ne sont que des paroles et de frivoles protestations qui ne portent aucun sceau, du moins suivant mon opinion.

BERTRAND. – Changez, changez d'opinion. Ne soyez pas si saintement cruelle: l'amour est saint, et jamais ma sincérité ne connut l'artifice dont vous accusez les hommes. Ne vous éloignez plus, mais rendez-vous au désir de mon coeur, qui se ranimera alors. Dites que vous êtes à moi, et ce qu'est mon amour au commencement, il le sera toujours.

DIANE. – Je vois que les hommes, dans ces sortes de difficultés, fabriquent des cordes que nous laissons bientôt aller nous-mêmes. – Donnez-moi cet anneau.

BERTRAND. – Je vous le prêterai, ma chère; mais il n'est pas en mon pouvoir de le donner sans retour.

DIANE. – Vous ne voulez pas me le donner, seigneur?

BERTRAND. – C'est un gage d'honneur qui appartient à notre maison, et qui m'a été légué par de nombreux ancêtres: ce serait une grande honte pour moi dans le monde que de le perdre.

DIANE. – Mon honneur ressemble à votre anneau: ma chasteté est le joyau de notre maison, qui m'a été transmis par de nombreux ancêtres, et ce serait une grande honte pour moi dans le monde que de le perdre: ainsi, votre propre prudence amène l'honneur pour me servir de champion contre vos vaines attaques.

BERTRAND. – Tenez, prenez mon anneau. Que ma maison, mon honneur, ma vie même soient à vous, et je vous serai soumis.

DIANE. – Quand il sera minuit, frappez à la fenêtre de ma chambre. Je prendrai mes précautions pour que ma mère n'entende rien. – Maintenant je vous recommande, sous la foi sacrée de la vérité, lorsque vous aurez conquis mon lit encore vierge, de n'y rester qu'une heure et de ne pas me parler. J'en ai les plus fortes raisons; vous les saurez ensuite, lorsque cette bague vous sera rendue; et dans la nuit je mettrai à votre doigt un autre anneau qui, dans la suite des temps, pourra attester à l'avenir notre union passée. Adieu, jusqu'alors: n'y manquez pas. Vous avez conquis en moi une épouse, quoique toutes mes espérances de ce côté soient perdues.

BERTRAND. – J'ai conquis le ciel sur la terre en vous recherchant.

(Il sort.)

DIANE. – Puisses-tu vivre longtemps pour remercier le ciel et moi! tu pourrais bien finir par là. – Ma mère m'avait instruite de la manière dont il me ferait sa cour, comme si elle eût été dans son coeur: elle dit que tous les hommes font les mêmes serments: il avait juré de m'épouser quand sa femme serait morte, et moi je coucherai avec lui quand je serai ensevelie. Puisque les Français sont si trompeurs, se marie qui voudra; je veux vivre et mourir vierge; et je ne crois pas que ce soit un péché de tromper, sous ce déguisement, un homme qui voulait me séduire.

(Elle sort.)

SCÈNE III

Le camp florentin
Entrent LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS, avecdeux ou trois soldats

PREMIER OFFICIER. – Vous ne lui avez pas donné la lettre de sa mère?

SECOND OFFICIER. – Je la lui ai remise il y a une heure: il y a dedans quelque chose qui a fait une vive impression sur son âme, car en la lisant il est presque devenu tout d'un coup un autre homme.

PREMIER OFFICIER. – Il s'est attiré un juste blâme en repoussant une si bonne femme, une si aimable dame.

SECOND OFFICIER. – Il a surtout encouru la disgrâce éternelle du roi, dont la générosité eût fait si volontiers son bonheur 31. Je vous dirai quelque chose, mais vous la tiendrez secrète.

PREMIER OFFICIER. – Quand vous l'aurez dite, elle est morte, et j'en suis le tombeau.

SECOND OFFICIER. – Il a séduit ici, dans Florence, une jeune demoiselle de très-chaste renommée, et cette nuit même il assouvit sa passion sur les ruines de son honneur: il lui a donné son anneau de famille, et il se croit heureux d'avoir réussi dans ce pacte coupable.

PREMIER OFFICIER. – Que Dieu diffère notre révolte! Ce que nous sommes quand nous sommes abandonnés à nous-mêmes!

SECOND OFFICIER. – De vrais traîtres à nous-mêmes. Et comme dans le cours ordinaire de toutes les trahisons, nous les voyons toujours se révéler elles-mêmes à mesure qu'elles avancent vers leur infâme but; c'est ainsi que celui qui, par cette action, conspire contre son propre honneur, laisse déborder lui-même le torrent.

PREMIER OFFICIER. – N'est-ce pas un crime damnable d'être les hérauts de nos desseins criminels? – Nous n'aurons donc pas sa compagnie ce soir?

SECOND OFFICIER. – Non, jusqu'après minuit, car sa ration est d'une heure.

PREMIER OFFICIER. – Elle s'avance à grands pas. – Je voudrais bien qu'il entendît anatomiser son compagnon, afin qu'il pût avoir la mesure de son jugement, où il avait si précieusement établi cette fausse monnaie.

SECOND OFFICIER. – Nous ne nous occuperons pas de lui jusqu'à ce qu'il vienne, car sa présence doit être le jouet de l'autre.

PREMIER OFFICIER. – En attendant, qu'entendez-vous dire de cette guerre?

SECOND OFFICIER. – J'entends dire qu'il y a une ouverture de paix.

PREMIER OFFICIER. – Et même, je vous l'assure, une paix conclue.

SECOND OFFICIER. – Que va donc faire le comte de Roussillon? Voyagera-t-il, ou retournera-t-il en France?

PREMIER OFFICIER. – Je vois bien par cette question que vous n'êtes pas dans sa confidence.

SECOND OFFICIER. – Dieu m'en préserve, monsieur! car alors j'aurais grande part à ses actions.

PREMIER OFFICIER. – Sa femme, il y a environ deux mois, a fui sa maison: son prétexte était d'aller faire un pèlerinage à Saint-Jacques-le-Grand; elle a accompli cette religieuse entreprise avec la piété la plus austère; la sensibilité de sa nature est devenue la proie de son chagrin; enfin, elle y a rendu les derniers soupirs, et maintenant elle chante dans le ciel.

SECOND OFFICIER. – Sur quoi cette nouvelle est-elle appuyée?

PREMIER OFFICIER. – En grande partie sur ses propres lettres, qui garantissent la vérité du récit jusqu'à l'instant de sa mort; et sa mort, qu'elle ne pouvait pas annoncer elle-même, est fidèlement confirmée par le curé du lieu.

SECOND OFFICIER. – Le comte est-il instruit de cet événement?

PREMIER OFFICIER. – Oui; et dans toutes ses particularités, de point en point, jusqu'à la plus parfaite certitude de la vérité.

SECOND OFFICIER. – Je suis bien fâché qu'il soit joyeux de cela.

PREMIER OFFICIER. – Comme nous nous empressons quelquefois de nous réjouir de nos pertes!

SECOND OFFICIER. – Et comme nous nous empressons d'autres fois de noyer nos gains dans les larmes! L'honneur distingué que sa valeur s'est acquis ici va être accueilli dans sa patrie par une honte aussi grande.

PREMIER OFFICIER. – La trame de notre vie est un tissu de bien et de mal: nos vertus seraient trop fières si nos fautes ne les châtiaient, et nos crimes seraient au désespoir s'ils n'étaient consolés par nos vertus. – Eh bien! où est votre maître?

LE DOMESTIQUE. – Dans la rue il a rencontré le duc, dont il a pris solennellement congé: Sa Seigneurie va partir demain matin pour la France. Le duc lui a offert des lettres de recommandation pour le roi.

SECOND OFFICIER. – Elles ne sont rien moins que nécessaires, quand la recommandation serait encore plus forte qu'elle ne peut l'être.

(Entre Bertrand.)

LE PREMIER OFFICIER, répondant à l'autre. – En effet, elles ne peuvent être trop flatteuses pour adoucir l'aigreur du roi. – Voici le comte qui s'avance. – Eh bien! comte, ne sommes-nous pas après minuit?

 

BERTRAND. – J'ai, cette nuit, expédié seize affaires d'un mois de travail chacune, dont j'ai abrégé le succès: j'ai pris congé du duc, fait mes adieux à ses parents, enterré une femme, pris le deuil pour elle, écrit à madame ma mère que je reviens, préparé mes équipages et ma suite; et, entre les intervalles de ces diverses expéditions, j'ai pourvu à d'autres affaires plus délicates: la dernière était la plus importante, mais elle n'est pas encore finie.

SECOND OFFICIER. – Si l'affaire présente quelque difficulté et que vous partiez d'ici ce matin, il faudra que Votre Seigneurie use de diligence.

BERTRAND. – Je dis que l'affaire n'est pas finie, parce que j'ai quelque peur d'en entendre parler dans la suite. – Mais aurons-nous ce dialogue entre ce faquin et le soldat? – Allons, faites paraître devant nous ce prétendu modèle: il m'a trompé, comme un oracle à double sens.

SECOND OFFICIER. – Qu'on l'amène. (Les soldats sortent.) Le pauvre malheureux a passé toute la nuit dans les ceps.

BERTRAND. – Il n'y a pas de mal à cela: ses talons l'ont bien mérité, pour avoir usurpé si longtemps les éperons 32. Comment se comporte-t-il?

PREMIER OFFICIER. – J'ai déjà eu l'honneur de dire à Votre Seigneurie que ce sont les ceps qui le portent: mais, pour vous répondre dans le sens que vous entendez, il pleure comme une fille qui a répandu son lait; il s'est confessé à Morgan, qu'il croit être un religieux, depuis la première lueur de sa mémoire jusqu'à l'instant fatal où il a été mis dans les ceps. Et que croyez-vous qu'il a confessé?

BERTRAND. – Rien qui me concerne, n'est-ce pas?

SECOND OFFICIER. – On a écrit sa confession, et on la lira devant lui. Si Votre Seigneurie s'y rencontre, comme je le crois, il faut que vous ayez la patience de l'entendre.

(Les soldats entrent conduisant Parolles les yeux bandés.)

BERTRAND. – Que la peste l'étouffé! Comme il est affublé! – Il ne peut rien dire de moi. Silence, silence!

PREMIER OFFICIER. – Voilà le colin-maillard qui vient. (Haut.) Porto tartarossa.

L'INTERPRÈTE, à Parolles. – Le général demande les instruments de torture. Que voulez-vous dire dans cela?

PAROLLES. – J'avouerai tout ce que je sais, sans qu'il soit besoin de contrainte. Quand vous me hacheriez comme chair à pâté, je ne pourrais rien dire de plus.

L'INTERPRÈTE. -Bosko chicurmurco.

SECOND OFFICIER. -Boblibindo chicurmurco.

L'INTERPRÈTE, à l'officier. – Vous êtes un général miséricordieux. (A Parolles.) Notre général vous ordonne de répondre à ce que je vais vous demander, d'après cet écrit.

PAROLLES. – Et j'y répondrai avec vérité, comme j'espère vivre.

L'INTERPRÈTE, lisant un interrogatoire par écrit. -D'abord lui demander quelle est la force du duc en fait de chevaux. Que répondez-vous à cela?

PAROLLES. – Cinq ou six mille chevaux environ, mais affaiblis et hors de service: les troupes sont toutes dispersées, et les chefs sont de pauvres hères: c'est ce que je certifie sur ma réputation, et sur mon espoir de vivre.

L'INTERPRÈTE. – Coucherai-je par écrit votre réponse?

PAROLLES. – Oui, et j'en ferai serment comme il vous plaira.

BERTRAND. – Oh! cela lui est bien égal! (A part.) Quel misérable poltron!

PREMIER OFFICIER, à Bertrand, avec ironie. – Vous vous trompez, seigneur. C'est monsieur Parolles; ce brave militaire (c'était là sa phrase ordinaire) qui portait toute la théorie de la guerre dans le noeud de son écharpe, et toute la pratique dans le fourreau de son poignard.

SECOND OFFICIER. – Je ne me fierai jamais à un homme, parce qu'il aura soin de tenir son épée luisante; ni ne croirai qu'il possède tous les mérites, parce qu'il porte bien son uniforme.

L'INTERPRÈTE, à Parolles. – Allons, la réponse est écrite.

PAROLLES. – Oui, cinq ou six mille chevaux environ, comme je l'ai dit. – Je veux dire le nombre juste, ou à peu de chose près. Écrivez-le; – car je veux dire la vérité.

PREMIER OFFICIER. – Il approche de la vérité là-dessus.

BERTRAND. – Mais, vu la manière dont il le dit, je ne choisirai pas mes mots pour l'en remercier, vu la manière dont il l'a dit.

PAROLLES. – De pauvres hères: je vous prie, écrivez-le.

L'INTERPRÈTE. – Bon; cela est écrit.

PAROLLES. – Je vous en remercie bien. La vérité est la vérité. Ce sont de bien pauvres hères!

L'INTERPRÈTE, lisant. -Lui demander quelle est la force de son infanterie. (A Parolles.) Que dites-vous de cela?

PAROLLES. – Sur ma foi, monsieur, quand je n'aurais plus que cette heure à vivre, je dirai la vérité. – Voyons. Spurio, cent cinquante; Sébastien, autant; Corambus autant; Guiltian, Cosmo, Lodovick, et Gratii, deux cent cinquante chacun; ma compagnie, Chitopher, Vaumont, Bentii, chacun deux cent cinquante; en sorte que toute la troupe, tant sains que malades, ne monte pas, sur ma vie, à quinze mille hommes: et il y en a la moitié qui n'oseraient pas secouer la neige de leur pourpoint, de crainte de tomber eux-mêmes en morceaux.

BERTRAND. – Que lui fera-t-on?

PREMIER OFFICIER, à Bertrand. – Rien autre chose que de le remercier. (A l'interprète.) Interrogez-le sur mon état, et sur le crédit dont je jouis près du duc.

L'INTERPRÈTE, à Parolles. – Allons; cela est écrit. (Lisant.) Vous lui demanderez encore s'il y a dans le camp un certain capitaine Dumaine, un Français: quelle est sa réputation auprès du duc; quelles sont sa valeur, sa probité, et son expérience dans la guerre; ou s'il ne croit pas qu'il fût possible avec de bonnes sommes d'or de le corrompre et de l'engager à la révolte. (A Parolles.) Que dites-vous de ceci? Qu'en savez-vous?

PAROLLES. – Je vous en conjure, laissez-moi répondre en détail à ces questions: faites-moi les demandes séparément.

L'INTERPRÈTE. – Connaissez-vous ce capitaine Dumaine?

PAROLLES. – Je le connais: il était apprenti boucher à Paris, d'où il a été chassé à coups de fouet pour avoir donné un enfant à la servante du shérif 33, une pauvre innocente, muette, qui ne pouvait lui dire non.

(Dumaine, en colère, lève la main.)

BERTRAND. – Allons, avec votre permission, tenez vos mains; – quoique je sache bien que sa cervelle soit vouée à la première tuile qui tombera.

L'INTERPRÈTE. – Ce capitaine est-il dans le camp du duc de Florence?

PAROLLES. – A ma connaissance, il y est: c'est un pouilleux.

PREMIER OFFICIER, à Bertrand qui le regarde. – Allons, ne me considérez pas tant; nous entendrons parler tout à l'heure de Votre Seigneurie.

L'INTERPRÈTE. – Quel cas en fait le duc?

PAROLLES. – Le duc ne le connaît que pour un de mes mauvais officiers, et il m'écrivit l'autre jour de le renvoyer de la troupe: je crois que j'ai sa lettre dans ma poche.

L'INTERPRÈTE. – Ma foi, nous allons l'y chercher.

PAROLLES. – En conscience je ne sais pas: mais ou elle y est, ou elle est enfilée avec les autres lettres du duc, dans ma tente.

L'INTERPRÈTE le fouillant. – La voici: voici un papier: vous le lirai-je?

PAROLLES. – Je ne sais pas si c'est cela, ou non.

BERTRAND, à demi-voix. – Notre interprète fait bien son rôle.

PREMIER OFFICIER. – A merveille.

L'INTERPRÈTE lisant. -Diane. – Le comte est un fou, et chargé d'or…

PAROLLES. – Ce n'est pas la lettre du duc, monsieur: c'est un avertissement à une honnête fille de Florence, nommée Diane, de se défier des séductions d'un certain comte de Roussillon, un jeune et frivole étourdi, mais avec tout cela fort débauché. – Je vous en prie, monsieur, remettez cela dans ma poche.

L'INTERPRÈTE. – Non: il faut d'abord que je le lise, avec votre permission.

PAROLLES. – Mes intentions là-dedans, je le proteste, étaient fort honnêtes en faveur de cette jeune fille; car je connais le comte pour un jeune suborneur très-dangereux: c'est une baleine pour les vierges, qui dévore tout le fretin qu'elle rencontre.

BERTRAND. – Maudit scélérat! double scélérat!

L'INTERPRÈTE lit la note. – «Quand il prodigue les serments, dites-lui de laisser tomber de l'or, et prenez-le. Dès qu'il porte en compte, il ne paye jamais le compte. Un marché bien fait est à demi-gagné; faites donc un marché, et faites-le bien. Jamais il ne paye ses arriérés; faites-vous payer d'avance, et dites, Diane, qu'un soldat vous a dit cela. Il faut épouser les hommes, il ne faut pas embrasser les garçons; car comptez bien que le comte est étourdi: je sais, moi, qu'il payera bien d'avance, mais non pas quand il devra. Tout à vous, comme il vous le jurait à l'oreille.

«Parolles.»

BERTRAND. – Je veux qu'il soit fustigé à travers les rangs de l'armée, avec cet écrit sur le front.

SECOND OFFICIER, avec ironie. – C'est votre ami dévoué, monsieur, ce savant polyglotte 34, ce soldat si puissant par les armes.

BERTRAND. – Je pouvais tout endurer auparavant, hormis un chat; et maintenant il est un chat pour moi.

L'INTERPRÈTE, à Parolles. – Je m'aperçois, monsieur, aux regards de notre général, que nous aurions envie de vous pendre.

PAROLLES. – La vie, monsieur, à quelque prix que ce soit; non pas que j'aie peur de mourir, mais uniquement parce que mes péchés étant en grand nombre, je voudrais m'en repentir le reste de mes jours. Laissez-moi vivre, monsieur, dans une prison, dans les fers, ou partout ailleurs, pourvu que je vive.

L'INTERPRÈTE. – Nous verrons ce qu'il y aura à faire, pourvu que vos aveux soient francs: ainsi, revenons à ce capitaine Dumaine: vous avez déjà répondu sur l'opinion qu'en avait le duc, sur sa valeur aussi: et sa probité, qu'en dites-vous?

PAROLLES. – Monsieur, il volerait un oeuf dans une abbaye 35: pour les rapts et les enlèvements, il égale Nessus. Il fait profession de manquer à ses serments; et pour les rompre, il est plus fort qu'Hercule. Il vous mentira, monsieur, avec une si prodigieuse volubilité, qu'il vous ferait prendre la vérité pour une folle. L'ivrognerie est sa plus grande vertu; car il boira jusqu'à s'enivrer comme un porc; et dans son sommeil il ne fait guère de mal, si ce n'est aux draps qui l'enveloppent: mais on connaît ses habitudes, et on le couche sur la paille. Il me reste bien peu de chose à ajouter, monsieur, sur l'honnêteté, il a tout ce qu'un honnête homme ne doit pas avoir, et rien de ce que doit avoir un honnête homme.

PREMIER OFFICIER. – Je commence à l'aimer pour ce qu'il dit de moi.

BERTRAND. – Pour cette description de votre honnêteté? Que la peste l'étouffe pour ce qui me concerne, moi! Il devient de plus en plus un chat!

L'INTERPRÈTE, à Parolles. – Que dites-vous de son expérience dans la guerre?

PAROLLES. – En conscience, monsieur, il a battu le tambour devant les tragédiens anglais. Le calomnier, je ne le veux pas. Et je n'en sais pas davantage sur sa science militaire, excepté que dans ce pays-là il a eu l'honneur d'être officier dans un endroit qu'on appelle Mile-end 36, avec l'emploi d'apprendre à doubler les files 37. Je voudrais lui faire tout l'honneur que je puis, mais je ne suis pas certain de ce fait.

 

PREMIER OFFICIER. – Il dépasse tellement la scélératesse ordinaire, que son caractère se rachète par la rareté.

BERTRAND. – Que la peste l'étrangle! c'est toujours un chat.

L'INTERPRÈTE, à Parolles. – Puisque vous faites si peu de cas de ses qualités, je n'ai pas besoin de vous demander si l'or pourrait le débaucher?

PAROLLES. – Monsieur, pour un quart d'écu il vendra sa part de salut et son droit d'héritage dans le ciel; il renoncera à la substitution pour tous ses descendants et l'aliénera à perpétuité sans retour.

L'INTERPRÈTE. – Et son frère, l'autre capitaine Dumaine?

SECOND OFFICIER. – Pourquoi le questionne-t-il sur mon compte?

L'INTERPRÈTE. – Répondez: qu'est-il?

PAROLLES. – C'est un corbeau du même nid. Il n'est pas tout à fait aussi grand que l'autre en bonté, mais il l'est bien plus en méchanceté. Il surpasse son frère en lâcheté, et cependant son frère passe pour un des plus grands poltrons qu'il y ait; dans une retraite, il court mieux que le moindre valet; mais, ma foi, quand il faut charger, il est sujet aux crampes.

L'INTERPRÈTE. – Si l'on vous fait grâce de la vie, entreprendrez-vous de trahir le Florentin?

PAROLLES. – Oui, et le capitaine de sa cavalerie aussi, le comte de Roussillon.

L'INTERPRÈTE. – Je vais le dire à l'oreille du général et savoir ses intentions.

PAROLLES. – Je ne veux plus entendre de tambours: malédiction sur tous les tambours! C'était uniquement pour paraître rendre un service et pour en imposer à ce jeune débauché de comte que je me suis jeté dans le péril; et cependant qui aurait jamais soupçonné une embuscade là où j'ai été pris?

L'INTERPRÈTE, revenant à lui comme avec la réponse du général. – Il n'y a point de remède, monsieur: il vous faut mourir. Le général dit que vous, qui avez si lâchement dévoilé les secrets de votre armée et fait de si indignes portraits d'officiers qui jouissent de la plus haute estime, vous n'êtes bon à rien dans le monde: ainsi il vous faut mourir. Allons, bourreau, abats-lui la tête.

PAROLLES. – O mon Dieu! monsieur, laissez-moi la vie, ou laissez-moi du moins voir ma mort.

L'INTERPRÈTE. – Vous allez la voir; et faites vos adieux à tous vos amis. (Il lui ôte son bandeau.) Tenez, regardez autour de vous. Connaissez-vous quelqu'un ici?

BERTRAND. – Bonjour, brave capitaine.

SECOND OFFICIER. – Dieu vous bénisse, capitaine Parolles!

PREMIER OFFICIER. – Dieu soit avec vous, noble capitaine!

SECOND OFFICIER. – Capitaine, de quoi me chargez-vous pour le seigneur Lafeu? Je pars pour la France.

PREMIER OFFICIER. – Digne capitaine, voulez-vous me donner une copie de ce sonnet que vous avez adressé à Diane en faveur du comte de Roussillon? Si je n'étais pas un poltron, je vous y forcerais: mais adieu, portez-vous bien.

L'INTERPRÈTE. – Vous êtes perdu, capitaine: il n'y a plus rien en vous qui tienne encore que votre écharpe.

PAROLLES. – Qui pourrait ne pas succomber sous un complot?

L'INTERPRÈTE. – Si vous pouviez trouver un pays où il n'y eût que des femmes aussi déshonorées que vous, vous pourriez commencer une nation bien impudente. Adieu, je pars pour la France aussi; nous y parlerons de vous.

(Ils sortent.)

PAROLLES. – Eh bien! je suis encore reconnaissant. Si mon coeur était fier, il se briserait à cette aventure. – Je ne serai plus capitaine; mais je veux manger et boire et dormir aussi à mon aise qu'un capitaine. Ce que je suis encore me fera vivre. Que celui qui se connaît pour un fanfaron tremble à ce dénoûment, car il arrivera que tout fanfaron sera convaincu à la fin d'être un âne. Va te rouiller, mon épée; ne rougissez plus, mes joues; et toi, Parolles, vis en sûreté dans ta honte. Puisque tu es dupé, prospère par la duperie; il y a de la place et des ressources pour tout le monde, je vais les chercher.

31Who had ever tuned his bounty to sing happiness to him. Mot à mot: «Qui avait mis pour lui sa bonté sur l'air du bonheur.»
32On sait que les éperons étaient un des signes distinctifs du chevalier.
33Shakspeare place un shérif à Paris; mais shérif veut dire ici prévôt.
34Linguist.
35C'est-à-dire, il se ferait pendre pour un liard.
36Hôpital et manufacture de Londres.
37Équivoque sur file, fil d'archal et file de soldats.